A l’occasion de la célébration de la Journée du savoir, le président de la République, Kaïs Saïed, proclama qu’à l’instar de l’eau et de l’air, « l’éducation est et demeure un droit humain fondamental ». Rien à dire, mais comment concrétiser ce rêve ambitieux? Vaste programme.
Reprenant à la lettre la doxa proclamée déjà au début du siècle dernier par le grand écrivain et penseur égyptien, Taha Hussein dans son œuvre magistrale L’Avenir de la culture en Egypte, selon laquelle, à l’instar de l’eau et de l’air, l’éducation est et demeure un droit humain fondamental, le président de la République, Kaïs Saïed affirma qu’« il ne suffit pas de garantir ce droit dans les textes juridiques et les déclarations officielles; mais qu’il faut réunir les conditions matérielles qui préservent ce droit pour tous dans le quotidien. D’où la création du Conseil supérieur de l’Education dont le consultation nationale sera lancée le 15 septembre 2023 ».
Une consultation nationale de plus?
Tout à fait d’accord pour la création du Conseil supérieur de l’Education, car il y a urgence : pas moins de sept ministres se sont succédé à la tête de l’Éducation nationale depuis la révolution sans qu’une réforme véritable n’eût vu le jour. Mais, faut-il le rappeler, les problèmes et les solutions sont connus, identifiés et diagnostiqués, d’ailleurs nombre de rapports savants dorment dans les tiroirs des ministres. Alors, à quoi servirait une nouvelle consultation nationale sur le secteur, d’autant plus que la participation serait sans aucun doute dérisoire?
Souffler le chaud et le froid
Ainsi, lors d’une cérémonie organisée jeudi 10 août 2023 au palais de Carthage et relayée en direct par la chaine publique Wataniya 1, et ce à l’occasion de la célébration de la Journée du savoir, le chef de l’Etat déclara solennellement : « Nous menons, actuellement, une guerre de libération nationale, et je suppose que l’ensemble du corps enseignant est engagé dans cette lutte que nous conduirons sans relâche ».
Cependant, a-t-il insisté, à l’avenir « il n’est pas question d’accepter ce qui s’est passé ces dernières années en matière de rétention des notes. Les élèves ne devaient pas se transformer en otages et les feuilles d’examen appartenir aux établissements scolaires ». Un avertissement à peine voilé aux enseignants tentés d’utiliser la rétention des notes comme une arme contre l’administration de tutelle. S’agit-il d’atteinte au droit constitutionnel de la grève? « Il ne fait aucun doute que les revendications des enseignants et des professeurs sont légitimes », rétorqua le président. De l’art de souffler le chaud et le froid!
Migration des cerveaux
Par ailleurs, « la vraie richesse qui ne s’épuisera jamais en Tunisie est la richesse humaine », souligna l’orateur fort justement. Rappelant à l’occasion l’existence de nombreuses compétences tunisiennes dans diverses spécialités que de nombreux pays, « même les plus avancés », cherchent à attirer. « Nous ne pouvons refuser de coopérer avec ces pays, mais il faudrait également trouver les moyens de retenir nos talents pour que le pays puisse bénéficier de leurs compétences », a ajouté le chef de l’Etat. « Qui prête à qui? Est-ce que nous leur prêtons sans taux d’intérêt et sans service de la dette, ou nous prêtent-ils de l’argent? » Ainsi ironisa Kaïs Saïed.
Soit. Mais comment retenir nos talents « dont la valeur ne peut être estimée en euros ou en dollars » avec des salaires dérisoires comparés à ceux de l’Europe; surtout comment résister aux sirènes de la liberté, d’un environnement sain et de l’épanouissement personnel dont nos jeunes manquent cruellement dans leur propre pays? Voilà le fond du problème, tout le reste n’est que tourner autour du pot.
« Un crime odieux »
Remémorant les nombreux problèmes et difficultés- tels que l’infrastructure, les programmes d’enseignement, l’abandon scolaire précoce, etc.- auxquels le secteur de l’éducation est confronté, le chef de l’Etat constate avec amertume que le taux d’analphabétisme dans le pays est en hausse constante et que le nombre d’analphabètes a atteint près de deux millions. « Cette situation est inacceptable et ne peut perdurer dans un pays qui a misé sur l’éducation dès l’indépendance », a-t-il encore souligné. Tout en estimant que « l’un des crimes les plus odieux commis contre le peuple est le coup porté au système éducatif public ».
D’ailleurs, a-t-il fait observer avec pertinence, « les taux de réussite à l’occasion des concours nationaux et d’entrée aux lycées pilotes sont à l’image du déséquilibre économique et social entre les régions ».
L’avenir quand même
Mais là où le bât blesse, c’est quand le président de la République évoque les inconvénients de l’intelligence artificielle (IA). Soulignant à ce propos qu’il n’est pas « surprenant » que le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, ait récemment mis en garde contre les risques de l’intelligence artificielle pour la paix et la sécurité mondiale.
« L’utilisation malveillante des systèmes d’IA à des fins terroristes ou criminelles pourrait provoquer des niveaux terribles de morts et de destruction, un traumatisme généralisé et des dommages psychologiques d’une ampleur inimaginable », affirmait le chef de l’Etat. En estimant qu’il s’agit « d’un danger imminent qui menace toute l’humanité », et appelant les Tunisiens à compter sur leur propre intelligence.
Que le président Kaïs Saïed se range dans le camp des personnes sceptiques quant aux dangers de l’utilisation malveillante de l’intelligence artificielle, est tout à fait de son droit. Mais de là à incriminer globalement une technologie qui révolutionnera sans aucun doute le 21ème siècle, est une autre paire de manche. Cela nous met en porte-à-faux avec l’avenir.