La chanteuse tunisienne Emel Mathlouthi, qui avait annulé en 2017 sa participation au festival Pop-Kultur de Berlin, parce qu’il était sponsorisé par Israël, est accusée dans son propre pays de « normalisation avec Israël ». Ainsi, elle fut contrainte d’annuler son concert prévu le 9 août dans le cadre du Festival international de Hammamet. Retour sur une affaire qui a soulevé un tollé en Tunisie et figure à la Une de la presse internationale.
Quand le populisme de bas étage et la démagogie ambiante supplantent l’engagement moral pour une noble cause et la générosité du cœur! Ainsi, Emel Mathlouthi – 41 ans, artiste engagée et icône de la révolution tunisienne, devenue mondialement célèbre pour avoir interprété la chanson Kelmti Horra à Oslo à l’occasion de l’attribution du prix Nobel de la Paix en 2015 au Quartette du dialogue national – a annoncé dans un communiqué posté mardi 1er août 2023 que le Festival international de Hammamet a décidé, sans la prévenir au préalable, d’annuler son spectacle prévu le 9 août. Sans explication aucune.
La vieille rengaine
Pour quelle raison? L’artiste est accusée de « normalisation avec l’entité sioniste » après avoir, en juillet 2023, donné une série de concerts à Jérusalem-est occupé et annexé par l’Etat hébreu, ainsi qu’à Ramallah, ou encore en Cisjordanie occupée. Et ce, sur invitation du Conservatoire Edward Said, lequel pour mémoire a déjà accueilli des artistes arabes, à l’instar de Lotfi Bouchnak et Anouar Brahem.
Nuance de taille qui aura échappé à ses détracteurs zélés : en aucun moment, elle n’avait donné de concert en Israël.
Pourtant, le premier intéressé, le mouvement international pro-palestinien BDS (Boycott, désinvestissement & sanctions) qui s’oppose farouchement à tout artiste qui se produit en Israël et qui appelle officiellement au boycott d’Israël, a volé aussitôt au secours de la cantatrice tunisienne. Et ce, en insistant sur l’impératif de faire la distinction entre « les artistes qui divertissent les oppresseurs et ceux qui se tiennent aux côtés des opprimés ». Ajoutant que « les artistes arabes qui respectent les directives du BDS contribuent à notre résistance culturelle ».
Que faut-il de plus pour faire taire la médisance et la surenchère gratuite?
Désinformation
Pour sa part, Emel Mathlouthi, qui se dit à juste titre être l’objet « d’une grande campagne de désinformation », affirme ne pas avoir été informée de l’annulation de son concert en Tunisie, dont les organisateurs n’ont pas donné publiquement la raison.
« Je suis désolée d’annoncer que notre concert tant attendu à Hammamet a été annulé sans raison officielle. Nous pensons que notre dernière tournée dans la belle Palestine a provoqué une controverse injustifiée m’accusant de normalisation ».
Pourtant, a-t-elle insisté, « ces concerts ont été organisés par des Palestiniens pour un public palestinien. Ils ne contreviennent pas aux directives du mouvement international pro-palestinien (BDS) ni à la Campagne palestinienne pour le boycott académique et culturel d’Israël (PACBI). De plus, tous les concerts ont été donnés exclusivement dans les Territoires palestiniens et devant des publics très majoritairement palestiniens ».
Solidarité
Rappelons à ce propos que la cantatrice tunisienne vient de recevoir également le soutien de la société civile tunisienne. Avec notamment la signature prestigieuse d’un certain nombre de personnalités et de représentants d’organisations nationales. A l’instar de Souhayer Belhassen, présidente d’honneur de la FIDH; Sana Ben Achour, juriste, militante féministe; Fathi Ben Haj Yahya, écrivain; Hechmi Ben Frej, militant associatif et de droits humains; Raja Benslama, universitaire; Khémaies Chammari, ancien ambassadeur, militant des droits humains; Mohamed Chérif Ferjani, universitaire, islamologue, politologue; Sophie Bessis, historienne. Ou encore Abdelmajid Charfi, professeur émérite à l’université de Tunis.
« Emel Mathlouthi, artiste engagée, est soumise depuis plusieurs jours à une campagne systématique de dénigrement, se retrouvant accusée de trahison à la cause palestinienne par des personnes qui ignorent tout de la réalité palestinienne, de sa complexité en raison d’un régime d’occupation brutale ainsi que les conditions de communication d’un peuple qui subit le siège de l’occupant et des divisions internes ». C’est ce qu’on peut lire dans une déclaration publiée par ce groupe de solidarité avec Emel Methlouthi et relayée le 7 août par nos confrères de Kapitalis.
Toujours selon la même source, « la tournée d’Emel Mathlouthi dans les Territoires palestiniens occupés n’avait pas pour but ni le tourisme, ni l’ouverture de bureaux commerciaux ou d’ambassades, mais s’est faite à l’invitation d’organisations palestiniennes dans le but de donner des concerts de chansons engagées défendant le droit des Palestiniens et le droit de tous les peuples à la liberté ».
Et de conclure : « La lutte contre la normalisation des relations avec Israël, le refus de traiter avec l’entité sioniste usurpatrice vont de pair avec l’entretien de contacts avec les Palestiniens et le développement de relations culturelles afin de faire connaître leur juste cause et de mettre fin à leur isolement, un isolement que l’entité israélienne cherche à toute force d’imposer. Il est surprenant que certains croient que rejeter le comportement du geôlier signifie rompre avec le prisonnier. Boycotter l’entité usurpatrice ne signifie pas ne pas devoir communiquer avec ceux qui sont pris au piège et qui voient leurs droits violés ».
Albert Einstein ne disait-il pas que deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise humaine?