Difficile de comprendre le comportement du président turc Erdogan. La visite du président ukrainien à Istanbul vendredi 7 juillet a empoisonné les relations de la Turquie avec la Russie. Non pas parce qu’Erdogan a reçu chaleureusement son homologue ukrainien, mais parce que, répondant favorablement à une demande de Zelensky, il a enfreint un accord en bonne et due forme qu’il a contracté l’année dernière avec Vladimir Poutine.
De quoi s’agit-il? On se rappelle au début de la guerre la bataille impitoyable menée par les troupes russes contre les néonazis ukrainiens qui défendaient la grande usine d’Azovstal dans la ville de Marioupol. On se rappelle aussi des prisonniers ukrainiens défilant torse nu devant les caméras de l’armée russe, avec des croix gammées et autres symboles de l’idéologie nazis recouvrant leur corps.
Peu après la chute de Marioupol, Erdogan, en visite à Moscou, intercéda auprès de Poutine pour la libération des prisonniers néonazis. Le président russe accepta à condition que les prisonniers de guerre aillent non pas en Ukraine, mais en Turquie où ils resteront jusqu’à la fin de la guerre.
Erdogan donna son accord, remercia Poutine et ramena les prisonniers avec lui en Turquie. Ils y sont restés jusqu’au… vendredi 7 juillet.
En visite à Istanbul, Zelensky demanda à Erdogan de permettre aux prisonniers de l’accompagner en Ukraine et de retrouver leurs familles. Sans la moindre hésitation, oubliant sa parole donnée à Poutine que les détenus en question ne quitteront la Turquie qu’à la fin de la guerre, le président turc donna son accord et permit à son ami Zelensky de ramener avec lui à Kiev « les héros de Marioupol »…
On comprend la fureur des autorités russes. Mais on comprend moins les motivations du président turc pour une décision dommageable pour lui personnellement et pour les relations très fructueuses que son pays entretient avec la Russie.
Une décision dommageable pour lui, car elle le montre aux yeux du monde comme une personne peu digne de confiance. Dommageable aussi et surtout pour l’économie de son pays qui, depuis le déclenchement de la guerre d’Ukraine, est en train d’engranger profits commerciaux et avantages énergétiques consentis par la Russie.
Plus grave encore et plus dommageable pour les relations russo-turques est l’étrange déclaration faite par Erdogan à son ami Zelensky : « La Turquie accepte l’entrée de l’Ukraine à l’OTAN, mais pas la Suède. » !!!
Si cette déclaration remplit d’aise le président ukrainien, elle a jeté la consternation à Moscou. Voilà un homme qui, en apparence, œuvrait pour la paix et prétendait jouer les médiateurs, mais qui, sans rime ni raison, entérine la cause même de la guerre : la perspective d’intégration de l’Ukraine à l’OTAN.
C’est d’autant plus étonnant de la part d’Erdogan que le président américain, Joseph Biden lui-même, venait de déclarer le même jour à CNN que « les Etats-Unis ne peuvent pas donner leur accord à l’entrée de l’Ukraine à l’OTAN, car nous serions alors tous en guerre contre la Russie »…
En fait, ceux qui doivent s’étonner le moins de l’étrange comportement d’Erdogan sont précisément les Russes, habitués qu’ils sont aux « coups bas » du président turc. En pleine guerre de Syrie, n’a-t-il pas ordonné à son armée de descendre un avion russe pour « punir » Moscou d’avoir bombardé les camions-citernes turcs, pilleurs du pétrole syrien?
En tout état de cause, les bourdes incompréhensibles d’Erdogan, outre l’empoisonnement des relations russo-turques, élimineront Ankara de tout rôle d’intermédiaire qu’elle entendrait jouer quant à la recherche d’une solution au conflit russo-ukrainien.