Dans son édition du 8 juin, le Washington Post a publié un article intitulé « Le prince héritier saoudien menace les Etats-Unis de sanctions économiques douloureuses ».
Cette menace aurait été proférée par Mohammed Ben Salmane suite à la réaction du président américain Biden qui affirma alors que l’Arabie saoudite « subirait des conséquences » pour avoir refusé les demandes pressantes américaines de ne pas baisser sa production pétrolière. C’était l’année dernière quand les autorités saoudiennes ont dit se conformer strictement à la décision de l’OPEC-plus.
L’automne dernier, on se rappelle, le gouvernement saoudien a, dans des termes très diplomatiques, défendu sa décision de baisser sa production pétrolière. Mais « en privé, le prince héritier Mohammed Ben Salmane a menacé de modifier fondamentalement la relation américano-saoudienne, vieille de plusieurs décennies, et d’imposer des coûts économiques importants aux États-Unis, s’ils ripostaient contre la décision de Ryadh de réduire la production pétrolière », selon un document secret obtenu par le Washington Post.
Pour le journal américain, il n’est pas clair si « les menaces » de Ben Salmane ont été adressées directement à Washington ou proférées en privé et interceptées par les services d’écoute de la CIA.
Huit mois après, la menace de Biden de faire subir à l’Arabie saoudite les conséquences de sa décision attend toujours son exécution. Tout comme sa menace arrogante de faire du royaume wahhabite « un Etat-paria », proférée en 2020 lors de sa campagne électorale.
D’aucuns se demandent comment l’Arabie saoudite pourrait faire mal économiquement à une superpuissance comme les Etats-Unis d’Amérique ? La réponse est simple. Il suffit que Ryadh décide par exemple de ne plus vendre son pétrole en dollar et de se rapprocher encore plus de Pékin et de Moscou. Les conséquences pour la monnaie, les banques et l’économie américaines seraient douloureuses, pour ne pas dire dévastatrices
C’est ce moyen de pression très inquiétant pour Washington qui fait que les Américains marchent désormais sur des œufs quand il s’agit pour eux de se pencher sur les relations américano-saoudiennes.
Joseph Biden a non seulement oublié ses fanfaronnades pré et post électorales de régler son compte à « la dictature saoudienne », mais il fait tout pour les faire oublier aux responsables saoudiens. La visite de trois jours du secrétaire d’Etat Blinken en Arabie saoudite entamée le 8 juin dernier s’inscrit précisément dans ce cadre. Dans son édition du 8 juin, le New York Times écrit : « la visite de trois jours de M. Blinken en Arabie saoudite et sa rencontre avec Mohammed Ben Salmane, le leader de facto de la nation, est l’effort le plus évident déployé par l’administration Biden de faire oublier l’hostilité exprimée l’automne dernier par le président américain envers le prince et son gouvernement ».
Par ses diatribes agressives contre l’Arabie saoudite (Etat, gouvernement et prince héritier), Biden a encouragé, sans le vouloir, les dirigeants saoudiens à consolider la relation de leur pays avec la Chine, à normaliser leur relation avec la Syrie et l’Iran, à ignorer les appels pressants de Washington à une normalisation avec Israël, à adopter une approche équilibrée vis-à-vis de la guerre en Ukraine. Autant de décisions politiques qui ne plaisent guère à Washington.
Biden s’en mord les doigts peut-être, mais une chose est sûre : lui et ses collaborateurs en sont venus, contraints et forcés, à accepter « la dure réalité du nouveau paysage géopolitique », selon la formule du New York Times. A un moment où l’Amérique est engagée dans une guerre chaude avec la Russie et froide avec la Chine, elle ne peut pas se permettre de s’aliéner un partenaire aussi puissant et influent dans le Grand-Moyen-Orient que l’Arabie saoudite.
Mohammed Ben Salmane et son gouvernement en sont parfaitement conscients et ils agissent en conséquence. C’est ainsi qu’ils ont clairement indiqué qu’ils ne se sentaient pas obligés de choisir leur camp dans les luttes de pouvoir entre grandes puissances. En d’autres termes, ils rejettent le choix binaire que, selon eux, les responsables américains et européens tentaient de leur imposer dans le double contexte de la guerre d’Ukraine et de la concurrence entre Pékin et Washington.
« La Chine est notre plus grand partenaire commercial, il y a donc naturellement beaucoup d’interaction et d’intersection avec la Chine », a déclaré le prince Faisal bin Farhan, ministre saoudien des Affaires étrangères, lors de la conférence de presse conjointe avec son homologue américain Blinken.
Il a ajouté : « Cette coopération est susceptible de se développer simplement parce que l’impact économique de la Chine dans la région et au-delà est susceptible de croître à mesure que son économie continue de croître. Mais nous avons toujours un partenariat de sécurité solide avec les États-Unis. » Concluant son intervention, le ministre saoudien affirme : « Je n’adhère pas à ce jeu à somme nulle. Je pense que nous sommes tous capables d’avoir de multiples partenariats et de multiples engagements ».
Des propos durs à avaler par les responsables américains qui enregistrent avec inquiétude le peu de cas que font désormais les dirigeants saoudiens de ce que pense ou ne pense pas Washington. C’est la nouvelle Arabie saoudite enfantée par la nouvelle réalité géostratégique.