Madame Victoria Nuland est aujourd’hui l’adjointe du secrétaire d’Etat Anthony Blinken. En 2014, elle faisait partie des hauts fonctionnaires du département d’Etat au sein de l’administration démocrate de Barack Obama et de son vice-président, Joseph Biden.
Biden et Nuland ne seraient pas étrangers au coup d’Etat en Ukraine, en février 2014, contre le président légitime et démocratiquement élu, Viktor Ianoukovitch. Victoria Nuland était si active alors qu’elle s’arrogea même le pouvoir de désigner les membres du nouveau gouvernement illégitime qui devait remplacer le gouvernement légitime du président Ianoukovitch.
Mme Nuland avait joué un rôle déterminant dans la mise en place des conditions qui allaient aboutir, huit ans plus tard, à la guerre dévastatrice qui sévit aujourd’hui en Ukraine. Le plus terrifiant est que les principaux responsables, Biden, Blinken et Nuland, sont en train de traiter depuis un an et demi l’effrayant incendie ukrainien à coups de barils de kérosène.
Les 150 000 morts ukrainiens (chiffre du New York Times) et les milliers de morts russes de cette guerre fratricide ne comptent pas pour Biden & Co. qui tirent les ficelles loin de 8 000 kilomètres du théâtre des opérations.
De même, les 160 milliards de dollars déjà déboursés par le contribuable américain pour faire durer le carnage ne suffisent pas non plus, et Biden a demandé il y a quelques jours au Congrès une rallonge de 24 milliards…
La guerre d’Ukraine a commencé déjà à s’imposer comme thème principal de la campagne présidentielle américaine. L’ancien vice-président, le républicain Mike Pince, qui rivalise avec Donald Trump pour la candidature du parti républicain a cru de son intérêt de se montrer plus faucon encore que Biden en critiquant ce dernier pour « le retard dans la livraison d’armes pour l’Ukraine ». Mal lui en prit.
Il eut cette réponse cinglante du journaliste-vedette, Tucker Carlson : « Vous êtes malheureux que les Ukrainiens n’aient pas assez de tanks américains. Mais ces trois dernières années, chaque ville de notre pays a vu ses conditions se détériorer. Faites un tour en voiture, ça se remarque. Notre économie décline, le taux de suicide bondit, la saleté, le désordre et la criminalité augmentent de manière exponentielle, et vous vous inquiétez parce que l’Ukraine, un pays que la plupart des gens ici sont incapables de situer sur une carte, manque de tanks ! Il n’est pas injuste que je vous pose la question : est-ce que vous vous souciez des Etats-Unis dans cette affaire ? » (1).
Les ovations du public présent en disent long sur l’état d’esprit de l’Américain moyen sur les aides incessantes consenties par un pays dont la dette dépasse les 30 000 milliards de dollars et dont des dizaines de millions de citoyens, noirs et latinos essentiellement, vivent dans la dèche.
Mais revenons à Madame Nuland. Elle condamne aujourd’hui avec force le coup d’Etat au Niger et verse des larmes de crocodile sur le sort du président déchu, Mohamed Bazoum. Elle a même fait le déplacement à Niamey dans l’espoir de convaincre les nouveaux maîtres du pays à rétablir Bazoum dans ses fonctions et de regagner leurs casernes. Non seulement ceux-ci n’ont pas daigné la recevoir, mais, selon Associated Press, on lui a fait savoir par des tiers qu’« en cas d’agression contre le Niger par les pays de la CEDEAO, le président déchu sera tué »…
L’humiliation qu’ont fait subir à Niamey les auteurs du coup d’Etat à Victoria Nuland est-elle délibérée ? Nul doute que ceux-ci avaient en tête le rôle de celle-là dans le désordre sanglant qui endeuille l’Ukraine depuis 2014. Que l’architecte-en-chef du renversement du président ukrainien légitime s’oppose avec virulence au renversement d’un autre président légitime au Niger est pour le moins troublant.
Même si la politique des deux poids deux mesures est une constante de la politique étrangère américaine, la hiérarchie militaire nigérienne ne peut pas ne pas être excédée par l’irruption à Niamey de celle qui a fait en Ukraine ce qu’ils ont fait chez eux. C’est peut-être la raison pour laquelle ils ne l’ont pas reçue.
Cela dit, le trio Biden-Blinken-Nuland doit vivre des moments de grande frustration. Après un an et demi d’armement et de financement non-stop du régime ukrainien, les pertes quotidiennes en soldats et matériel subies quotidiennement par le régime de Zelensky dépassent les prévisions les plus pessimistes.
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Cité par Serge Halimi dans “Le Monde Diplomatique“, août 2023.