Suggérer aux protestataires en quête d’emploi, qui investissent la laverie de phosphate de Redeyef depuis 2020 de lancer leurs propres entreprises, ne manque pas de bon sens. Mais, le veulent-ils vraiment ? De plus, qu’a fait l’Etat pour préparer des infrastructures de base, pierre angulaire du développement de cette région de Gafsa, dite de l’ombre ?
Administrer un remède, voire même un placébo, peut alléger la souffrance d’un patient; mais pour combien de temps? Cela s’applique parfaitement à la situation inédite d’un pays, le nôtre, dont le sous-sol regorge d’or partiellement exploité. Alors que si la production de phosphate, notamment à Redeyef, retrouvait sa vitesse de croisière, nous ne serions plus dans l’obligation de mendier un emprunt de l’étranger, ni de nous soumettre aux « diktats » des bailleurs de fonds.
« Notre or est sous terre », mais…
Et pour cause. Souvenons-nous que lors d’une réunion du Conseil de sécurité nationale tenue à Carthage le 26 avril dernier, le chef de l’État a martelé que « notre or est sous terre alors que le pays est confronté à une situation financière difficile. La qualité du phosphate tunisien est parmi les meilleures au monde et il faut trouver une solution rapide à ce problème » ». Estimant à l’occasion que la production pouvait atteindre dix millions de tonnes par an et que les revenus générés pourraient « renflouer en grande partie les caisses de l’État ». Lequel « ne sera plus dans l’obligation d’emprunter de l’étranger ».
Au four et au moulin
Deux mois plus tard, Kaïs Saïed rend, mardi 13 juin en cours, une visite surprise à la ville minière de Redeyef, où il a visité la laverie de phosphate dont le siège est investi depuis 2020 par des foules de protestataires en quête d’emploi. Il aura fallu du courage, également physique, au président de la République pour faire face à cette contestation sociale enclenchée par les sans- emplois de cette région vivier de richesse phosphatière du pays. Laquelle contestation provoqua l’arrêt de la production commerciale des phosphates ainsi qu’un considérable retard des livraisons vers les fabricants d’engrais chimiques.
Sachant que c’est sa deuxième visite inopinée en quelques jours depuis qu’il s’est déplacé à Sfax, samedi 10 juin, pour aller à la rencontre des immigrés subsahariens. Le Président semble être au four et au moulin pour trouver des solutions idoines à deux casse-têtes chinois : la problématique du phosphate et le dossier migratoire.
Entre temps, que fait le gouvernement pour que le maître de Carthage soit contraint de s’investir personnellement dans ces dossiers ultrasensibles? N’est-ce pas un signe évident que l’équipe gouvernementale dirigée par Mme Bouden a failli? Mais, avait-elle les mains libres et surtout les moyens pour agir dans le cadre d’un régime politique hyper présidentiel où le Président, omniprésent, est le seul et unique maître des horloges?
« Ils vous ont menés en bateau »
Le chef de l’Etat a fait face à la foule de demandeurs d’emploi à Redeyef- qui se sent méprisée par les autorités publiques, marginalisée dans une région qui regorge de richesses naturelles ; mais qui manque cruellement d’un véritable plan de développement. Des sans-emploi dont les principales revendications portent sur la nécessité d’acter les engagements « par écrit » conclus par le passé avec les responsables gouvernementaux et régionaux. Et ce afin de les recruter dans les entreprises environnementales, la Société tunisienne pour le transport de produits miniers ; ou encore au sein de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG). Kaïs Saïed a donc qualifié ces conventions signées avec la population et non respectées par l’Etat de « mensongères et inapplicables ».
« Ils vous ont mentis, ils vous ont menés en bateau, ils ont commercé avec votre misère ». Ainsi s’est-il écrié au comble de l’exaspération.
Et de citer pêle-mêle le dossier de la corruption et des malversations à la CPG. Revenant notamment sur l’acquisition de wagons pour le transport du phosphate qui « se sont avérés inutilisables sur la voie ferrée existante ». Il évoquait aussi des personnes décédées et d’autres vivant à l’étranger « qui perçoivent encore des salaires de la Compagnie ». Ou encore ces milliers de recrues dans les sociétés environnementales. « Ces gens reçoivent des salaires chaque mois sans rien produire en retour. Où sont les jardins et les espaces verts? », s’étranglait le chef de l’Etat. Et à juste titre.
Monnaie de singe
Alors que propose l’illustre visiteur au concret à Redeyef ? Après avoir rappelé que la Tunisie est confrontée à une étouffante crise économique, que les caisses de l’Etat sont vides et que nous avons cruellement besoin de notre richesse minière et qu’il faut impérativement que la production du phosphate retrouve les années fastes de 2010; Kaïs Saïed exhorte les demandeurs d’emploi qui rêvent d’emploi au sein de la CPG, de la société de transport ou dans les soi-disant entreprises environnementales à être « à la hauteur de cet instant historique et de relever le défi ».
Comment? En se transformant en promoteurs de projets « pour créer de la richesse ». Par quel mécanisme? Les entreprises communautaires, bien entendu.
Mais, n’est-il pas malheureux de constater que bon nombre de ces jeunes au chômage n’ont pas la tête à chercher un financement pour créer leurs propres entreprises. Ils veulent un emploi étatique stable mosmar fi hit. La planque! Quant aux entreprises communautaires, c’est encore le flou total.