La dernière visite du président de la République à la Banque centrale de Tunisie a relancé le débat sur l’indépendance de cette institution fondée par feu Hédi Nouira. Introduite par la loi n° 2016-35 du 25 avril 2016, l’indépendance de la BCT est désormais remise en question. La question, situation financière du pays oblige, se pose de savoir si la BCT doit financer directement les caisses de l’État. Il est vrai que selon la loi en vigueur, la BCT s’occupe, uniquement, de la politique monétaire, c’est-à-dire de réguler la quantité de monnaie circulant dans l’économie, de veiller à la stabilité des prix et d’ajuster les taux d’intérêt. Elle n’intervient pas dans les questions liées au budget et à l’équilibre des finances publiques. Il semble que cela ne plait pas à tout le monde. Les critiques ont évolué de simple interrogation sur sa politique monétaire jusqu’à la remise en cause de son indépendance et à l’exigence qu’elle s’implique dans ce qui relève de la croissance et du développement du pays. On dénonce, à ce propos, la loi 2016 d’avoir créé des intermédiaires entre la BCT et l’État : les banques. Des banques qui s’enrichissent, dira-t-on, pour des transactions sans risques aux dépens des petites et moyennes entreprises. Sauf que ce n’est pas l’avis de tout le monde. Certains soutiennent l’indépendance de la BCT. Pour eux, on ne peut pas être juge et partie ! On peut, toutefois, procéder à une vraie réforme du secteur bancaire et financier. Un système bancaire désormais chargé de tous les maux. En tout cas, le débat est ouvert et les arguments des uns et des autres sont souvent d’ordre économique, sauf qu’il y a toujours un relent de politique qui l’anime. Un débat que l’Economiste Maghrébin vient de lancer. Foncièrement pour l’indépendance de la Banque centrale, Moez Joudi, président de l’Institut tunisien des administrateurs, appelle toutefois à une vraie réforme du secteur bancaire et financier, avec moins de présence de l’Etat dans le secteur, surtout en tant qu’acteur.
Après la dernière visite du président de la République à la BCT, la question de l’indépendance de cette dernière s’est de nouveau invitée dans le débat.
La BCT est une institution prestigieuse et valeureuse de l’Etat tunisien, bien ancrée historiquement dans le paysage économique et financier du pays. Il est primordial qu’elle puisse occuper son rôle de gardienne du temple et d’organe de gouvernance économique et financière.
La question de l’indépendance de la BCT est très mal posée et le débat sonne faux à ce niveau ! La BCT est une institution publique faisant partie intégrante des institutions de l’Etat. Quand on parle d’indépendance, il s’agit de la politique monétaire de la BCT, qui doit s’atteler à préserver les équilibres financiers du pays et à éviter les niveaux élevés de l’inflation.
L’augmentation des dépenses publiques et les cumuls des déficits budgétaires peuvent être en effet des sources d’inflation, outre les surchauffes au niveau des sphères économique et financière. Il revient à la politique monétaire de la BCT de faire face aux dérives budgétaires et aux déséquilibres entre l’offre et la demande créés par la masse monétaire en circulation.
Pour la forme, comment les marchés financiers internationaux vont interpréter cette visite inopinée du président de la République au siège de la BCT ?
Tout dépendra des décisions qui en découleront ! A ce niveau, je compte sur la sagesse et le sens de l’Etat du président de la République afin de garantir à la BCT ses marges de manœuvre et l’objectivité de ses politiques monétaires. Le président de la République est cependant invité à revoir son jugement par rapport à la Commission tunisienne d’analyse financière (CTAF). La considérer comme une commission de « malversation financière » est très contreproductif et ne sert pas l’image du pays ! La Tunisie a enduré de mauvais moments, de 2017 jusqu’à 2019, pour sortir des listes noires du GAFI et jusqu’à maintenant, elle est sous-surveillance. La CTAF a œuvré pour réussir cette sortie et permettre à la Tunisie de se retrouver dans des zones moins contraignantes. Qualifier aujourd’hui la CTAF de « commission de malversation financière » pourrait contribuer à décrédibiliser cette institution et nous remettre dans les radars du GAFI ?!
On revient là à la question du financement du budget de l’Etat à travers les banques commerciales à des taux élevés. On critique la BCT, notamment en ce qui concerne sa politique monétaire basée sur la maîtrise de l’inflation à travers l’augmentation des taux d’intérêt. Êtes-vous de cet avis ?
La BCT agit avec les moyens du bord. Son arme absolue, c’est le taux d’intérêt directeur ! Et sa première mission est de juguler l’inflation et d’agir pour que le taux ne dépasse pas les niveaux tolérés (3%-4%). Certes, l’arme du taux d’intérêt est une arme à double tranchant, puisque d’un côté, elle permet d’atténuer les tendances inflationnistes et de l’autre, elle impacte négativement l’investissement et la croissance économique. Mais, à un moment donné, il faut savoir trancher dans le vif et opter pour des choix en adéquation avec les priorités absolues. Je pense objectivement que la BCT a réussi à contenir les pressions inflationnistes avec sa politique des taux, mais son action demeure insuffisante. Celle-ci doit être en effet conjuguée à une action gouvernementale d’envergure afin de juguler durablement l’inflation qui a d’autres causes en Tunisie, outre la cause financière et monétaire.
Extrait de l’interview qui est disponible dans le Mag de l’Economiste n 878 du 27 au 11 octobre 2023