Il nous a quittés à l’orée de l’été comme il a toujours vécu. Sans donner à penser qu’il part pour longtemps ou toujours. Tahar Triki était de son vivant si présent qu’il occupait à lui seul un immense espace sans jamais le revendiquer. Il incarnait la vie dans ce qu’elle avait de plus beau, de plus sublime : un condensé d’intelligence, de finesse d’esprit, d’amitié, de loyauté et de droiture à l’état pur. Il ne prononçait jamais le mot qui fâche, ce qui n’enlève rien à sa détermination, à sa force de conviction et à sa capacité de manier l’arme de la dérision.
Tahar Triki ne s’étonnait de rien, il s’indignait du moindre écart et s’émerveillait de chaque rayon lumineux qui donne tout son éclat au rêve tunisien.
Il a aimé ce pays et sa région natale comme on peut rarement le faire. Et il les a fait aimer partout et par tous. Il avait la fibre patriotique chevillée au corps. Il s’était mis au service de l’idée qu’il se faisait de cette Tunisie éternelle qu’il porta au plus profond de lui-même. C’est comme s’il s’était donné pour mission de faire aimer ce pays et le faire respecter à travers ce qu’il a de meilleur et jusque dans ses travers. Il en a fait son engagement de tous les instants.
Il avait la passion de cette Tunisie en devenir autant que de son passé, de sa jeunesse et surtout de sa composante féminine qu’il n’imaginait pas ailleurs qu’au sommet de l’Olympe. Il était de tous les combats de l’émancipation féminine. Il était de ceux qui pensaient que la femme est l’avenir de l’homme, autant dire de l’humanité.
Il refusait les inégalités et les discriminations d’où qu’elles viennent. Fin lettré, il est très porté sur la lecture, aimait la musique et était passionné de jazz avec un brin de nostalgie, celle d’une époque, l’âge d’or d’une révolution culturelle post-indépendance. Il savourait ce passé autant qu’il s’employait à anticiper l’avenir sans jamais briguer les premières places dont il ne voulait pas. Il préférait l’audace de l’électron libre plutôt que les honneurs.
Le premier de cordée? Pas nécessaire ; il préfère se mettre en retrait comme pour préserver sa liberté de penser, de proposer et d’agir. Il avait tous les attributs pour diriger offices, entreprises publiques, voire maroquins ministériels. L’avait-on nommé à ces postes qu’il serait le meilleur. Il n’en a jamais voulu ni manifesté le moindre intérêt. Il voulait servir à sa manière la cause nationale, loin des feux de la rampe, sans se mettre en scène.
Esprit libre, il s’indignait de la moindre injustice et rêvait d’une vraie démocratie qui ne soit pas seulement de façade. Une démocratie aboutie, responsable, faite de libertés et d’obligations, qui consacre l’Etat de droit.
A la veille de sa mort, les fruits ne sont pas à la hauteur de la promesse des fleurs. Mais en homme averti par l’enseignement de l’histoire, il savait que le processus démocratique n’est qu’à son début, ce qui n’altère en rien son attachement aux valeurs démocratiques.
Assailli par la maladie, Tahar Triki a fini par lâcher prise et céder. C’est sans doute l’unique fois où il dut s’incliner.
Notre tristesse n’en est que plus grande. A son épouse, à ses enfants, à sa famille auxquels il était très attaché, toutes nos condoléances.
Paix à son âme.