35 ans après, Selima Sfar, première femme arabe à intégrer le top 100 au classement WTA, révèle avoir été abusée par son ancien entraîneur Régis de Camaret. Un témoignage poignant qui fait froid dans le dos et une leçon inégalable de courage.
Encore un témoignage glaçant de violences et d’abus sexuels exercés contre les femmes, même mineures. Une fois encore, le monde du sport de haut niveau est secoué par un scandale qui touche cette fois-ci une icône de la Nation tunisienne, Selima Sfar.
Comment une horreur pareille a-t-elle pu se produire sur une fillette de 12 ans, durant de longues années; avant que, plus d’un quart de siècle plus tard, sa parole ne se libère?
Omerta
C’est que les athlètes de haut niveau, notamment les femmes, sont souvent confrontés à une immense pression pour réussir et surtout de se maintenir au sommet. Ce qui les rend vulnérables aux abus. Les femmes-victimes, surtout les mineures, craignent en effet de ne pas être prises au sérieux, de subir des représailles si elles dénonçaient leurs agresseurs. Cette omerta a permis à ces monstres de violeurs exerçant une autorité morale sur leurs victimes de perpétuer leurs crimes en toute impunité.
Le cas de Selima Sfar, 46 ans est typique. Première femme arabe à intégrer le top 100 au classement WTA, elle a osé briser le silence en détaillant au quotidien sportif français L’Équipe les violences sexuelles qu’elle a subies pendant trois ans de la part de son entraîneur, Régis de Camaret, lorsqu’elle avait rejoint son centre d’entraînement à Biarritz, dans le sud-ouest de la France.
Un témoignage glaçant
Tout a commencé dès son arrivée en France, elle qui débarquait de Tunisie pour réaliser son rêve d’enfant. Un jour, son nouveau coach effectue avec elle le trajet entre l’aéroport de Bordeaux et Biarritz « Au milieu du trajet, il était une heure du matin, il s’est arrêté sur le bas-côté et il a commencé à me toucher, à faire des choses. À cet instant-là, je ne savais même pas ce qui se passait, je ne comprenais pas du tout. Il y a trente-cinq ans, 12 ans ce n’est pas 12 ans de maintenant. Je venais d’un pays arabe ». Ainsi, témoignait l’ex-championne d’Afrique junior.
Et de poursuivre : « On a continué la route et on est arrivé chez lui, tard. À l’étage, il y avait sa fille et sa chambre, je dormais sur le canapé-lit en bas. Je me suis couchée et une heure ou deux heures après, je me suis réveillée pendant qu’il me touchait. Puis c’est passé de l’attouchement au viol, très vite. À chaque fois, c’était la même chose, j’étais paralysée. Ça a duré pratiquement trois ans ».
«J’ai mis longtemps à me libérer », a-t-elle avoué. « C’est un gros traumatisme. Quand cela arrive, on se dit : j’ai tout sacrifié pour ça, il faut que j’y arrive. J’ai bossé comme une malade. Toute ma vie, j’ai pensé que j’étais faible, lâche, nulle. Jusqu’à ce que je comprenne. Aujourd’hui, à 46 ans, je peux parler parce que j’ai beaucoup travaillé sur moi et que j’ai été aidée. La honte a disparu. Quand je pleure, c’est de l’émotion. Ce ne sont pas les mêmes larmes. La honte s’est transformée en fierté. Je suis fière de ce que je suis devenue ». C’est ce qu’a encore déclaré notre championne à L’Equipe en confessant avoir « mis 25 ans à me l’avouer, 35 ans à le dire publiquement. « Respect à Isabelle Demongeot (ancienne numéro deux française du tennis, dont la plainte avait déclenché en 2005 la procédure judiciaire contre le même homme. NDLR et toutes les femmes qui ont parlé. Je comprends qu’on ne parle pas, il faut le faire au moment où on le sent », a-t-elle encore précisé.
« Dans ma tête, a-t-elle ajouté, je me disais pourquoi je n’ai pas eu la force de dire non, pourquoi je n’ai pas dit non, je suis lâche. Sur le court, à chaque moment où j’avais besoin de confiance en moi et de faire un choix, c’était hyper dur ».
« Mes parents et mes proches me disaient : heureusement, toi, tu es forte, tu n’aurais pas laissé cela arriver. Vous n’avez pas idée du mal que cela me faisait à chaque fois que j’entendais ces mots, la honte que j’avais. Ça me confirmait indirectement que j’étais lâche et faible. Je l’ai vécu pendant tout le procès. L’enfer. J’avais des idées noires », explique-t-elle. Tout en avouant « être tombée dans une vraie dépression » au moment du procès de son ex-entraineur, Régis de Camaret.
10 ans de prison pour le violeur
Pour rappel, l’ancien entraîneur de tennis, 71 ans, accusé des viols de deux anciennes pensionnaires mineures de son club de Saint-Tropez, a été condamné en février 2014 à dix ans de prison pour des faits qui ont eu lieu il y a plus de vingt ans. Notamment pour des viols et tentatives de viol sur deux joueuses alors âgées de 12 et 13 ans.
Une vingtaine de ses anciennes élèves l’accusaient devant la cour d’assises du Rhône d’attouchements sexuels et de viols à répétition commis entre les années 1977 et 1989. La plupart de ces faits présumés étaient prescrits; mais l’ancien entraîneur vedette risquait jusqu’à vingt ans de prison.
« J’ai honte et je demande pardon, c’est tout », a déclaré Régis de Camaret, en clôture de son procès en appel devant les assises du Var, après s’être muré dans le silence pendant sept jours d’audience.
Thérapie
Au final, si Selima Sfar a décidé de parler et de raconter les violences sexuelles qu’elle a subies à l’âge de l’enfance, ce n’est pas pour intenter une action en justice contre Régis De Camaret, son ancien entraîneur, alors même que les faits sont prescrits, mais pour se libérer d’un fardeau qui a pesé sur ses épaules durant de si longues années.
Faut-il rappeler que selon les psychiatres, les conséquences de ces violences sur les victimes sont dévastatrices : traumatismes psychologiques profonds, dépression, troubles alimentaires et même pensées suicidaires. Dans le cas de la tenniswoman tunisienne, la parole lui aura servi de thérapie!