Le recours aux banques semble assez coûteux pour les caisses de l’Etat. La démarche du chef de l’Etat qui est allé, le 8 septembre 2023, plaider pour emprunter auprès de l’Institut d’émission, s’inscrirait dans cette perspective. C’est envisageable, d’autant plus que certains pays ont eu recours à cette méthode de financement. Reste que cela prouve bien que l’Etat a des difficultés financières qui peuvent même, si un recours au FMI n’est pas envisagé, le mener « tout droit » vers « un défaut de paiement ». C’est du moins l’avis du professeur Hachemi Alaya. Mais ce n’est pas l’avis du président Saïed, qui croit dur comme fer que la Tunisie s’en sortira. Il s’est d’ailleurs attaqué aux Cassandre.
Ce numéro paraît le 13 septembre 2023. Il tombe quasiment à pic avec la rentrée des classes. Le 15 septembre 2023, pas moins de deux millions d’élèves prendront le chemin de l’école, du collège ou du lycée. Une rentrée des classes dont on ne cesse de parler, avec, entre autres, le renchérissement des fournitures scolaires.
L’Association tunisienne qui informe le consommateur et rationalise la consommation a annoncé, dès début août 2023, une hausse de 15 à 18% du coût des fournitures scolaires par rapport à l’année précédente. Et il faudra, selon le président de l’Association, Lotfi Riahi, « débourser entre 800 et 850 dinars par élève ». Sur le plan social, et bien que la rentrée semble se dérouler grosso modo – heureusement – dans de bonnes conditions, le dernier communiqué de la Commission administrative sectorielle de l’enseignement de base de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), du 7 septembre 2023, fait craindre de nouvelles difficultés au niveau social. Le ministère de l’Education est appelé à reprendre des négociations (« sérieuses et responsables ») avec la Fédération de l’enseignement de base. Il est également revendiqué « le versement immédiat des salaires des enseignants et l’annulation des mesures contre les directeurs d’écoles ».
Tranquilliser l’opinion
La Tunisie retrouve, avec cette rentrée scolaire, les mêmes maux et les mêmes problèmes. Fini le farniente des vacances d’été, les mariages, les virées à la plage, « les pieds dans l’eau » pour ceux qui peuvent se le permettre ! La hausse des prix est toujours là. D’après l’Observatoire national de l’agriculture (Onagri), fin août 2023, il est même arrivé que des produits agricoles atteignent une hausse supérieure à 100% par rapport à l’année précédente : pastèque (134%), piment (120%), raisin (105%), melon (101%)… Le gouvernement est-il dépassé ? Il s’agit évidemment de prix dus à une conjoncture internationale difficile dont tout le monde mesure la portée : les effets de la guerre d’Ukraine et les contraintes au niveau du transport du blé, la sécheresse et tutti quanti. Mais il y a aussi des causes structurelles bien nationales, dues en partie à l’inaction. Le gouvernement tente de tranquilliser l’opinion en montrant, à travers nombre d’audiences et de conseils gouvernementaux, qu’il est bien En quête d’une nouvelle source de financement Le recours aux banques semble assez coûteux pour les caisses de l’Etat. La démarche du chef de l’Etat qui est allé, le 8 septembre 2023, plaider pour emprunter auprès de l’Institut d’émission, s’inscrirait dans cette perspective. C’est envisageable, d’autant plus que certains pays ont eu recours à cette méthode de financement. Reste que cela prouve bien que l’Etat a des difficultés financières qui peuvent même, si un recours au FMI n’est pas envisagé, le mener « tout droit » vers « un défaut de paiement ». C’est du moins l’avis du professeur Hachemi Alaya. Mais ce n’est pas l’avis du président Saïed, qui croit dur comme fer que la Tunisie s’en sortira. Il s’est d’ailleurs attaqué àux Cassandre. -Le chef de l’Etat au cours de son entretien, le 8 septembre 2023, avec le gouverneur et la vice-gouverneur de la BCT. Sortir de la voie des emprunts bancaires ? Politique aux commandes. Reste que la communication ne donne pas toujours les résultats attendus.
« Au détriment des consommateurs »
Le chef de l’Etat s’est mobilisé au cours de l’été 2023 pour dire tout le mal que font au pays les spéculateurs au niveau de la fabrication du pain et ses principaux acteurs, les boulangeries. Un sujet dont s’est saisie jusqu’à la presse internationale, qui a même parlé de « guerre du pain » (le quotidien français Le Figaro du 13 août 2023 ) soulignant que « l’exécutif accuse les boulangers d’être responsables de la crise du pain, paraugmentant leurs prix au détriment des consommateurs ». Les chiffres parlent d’eux-mêmes cependant, à cause sans doute de la spéculation qui peut être induite par la rareté du produit : les importations de blé ont baissé au cours des quatre premiers mois de l’année en cours en comparaison avec la même période de l’année précédente, passant de 443,4 à 343,4 mille tonnes. On sait qu’obtenir du blé à l’échelle mondiale n’est pas toujours facile, mais le constat est là, il y a un déficit à ce niveau !
« L’État n’a pas tenu ses engagements »
Les experts estiment que la Tunisie pourrait encore connaitre des jours difficiles. Ainsi, l’économiste et ancien ministre du Commerce, Mohsen Hassan, a déclaré, le 24 août 2023, chez notre consœur Express Fm, que « le dernier trimestre de 2023 devra être un trimestre difficile concernant l’acquisition par l’Etat des produits de base, de l’énergie et des médicaments ». Et ce, en raison « des faibles moyens dont il dispose et de son incapacité à respecter ses engagements à l’endroit des entreprises publiques chargées d’assurer les achats, comme l’Office du commerce, l’Office des céréales et la Pharmacie centrale ». Mohsen Hassan avait également indiqué, le 15 août 2023, chez notre consœur Mosaïque Fm, que « l’État n’a pas tenu ses engagements de transférer les dus de l’Office du commerce s’élevant à 2,45 milliards de dinars, ce qui l’a conduit à une situation désastreuse, où il s’est retrouvé dans l’impossibilité de payer ses dettes ».
Et au même chapitre, le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi, a affirmé, lors de l’ouverture des travaux du 18ème Congrès de la Fédération générale du transport, le 9 septembre 2023, que « le taux d’importation des produits de base a régressé de 90% », affirmant que ce n’est pas avec « des méthodes détournées qu’on peut lever la subvention ». Les pénuries, même s’il ne faut pas exagérer le propos, sont visibles. S’ils ne sont pas totalement absents, des produits comme le riz, le sucre, la semoule et la farine manquent. Et les files d’attente sont quelquefois visibles devant les boulangeries. S’agit-il aussi, comme l’a souligné un temps la ministre du Commerce, Kalthoum Ben Rejeb, d’une panique du consommateur?
« Exposition de la dette extérieure»
De toute façon, le pays semble aller mal, selon le professeur de sciences économiques, Hachemi Alaya, qui a publié, le 30 août 2023, dans le site de notre confrère Al Boursa, un article qui pourrait valoir, comme on dit, le détour. Il y évoque même « un pays au bord d’un défaut de paiement » (sic). Il a précisé, à ce stade, que le refus du chef de l’Etat d’entériner l’accord conclu avec les experts du Fonds monétaire international (FMI) conduirait « tout droit » à ce défaut. Qualifiée d’«angoissante » par le professeur Hachemi Alaya , la situation est quasiment résumée dans une seule phrase : « la Tunisie doit faire face cette année à l’exposition de sa dette extérieure qu’elle doit honorer en devises : une charge de la dette qui doit augmenter de + 47,9% par rapport à 2022 pour atteindre 9 milliards de dollars (6,7 milliards de dollars au titre du remboursement du capital et 2,27 milliards de dollars au titre des intérêts) », soit, environ, dans l’ordre, 28,15 milliards de dinars, dont 20,95 milliards de dinars et 8,44 milliards de dinars.
Emprunter à la BCT
Le chef de l’Etat n’est pas de cet avis. On l’a vu, le 8 septembre 2023, défendre devant le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) ses choix, excluant le recours aux injonctions du Fonds monétaire international (FMI) et écartant un effondrement. Ses critiques sont allées à des Cassandre. Il a répété, au cours de sa visite inopinée à la BCT, qu’il refusait un accord avec l’institution née des accords de Bretton Woods. Une position qui ne semble pas être en totale harmonie avec son gouvernement. Le ministre de l’Economie et de la Planification, Samir Saïed, a dit, le 28 juillet 2023, au cours d’une séance à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) que l’accord avec le FMI est « nécessaire pour disposer des ressources nécessaires à la mise en œuvre du plan de développement ». Il a affirmé que dans le cas contraire, le pays ne pourra pas sortir sur le marché international pour emprunter.
Kaïs Saïed est allé à la BCT pour évoquer la possibilité de pouvoir emprunter de l’Institut d’émission. Cette éventualité est impossible aujourd’hui, vu le paragraphe 4 de l’article 25 du statut de l’Institut d’émission : « la Banque centrale ne peut octroyer à la Trésorerie générale de l’Etat des facilités sous forme de découverts ou de crédits, ni acquérir directement des titres émis par l’Etat » (loi n°2016-35 du 25 avril 2016 portant fixation du statut de la Banque centrale de Tunisie). Un article qui va sans doute être revu et corrigé.
Récupération des fonds détournés à l’étranger
Or, l’Etat a bien besoin de cette source de financement. C’est que le recours aux banques est on ne peut plus « désobligeant » pour les ressources de l’Etat qui ne cesse d’emprunter auprès des banques. En allant à la BCT, l’Etat paierait moins, autour de 4%, si l’on croit des spécialistes, en lieu et place de 7%. Sans oublier que ce recours à l’Institut d’émission permet de décharger un tant soit peu les banques et de diversifier les sources d’emprunt. Et cela est envisageable. Un pays comme l’Egypte a eu recours à cette méthode. A condition, assure-t-on, que cela soit dans une certaine proportion. En Egypte, par exemple, cela ne peut dépasser 10% des ressources du budget pour la moyenne des trois années qui précédent l’emprunt. C’est une solution d’autant plus envisageable que l’Etat semble avoir des difficultés à obtenir d’autres sources de financement. Cela semble grincer un tant soit peu du côté de la Commission nationale de conciliation pénale, comme du côté de la récupération des fonds détournés à l’étranger, objet de l’audience accordée, le 28 août 2023, par Kaïs Saïed au ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, Mohamed Rekik, et au chargé du contentieux de l’État, Ali Abbès.
Cet article est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 877 du 13 au 27 septembre 2023