Tempête en France. La mort du jeune Nahel, tué par un policier à Nanterre, mardi 27 juin pour délit de faciès, a fait déborder le verre déjà plein d’années de marginalisation de générations d’immigrés. Nés sur le territoire français, ils auraient dû être considérés comme des Français jouissant de tous les droits. Les dernières émeutes ont montré que ce n’est pas forcément le cas et que, les faits sont là, ces visages basanés sont toujours mis à l’écart. Ils sont toujours bons à flinguer, quitte à flinguer l’essence même de la République dont on dit qu’ils sont ses enfants.
C’est vrai que nous ne sommes pas forcément les mieux placés pour donner des leçons, en tout cas, pas en termes de racisme, sauf qu’il y a des parallèles qui interpellent. Celui de Macron, pour ne citer que le Président français, qui tout en faisant référence à des complots ourdis on ne sait où, épingle le rôle et la place des réseaux sociaux dans la propagation des émeutes. Il menace même de fermer des sites et de poursuivre ceux qui sont derrière. Ça rappelle
vaguement un certain décret sous d’autres cieux.
Mais qu’à cela ne tienne. On peut toujours arrêter la comparaison à ce stade et dire qu’après tout, ça se passe chez eux et que c’est une affaire franco-française. On peut aussi dire que le slogan des émeutiers « police partout, justice nulle part » ne nous concerne en aucun cas. Ces Français, ils ne font que répéter la formule de Victor Hugo qui critiquait Bonaparte, connu pour avoir limité les libertés individuelles et censuré la presse. Pour Bonaparte, toute
ressemblance avec des faits existants serait purement fortuite, pour le reste, on peut toujours évoquer la dernière arrestation de Zied El-Heni. Sauf que là, on cherche vraiment la petite bête.
Pour ce dernier, il parait, selon la version courante, il y a motif d’interpellation. Il a bien passé outre les prérogatives d’un journaliste et il a outré le président de la République et de ce fait, cette affaire n’est qu’une tempête dans un verre d’eau. On peut toujours le dire, sauf qu’avec la tournure que prend la tempête, le verre est plein. Plein de journalistes débordés par les procès en cours, ne sachant plus sur quel pied danser ayant bu le calice jusqu’à la lie.
Exercer ce métier n’est déjà pas facile quand le ciel politique est au clair, quand il fait sombre, c’est la double peine.
La peine est double, surtout lorsqu’on sait qu’ils peinent à boucler les fins de mois avec la crise que connait le secteur. Il est vrai, cela dit, que le constat n’est pas spécifique à la Tunisie. L’information a beau être le garant d’une éventuelle démocratie, il n’en reste pas moins qu’elle ne génère plus d’argent. Or, comme disait Rabelais dans Gargantua, l’argent est le nerf de la guerre, et avec la disette régnante, il semble que la guerre est perdue d’avance.
Comment en est-on arrivé là ? En fait, il s’agit d’une fausse question. Il faut peut-être se mettre à l’évidence que la discussion autour des libertés n’intéresse plus personne, pour la simple raison qu’avec un ventre vide, tout le reste est insignifiant. Il n’y a en effet pas grand-chose à demander d’un quidam qui vient de faire la queue pendant des heures pour acheter du pain. Il n’a que le temps de reprendre son souffle avant d’entamer une nouvelle journée de
galère, en se courbant l’échine`, histoire de laisser passer la tempête.
Editorial paru dans le Mag de l’Economiste Maghrébin N°873 du 5 au 19 juillet 2023