La cheffe de la diplomatie libyenne, Najla al-Mangoush, a été « suspendue provisoirement » hier lundi. Et ce, au lendemain de l’annonce d’une rencontre controversée de la diplomate représentant la Libye avec son homologue israélien, à Rome, la semaine dernière.
C’est le coup classique. Avant de prendre une décision qui risquerait de heurter l’opinion publique ou de faire des vagues sur le plan régional ou international, il est d’usage qu’un gouvernement lance un ballon d’essai, quitte à se rétracter si les réactions étaient trop hostiles. Et c’est probablement ce qui s’est passé chez notre voisin du Sud, où le chef du gouvernement de Libye, Abdelhamid Dbeibah, a suspendu « provisoirement » sa ministre des Affaires étrangères, Najla al-Mangoush; tout en attendant les résultats d’une enquête.
Ainsi, dans un communiqué paru dimanche soir, M. Dbeibah fait part de sa décision de la traduire devant une commission d’enquête. Et ce, à l’issue de l’annonce dimanche 27 août d’une rencontre qu’elle a effectuée avec le ministre des Affaires étrangères israélien, Eli Cohen, la semaine dernière à Rome.
Une rencontre fortuite ?
De là à penser que la Libye emboîtera le pas à l’Egypte et au Maroc pour devenir le troisième pays de l’Afrique du Nord à normaliser ses relations avec Israël, il n’y a qu’un pas que certains observateurs ont allégrement franchi. D’autant plus qu’il semble fort improbable que la cheffe de la diplomatie libyenne- juriste spécialisée dans la médiation des conflits et les transitions et processus de paix et diplomate chevronnée- ait pris la décision de rencontrer son homologue israélien sans se référer au Premier ministre.
En effet, tout porte à croire qu’Abdel Hamid Dbeibah était au courant de l’entrevue et qu’il en avait même donné le feu vert le mois dernier, lors d’une visite à Rome. Pour ne rien arranger, le ministère des Affaires étrangères israélien a enfoncé le clou et déclaré lundi que la réunion avait été « planifiée au plus haut niveau ».
Bouc émissaire
Mais face au tollé soulevé par cette rencontre et pour calmer la colère de la population, Mme Al-Mangoush aurait donc servi de fusible. Ainsi, le Premier ministre avait annoncé son limogeage depuis l’ambassade palestinienne à Tripoli, où il s’est rendu pour exprimer, la main sur le cœur, « le soutien indéfectible » de son pays à la cause palestinienne. En affirmant à l’occasion que la position de Najla al-Mangoush « ne représente pas le gouvernement de la Libye, ni son peuple »; et que son pays « ne reconnaît pas Israël et s’oppose à toute normalisation avec l’Etat hébreu ».
D’ailleurs, pour l’instant, des informations contradictoires circulent sur le sort de la ministre « suspendue ». Certains médias affirment qu’elle a déjà quitté la Libye en direction de la Turquie; alors que d’autres soutiennent qu’elle a interdiction de quitter le pays.
Pour rappel, en Libye, toute relation avec Israël, ses ressortissants ou toute entité le représentant, est passible de poursuites pénales assorties d’une peine d’emprisonnement de trois à dix ans, en vertu d’une loi datant de 1957.
Réactions embarrassées
« Ce qui s’est passé à Rome a été une rencontre fortuite et non officielle qui n’a comporté aucune discussion, accord, ni consultation ». C’est ce qu’a affirmé le ministère libyen des Affaires étrangères dans un communiqué rendu public dimanche pour tenter de désamorcer la polémique. Rappelant par là même « de manière claire et sans ambiguïté la position de la Libye à l’égard de la cause palestinienne ».
Israël a vendu la mèche
Cependant, notons à ce propos que ce sont les médias israéliens qui ont révélé que la rencontre de Rome. Sachant que c’est la première du genre entre de hauts responsables politiques des deux pays. Laquelle a eu lieu il y a une semaine à Rome, grâce à la médiation du ministre italien des Affaires étrangères, Antonio Tajani.
Selon la chaîne de télévision israélienne I24 news, les deux ministres ont discuté des liens historiques entre les deux nations, de l’héritage des Juifs libyens; mais aussi de la possibilité d’une coopération entre les deux pays et de l’aide humanitaire israélienne.
« Cette réunion historique est la première étape dans les relations entre Israël et la Libye. La taille et la situation géographique de la Libye confèrent aux relations avec elle une importance et un potentiel énormes pour l’Etat d’Israël », déclarait pour sa part le chef de la diplomatie israélienne, Eli Cohen.
Par ailleurs, la chaîne d’information israélienne channel 12 a pour sa part révélé qu’il y avait « une véritable tempête au sein du ministère des Affaires étrangères, quant à la responsabilité de la crise diplomatique qui a éclaté après que le ministre Eli Cohen eut annoncé qu’il avait rencontré son homologue libyenne ».
Et de s’interroger « Que vont penser les pays qui veulent se rapprocher de nous? Qu’on ne peut pas faire confiance à la discrétion d’Israël? Il s’agit d’une violation des codes les plus élémentaires de la diplomatie ».
Au final, la rencontre de Rome aura provoqué un tollé en Libye, donnant lieu à des manifestations et des mouvements de protestation à Tripoli et dans plusieurs banlieues de la capitale, en signe de refus d’une normalisation avec Israël.
Des manifestants en colère ont fait irruption au ministère des Affaires étrangères et attaqué la maison du Premier ministre, Abdel Hamid Dbeibah. Puis ils ont gagné d’autres villes où des jeunes ont coupé les routes, brûlé des pneus et brandi le drapeau palestinien.
Une affaire à suivre.