« Il doit y avoir des limites à l’indépendance de Ia BCT », argue un député fraîchement élu. Non, « l’Indépendance de cette institution sera respectée telle qu’elle », répliquait sur-le-champ le ministre de l’Économie et de la Planification, Samir Saïed. Et si l’esprit de la loi n° 2016-35 du 25 avril 2016, portant fixation du statut de la Banque centrale de Tunisie était remis en cause par les nouveaux législateurs proches du palais de Carthage?
Y a-t-il eu péril en la demeure pour que Samir Saied évoque le sujet alors qu’il était en Egypte pour participer aux réunions de la Banque africaine de développement? « Le gouvernement n’envisage pas de modifier le statut de la Banque centrale de Tunisie, ni de restreindre son indépendance. Tout ce qui se dit sur la réduction de ses attributions sont des paroles vaines ». Ainsi s’exprimait mercredi 24 mai, le ministre de l’Économie et de la Planification, en marge des réunions de la BAD à Charm el-Cheikh, en Egypte. Et ce, dans une déclaration à l’agence américaine de presse Bloomberg, spécialisée en économie et finances. Laquelle déclaration fut par ailleurs relayée le lendemain par Diwan FM.
Faut-il rappeler que cette mise au point, somme toute inhabituelle, s’inscrit dans le cadre de la polémique autour de l’intention attribuée au gouvernement de Mme Bouden de présenter un projet de loi remettant en question l’indépendance de la Banque centrale de Tunisie. A savoir que cette question a été déjà évoquée par certains futurs députés d’obédience juilletiste dans le cadre de la campagne électorale pour le scrutin législatif. Sous prétexte, aberrant à leurs yeux, que l’État est souvent contraint de passer par les banques privées au lieu de d‘emprunter directement de la BCT.
Limites
« Nous ne sommes pas opposés à l’existence d’une Banque centrale forte qui joue un rôle dans l’économie nationale et les finances publiques, toutefois, il y a des exigences imposées par l’étape nouvelle que connaît la Tunisie. Il doit y avoir des limites à son indépendance ». C’est ce qui ressort de la déclaration accordée le mardi 23 mai 2023 à Shems FM par Ryadh Jaïdane, adjoint du président de l’Assemblée et chargé des grandes réformes. Ajoutant -qu’une série de projets de loi préparée par le gouvernement Bouden et liée au domaine économique, dont les plus importants sont le code des changes et la loi inhérente à l’indépendance de la Banque centrale de Tunisie- sera remise au Parlement.
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« Un modèle parachuté »
Il est par conséquent impératif, ajoute cet avocat de son état, spécialiste en droit international et en contentieux administratif, de prendre des mesures pour remédier à « l’échec du rôle de régulateur de la BCT dans la gestion des relations avec les banques locales depuis qu’elle a acquis une plus grande indépendance en 2016 ».
Sachant qu’aux termes de la loi n° 2016-35 du 25 avril 2016, portant fixation du statut de la Banque centrale de Tunisie, l’article 3 stipule clairement que : « Nul ne peut porter atteinte à l’indépendance de la banque centrale, ni influencer les décisions de ses organes et ses agents dans le cadre de l’exercice de ses fonctions. »
Le député a par ailleurs appelé « à ouvrir des dossiers urgents avec une conception nationale, en rejetant les choses qui nous viennent de l’étranger ». Tout en estimant que « le modèle lié à l’indépendance de la BCT était parachuté et n’est pas adapté à l’Etat tunisien ».
La Banque centrale de Tunisie a-t-elle failli à son rôle depuis qu’elle a acquis son indépendance en 2016, selon les dires de M. Jaïdane?
L’agence américaine de presse Bloomberg rappelle à cet effet qu’en 2016, la dite loi n° 2016-35 ayant statué sur l’indépendance de la Banque centrale « avait joué un rôle crucial dans l’obtention d’un précédent accord de 2,9 milliards de dollars avec le FMI. Cependant, « le gouverneur de la Banque centrale et le président Saïed divergent sur la nécessité d’un nouvel accord avec le FMI qui doit encore être approuvé par les administrateurs du FMI », affirme la même source. Elle rappelle à l’occasion « que les réserves de change de la Tunisie seront mises à l’épreuve par le remboursement de 22,4 milliards de yens (162 millions de dollars) arrivant à échéance en août prochain ; ainsi que 500 millions d’euros (534 millions de dollars) arrivant à échéance en octobre prochain ».
Stabilité, crédibilité et lutte contre l’inflation
Reste la question de savoir si le nouveau Parlement oserait remettre en question le principe sacro-saint de l’indépendance de la Banque centrale dont tous les experts sont unanimes à penser qu’il ne faut surtout pas y toucher.
D’abord, selon les experts en la matière, l’indépendance de cette institution garantit une politique monétaire stable en prenant des décisions de politique monétaire en fonction de considérations économiques à long terme, plutôt que d’être influencée par des pressions politiques à court terme. Ce qui est de nature à favoriser la stabilité monétaire et aider à prévenir les fluctuations excessives de l’inflation. Et ce qui est essentiel pour une économie saine.
Ensuite, l’indépendance de la BCT est perçue comme étant plus crédible par les marchés financiers, les investisseurs et le public en général.
Enfin, l’indépendance d’une banque centrale lui permet de résister aux pressions politiques visant à financer les dépenses publiques par la création excessive de monnaie, ce qui pourrait entraîner une inflation incontrôlée. Une banque centrale indépendante est mieux à même de maintenir la stabilité des prix et de prévenir les épisodes d’inflation rampante.
Alors, si par malheur une loi était votée par un Parlement sensible aux injonctions du président de la République, lequel considère le rôle et les attributions de la BCT comme une « fonction » au service de l’Etat. Cela ne serait-il pas en contradiction totale avec l’orthodoxie monétaire et financière représentée par le sourcilleux actuel gouverneur de la BCT, Marouane Abassi. A moins de…
Béchir Lakani