Moez Joudi, président de l’Institut tunisien des administrateurs, enseignant-chercheur et administrateur de sociétés, nous donne ici sa vision des choses, sa conception des priorités à venir pour le nouveau chef du gouvernement. Plus que des priorités, pour M. Joudi, il s’agit désormais de foyers d’incendies à éteindre : la pénurie notamment de pain, la caisse de compensation, les entreprises publiques, le budget 2023 et l’endettement. Autant de chantiers pour lesquels M. Joudi souhaite beaucoup de chance à M. Hachani, même s’il pense qu’avec l’actuel système de gouvernance, ce n’est pas gagné d’avance.
Avant de définir les priorités du nouveau chef du gouvernement, faisons d’abord l’état des lieux. Où en sommes-nous ?
Nous sommes dans une situation où il n’y a pas de visibilité. On n’a pas de visibilité dans le sens où on n’a pas vu de programme économique clair. C’est le cas du gouvernement Najla Bouden. Un gouvernement qui n’avait pas des intentions claires, qui ne savait pas vraiment ce qu’il faisait. L’accord avec le FMI en est la meilleure illustration. Il y a eu un accord technique, puis un retour en arrière. Déjà cela démontre qu’il y a un problème de gouvernance. Le président de la République qui a sa propre manière de voir et un gouvernement qui n’est pas forcément en accord avec cette vision.
Une situation qu’il faut clarifier parce qu’il y a des réformes urgentes à faire. On n’est pas dans une situation normale. On est dans une situation très compliquée, très difficile. La Tunisie est en train d’emprunter de l’argent pour rembourser d’anciens crédits.
Le pays se trouve aujourd’hui devant des choix qui sont réellement des casse-têtes chinois. Nous sommes dans un cas de figure où il faut choisir entre le remboursement des crédits et le financement des importations des produits nécessaires tels que les céréales, les matières premières et les médicaments. Voilà où nous en sommes. Nous sommes dans une situation de blocage. Dans une situation où on n’arrive pas à voir le bout du tunnel.
S’il y a une situation de blocage, un changement à la tête du gouvernement était donc nécessaire. Que pensez-vous de la nomination du nouveau chef du gouvernement, Ahmed Hachani ?
D’abord je souhaite à M. Hachani succès et réussite. Cela dit, il n’est pas très connu dans le milieu politique et économique. Rares sont ceux qui connaissent l’actuel chef du gouvernement. Cela n’empêche qu’il peut être un homme de valeur. On sait qu’il a eu un parcours à la Banque centrale. On sait aussi que la BCT, fondée par feu Hédi Nouira, est une vraie école financière et économique. Cela étant dit, je pense que pour cette période nous avons besoin d’un homme de réseau qui a des connaissances au niveau international. D’un homme qui a une certaine influence et une connaissance des rouages de l’Etat, qui connaît l’administration tunisienne, qui peut mettre en place les réformes les plus difficiles. Plus que des réformes, capable d’entamer des transformations dans la fonction publique, les entreprises publiques, la caisse de compensation, les caisses de sécurité sociale. Des transformations en profondeur et pour cela il faut un leader charismatique. Or, honnêtement, je ne vois pas en l’actuel chef du gouvernement ces qualités pour le moment. Peut-être qu’il en a d’autres.
Pour terminer, si vous aviez le nouveau chef du gouvernement devant vous, que lui diriez-vous ?
De prendre un peu de recul. D’être au-dessus de la mêlée. De laisser de côté tous ce qui est idéologique et les débats stériles autour du sexe des anges, comme on dit. Je lui dirais qu’il faut être dans le pragmatisme, dans le réalisme et surtout qu’il faut aller sur le terrain. Je lui dirais aussi d’aller en premier au port de Radès. De faire une visite au poumon de l’économie mais qui asphyxie aujourd’hui l’économie. Je lui dirais aussi, et surtout, qu’il faut écouter les opérateurs économiques. C’est très important aujourd’hui de les écouter. L’opérateur économique peut être un boulanger, un jeune qui va créer sa start-up ou un grand chef d’entreprise.
Extrait de l’interview qui est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 876 du 16 août au 13 septembre 2023