Les relations entre l’Algérie et la France, ex-puissance coloniale, sont empreintes au fil de l’histoire d’incompréhensions, de malentendus et de non-dits. Le récent coup d’État au Niger, interprété différemment par les deux capitales, risque de compliquer davantage ces relations en dents de scie. Surtout, de brouiller la visite d’État, maintes fois reportée, que le président Tebboune compte effectuer en France.
Une visite encore reportée sine die ? Prévue d’abord début mai, puis en juin, la visite d’État annoncée du président algérien Abdelmadjid Tebboune en France est toujours « à l’ordre du jour », mais Alger attend que l’Élysée lui en communique le programme.
Pour rappel, la visite, programmée d’abord début mai, avait été repoussée à juin, les Algériens craignant qu’elle ne soit gâchée par les manifestations du 1er mai contre la très contestée réforme des retraites en France. À l’époque, l’Élysée avait souligné que les deux parties étaient « en discussion pour trouver une date qui puisse convenir ».
« Ce n’est pas une visite touristique »
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a clairement expliqué que le principal point d’achoppement restait le programme de la visite officielle, qui semble ne pas convenir à la partie algérienne.
Ainsi, a-t-il déclaré, samedi 5 août 2023 lors de sa rencontre périodique avec des médias algériens, que sa visite d’État en France était «toujours maintenue» mais dépendait « du programme » de l’Élysée, précisant qu’une « visite d’État a des conditions » et « n’est pas une visite touristique ».
« Les visites d’État que nous avons effectuées en Russie et en Chine ont été couronnées de résultats. Celles de l’Italie et du Portugal aussi. Pour la France, je ne partirai pas pour défiler sur les Champs-Élysées avec la cavalerie de la Garde républicaine. J’irai pour renforcer les relations entre les deux pays, ouvrir de nouvelles pages et fermer d’autres anciennes ». Ainsi parlait le locataire du palais de la Mouradia, affirmant à l’occasion que la visite aurait lieu quand la présidence de la République française proposera un programme « à la hauteur d’une visite d’État ».
Pour rappel, M. Tebboune s’est rendu en Russie du 13 au 17 juin où il a été accueilli en grande pompe par Vladimir Poutine. Outre la signature d’une « déclaration de partenariat stratégique approfondi », qui prévoit notamment l’échange de renseignements et d’informations sur « les menaces à la sécurité nationale », huit autres accords dans les domaines de la justice, des télécommunications, de l’agriculture, de la culture, des ressources en eau et de l’exploration de l’espace à des fins pacifiques, ont été signés.
D’autre part, lors de la visite d’État de cinq jours en Chine, la première depuis son accession à la présidence de son pays en 2019, le président algérien, qui était accompagné de neuf ministres, déclara jeudi 20 juillet 2023 que la Chine investira 36 milliards de dollars en Algérie dans plusieurs secteurs.
De plus, 19 accords et mémorandums d’entente ont été signés, couvrant plusieurs secteurs comme le commerce, le transport ferroviaire, la technologie, les télécommunications, l’économie et l’investissement, ainsi que la recherche scientifique et spatiale ou encore l’agriculture.
Le président chinois, qui aura par ailleurs exprimé le « soutien absolu » de son pays à l’adhésion de l’Algérie au groupe des BRICS, a également manifesté l’intérêt de son pays pour la réalisation de plusieurs projets stratégiques en Algérie, dont la construction de deux chemins de fer, l’extension d’un port, ainsi que l’implantation d’une grande usine de batteries au lithium.
Divergences
Faut-il souligner que la visite annoncée et deux fois reportée risque de tomber au plus mal, alors que s’accumulent les nuages sombres entre Alger et Paris, notamment à propos de la couverture de la chaîne d’information française France 24 des incendies qui avaient frappé le nord-est de l’Algérie. Sans oublier l’intervention militaire de la Cédéao au Niger.
En effet, un article d’une extrême violence de l’agence officielle de presse algérienne, APS, a mis gravement en cause France 24, coupable d’avoir traité « diaboliquement » les incendies qui frappaient tout le bassin méditerranéen.
Sur un autre volet, le coup d’État au Niger est condamné à la fois par Alger et Paris, mais avec une nette divergence sur l’attitude vis-à-vis de la situation : Alger soutient le président Mohamed Bazoum et appelle à la restauration de l’ordre constitutionnel dans ce pays voisin, mais s’oppose à toute intervention militaire contre les putschistes.
L’intervention militaire de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) au Niger « est une menace directe pour l’Algérie. Nous refusons catégoriquement toute intervention militaire », a réaffirmé le président Tebboune lors de la même interview télévisée avec la presse algérienne ; rappelant que son pays « partage près d’un millier de kilomètres de frontière avec le Niger ».
D’autre part, lors de sa rencontre vendredi 4 août à Alger avec l’envoyé spécial du président du Nigeria, Bola Ahmed Tinubu, qui préside actuellement la Cédéao, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, a rappelé « la nécessité d’activer toutes les voies et moyens diplomatiques et pacifiques ». Et ce, « pour éviter le choix du recours à la force qui ne ferait qu’exacerber la situation pour le Niger et la région tout entière ».
Pour sa part, Paris soutient une « éventuelle intervention militaire » au Niger opérée par la Cédéao. Ainsi, la cheffe de la diplomatie française, Catherine Colonna, avait déclaré qu’« il faut prendre très au sérieux la menace de recours à une intervention par ces pays [de la Cédéao], c’est une menace crédible ».
Pour rappel, l’ultimatum de la Cédéao aux putschistes de Niamey expirait dimanche 6 août, une dizaine de jours après le coup d’État qui a renversé le président élu Mohamed Bazoum ; la Communauté ouest-africaine a donné sept jours aux putschistes, soit jusqu’à dimanche soir, pour le rétablir dans ses fonctions, sous peine d’utiliser « la force ». En vain.