Quand on se trouve dans une impasse, il n’y a pas plusieurs solutions. Ou on démolit le mur et toute construction qui empêche de s’en sortir ; ou on fait marche arrière, quitte à négocier son retrait. C’est valable dans la vie et dans toutes les situations, aussi bien dans la politique que dans la guerre, dans l’économique que dans le social et même dans la réflexion et en philosophie. En politique, les théoriciens parlent de tactique, quand l’objectif stratégique semble impossible à atteindre sans faire de concessions douloureuses. La Tunisie est dans une impasse comme elle n’en a jamais connue. Elle est multiple et multiforme et les différents facteurs sont imbriqués les uns dans les autres constituant un nœud difficile à dénouer.
Le nœud s’est constitué à travers plus de dix années d’amateurisme politique, de gabegie économique et de surenchères sociales, qui ont abouti au blocage total et à l’impasse dans ces trois secteurs primordiaux. A la base, la montée d’un essaim ravageur d’apprenti-sorciers de prétendus « révolutionnaires » au pouvoir, dont en grande partie des islamistes venus instaurer les bases d’un pouvoir théocratique, à travers un processus de « transition démocratique » qui visait à détruire l’œuvre de construction nationale entamée et consolidée par les pères fondateurs de la Nation et de la République. Ils ont appelé ça « révolution ».
Le nœud
Le résultat est effrayant : banqueroute économique, faillite financière et destruction totale de la classe moyenne pilier de l’État et de la société moderne. Mais aussi terrorisme, criminalité, montée du régionalisme et des sentiments xénophobes. A tel point que le pays semble devenir ingouvernable. Le pire, c’est la perte progressive de la souveraineté nationale due essentiellement à l’affaiblissement de la capacité financière du pays. Lequel a provoqué à son tour, en raison aussi de facteurs exogènes, les pénuries cycliques au rythme desquelles vit le pays.
Réduire le pic de cette crise multiple à de supposés spéculateurs ou comploteurs, ne peut que nous brouiller la vision. Même s’il existe bien des comploteurs et des spéculateurs que nos services finiront bien par mettre hors d’état de nuire. Or, le pays a besoin d’une vision globale pour dénouer la crise et d’un plan général de sauvetage. Les plans sectoriels ou par étages, comme celui consistant à séparer l’économique, du politique et du social ne pouvant plus être d’aucun secours. C’est le moment de vérité et les slogans, populaires ou populistes ne peuvent qu’aggraver la situation.
Ce nœud n’est pas gordien et il ne peut être tranché violemment. Il doit être dénoué patiemment, en saisissant d’abord le bon bout. Il va de soi que le bon bout est totalement politique. D’où le rôle du gouvernement qui seul a la capacité de le faire. Par gouvernement nous entendons bien sûr, aussi bien le Président de la République, que le premier ministre, que les ministres ainsi que les députés de l’assemblée et autres intervenants politiques. C’est le gouvernement qui tient le bout de la ficelle. L’initiative lui revient incontestablement.
Dénouer c’est gouverner
Mais dénouer c’est d’abord négocier ! En politique, comme dans les affaires, la négociation est peut être le chemin le plus long, mais il est aussi le plus sûr. Et en premier lieu avec les partenaires sociaux, et particulièrement l’UGTT. Rappelons tout d’abord que la négociation avec la centrale syndicale est devenue un impératif depuis que le FMI a exigé l’accord de l’UGTT pour les réformes structurelles qu’il exige comme la baisse du taux de la masse salariale par rapport au PNB, ce qui est différent de la baisse des salaires et qui peut être obtenu par des dégraissements successifs et espacés de la fonction publique, qui, il faut l’affirmer, a besoin d’un checkup salutaire. Nous ne pensons pas que l’UGTT refuserait une telle politique et son secrétaire général l’avait affirmé auparavant.
Il y a surtout la situation de certaines entreprises publiques devenues un gouffre financier pour l’Etat, en raison particulièrement des recrutements politiques et dont la masse salariale atteint des proportions alarmantes. Elles doivent êtres traitées au cas par cas, sans surenchère idéologique, du genre « c’est la propriété du peuple et le fruit de longs sacrifices ». Il s’avère que certaines sont complètement obsolètes et définitivement mortes comme la Compagnie du Tabac, qui devient un fardeau pour l’Etat alors que celui-ci peut générer de grands bénéfices s’il la privatise, par le biais des taxes à l’import et à l’export. Bien sûr il existe des lignes rouges qui concernent les grandes compagnies comme la STEG et la SONEDE car c’est la souveraineté nationale qui est en jeu !
En tout cas, seule la négociation avec les partenaires sociaux peut limiter le prix social à payer. Mais il faut que cet argent dégagé de la vente soit conservé sous forme de trésor de guerre, comme pour les cimenteries et la téléphonie en leur temps. Et qu’il ne soit pas dilapidé en salaires pour faire taire certaine catégories sociales, comme après « la révolution ». Pour plus de transparence, il convient de publier les états financiers comme l’exige d’ailleurs la loi sur les sociétés. L’opinion publique doit être prise en témoin; mais loin des enchères politiques et idéologiques.
Cette affaire dépasse les technocrates et les bureaucrates, car elle touche à la souveraineté comme l’a affirmé le Président de la République lui-même quand il s’est adressé au MAE qui devait rencontrer la ministre française des Affaires étrangères et européennes, membre influent de l’UE. Le Président a en outre rappelé l’attachement de la Tunisie à « ses relations stratégiques avec l’UE et les pays européens », coupant cout aux rumeurs sur un éventuel rapprochement avec les BRICS.
La reprise du dialogue entre le gouvernement et la centrale ouvrière devient dès lors un impératif national, qui doit transcender tous les autres points de discorde. En contrepartie, l’UGTT doit se concentrer sur son rôle de médiateur et abandonner toute tentation de jouer « la troisième voie ». On n’est plus en 2013 ! Ce qui prévaut maintenant c’est le rôle social et non politique. Ceux qui veulent transformer l’UGTT en parti politique qui ne dit pas son nom doivent mettre un peu d’eau dans leur tisane. Un syndicat c’est d’abord pour défendre le pouvoir d’achat de ses adhérents et des couches populaires et ces derniers en ont diablement besoin actuellement. Le pragmatisme caractéristique légendaire de l’UGTT doit prévaloir.
Une diplomatie offensive
Il convient tout d’abord de faire la différence entre une diplomatie agressive et une autre offensive. La première agresse et la seconde attaque et se redéploye.
Jamais la Tunisie n’a eu autant besoin d’une diplomatie offensive que lors des derniers mois où le pays est la cible d’attaques successives visant sa souveraineté, souvent venant de pays frères ou amis. Rappelons la fameuse phrase du Général De Gaulle : « La France n’a pas d’amis ou des ennemis, elle a des intérêts » ! Bourguiba l’a toujours compris. Nous savons où est notre intérêt maintenant qui peut être résumé en un mot : stabilité !
Heureusement on n’est pas les seuls à le vouloir, tous les pays occidentaux et européens le disent et le répètent. A nous de porter notre voix très haut ! Justement par une diplomatie offensive, qui consiste d’abord dans la désignation de nos ambassadeurs, consuls généraux, consuls et autres diplomates dans les grandes organisations internationales ! Il nous revient plus que jamais de faire du lobbying auprès de ceux qui comptent dans ces pays et notamment les médias qui pèsent et qui façonnent l’opinion. On peut se passer des déclarations agressives qui donnent l’effet inverse et faire la différence entre le discours adressé à l’opinion tunisienne et celui conçu pour l’opinion étrangère. Compter sur soi c’est aussi compter sur les milliers de hauts cadres tunisiens à l’étranger et surtout en Europe qui occupent des postes influents.
La politique à l’égard de la diaspora fait partie de la diplomatie offensive et il faut aussi établir des liens avec des millions de citoyens européens qui adorent notre pays et surtout en évitant des polémiques improductives comme celles qui ont suivi l’attentat de la Ghriba. Enfin, provoquer des visites de nos hauts responsables dans des pays comme l’Italie, la France, le Portugal, l’Espagne. Car ces hauts responsables sont des VRP indispensables pour vendre l’image d’une Tunisie stable, prospère et tolérante. Les investisseurs et les touristes ont surtout besoin de stabilité et de sécurité et c’est un des nœuds qu’il faut desserrer, tellement certains médias européens et américains ont tiré à boulets rouges sur nous. A nous de changer cette image !
Mais le volet politique reste primordial pour remonter la pente. Alors, il convient de relancer un dialogue politique au plus haut niveau ! Mais c’est là où le bât blesse ! Nous y reviendrons !