Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous. L’expression est de Mme Néjia Gharbi, directrice générale de la CDC. Cette soldate de l’ombre a fait de cette conviction sa ligne de conduite, pour ne pas dire sa règle de vie. La CDC, de par son rôle et sa mission, est un acteur majeur et un puissant levier d’une croissance inclusive et d’un développement durable. Néjia Gharbi, de concert avec son équipe dont elle loue de dévouement et l’engagement, a fait sienne cette ambition, avec pour ultime finalité : le droit au développement pour tous. Elle porte haut et fort ces valeurs dans un souci d’équilibre régional, générationnel et entre les genres.
La CDC, fortement imprégnée de RSE, est pleinement motivée dans cette dynamique de transformation et de développement, en investissant via ses multiples canaux dans les régions victimes des anomalies de l’Histoire ou des lois mercantiles de l’économie de marché. Bras financier et gestionnaire de fonds publics, la CDC s’emploie à développer l’entrepreneuriat des jeunes et des moins jeunes, à rétablir l’égalité des chances et des genres, à élever l’efficacité globale de l’économie, à promouvoir l’économie verte et bas carbone. Et à donner sens et chair au PPP.
La CDC, fortement imprégnée de RSE, est pleinement motivée dans cette dynamique de transformation et de développement, en investissant via ses multiples canaux dans les régions victimes des anomalies de l’Histoire ou des lois mercantiles de l’économie de marché.
La CDC a les moyens – et la volonté – de cette prétention. Elle a d’autant plus de ressources – et pas que financières – qu’elle a les faveurs d’un vaste réseau à l’international (les organismes similaires, la BM, les agences de développe- ment…). D’une année à l’autre, elle a pu élargir son périmètre d’interventions et d’actions pour impulser la reprise, contribuer au redressement de l’économie et entretenir une réelle dynamique de création d’entreprises et de richesses. Avec toute la rigueur managériale qui sied à une institution qui se veut une référence et un modèle de gouvernance. Avec un ton calme et rassurant qui lui est propre, Néjia Gharbi l’affirme avec force conviction. Interview.
La CDC est le premier investisseur institutionnel en Tunisie, mais ses actions sont peu visibles puisqu’elle coopère avec les autres institutionnels. Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs le périmètre d’activité de la Caisse ?
Cette question de visibilité nous a été invoquée à maintes reprises, mais la nature de notre activité ou plus précisément de notre intervention est restreinte. La CDC est un investisseur institutionnel de long terme, qui intervient essentiellement dans le financement des projets structurants de taille importante (ticket minimum fixé par la Commission de surveillance à 5 MD plafonné à 20% du montant de l’investissement global).
Revenons à votre question. Le législateur a défini dans le décret-loi de création de la Caisse 3 axes d’intervention :
- La réalisation ou la participation aux investissements, quels que soient leurs délais d’une manière directe ou indirecte ou dans le cadre de partenariat avec le secteur privé dans tous les domaines économiques à caractère stratégique tout en veillant à leur viabilité économique et spécialement dans l’infrastructure, le développement régional, les secteurs des nouvelles technologies, de l’environnement et du développement durable.
- Le soutien aux PME.
- L’intervention sur le marché financier.
La CDC est un investisseur direct dans 6 technopoles qui ont un impact important dans l’animation de l’écosystème entrepreneurial et l’in- novation. Elle intervient aussi dans les régions via les Sicars publiques régionales, soit par une prise de participation au capital (Tataouine et Kébili), soit via l’injection des fonds dédiés aux investissements, à l’instar de la ligne budgétaire Sicars régionales.
La CDC est présente également dans 27 et bientôt 28 fonds d’investissement, dont trois offshores. Sans compter les interventions directes, les différents rapports d’activité ainsi que notre site vous offriront plus de détails.
La Caisse est également un des investisseurs institutionnels de référence sur le marché financier.
La CDC, en plus de sa qualité d’investisseur, est également un initiateur et innovateur. Très bientôt, la Tunisie se dotera de ses Green Bonds. C’est un travail de longue haleine que la Caisse a mené en étroite collaboration avec le CMF, la BVMT et tous les acteurs, accompagnée par la Banque mondiale. Ainsi, la diversification des sources de financement se renforcera après avoir introduit depuis 2015 le financement OCA, en collaboration avec la Banque mondiale également. En même temps, nous avançons dans le process d’accréditation au « Green Climate Fund » des Nations unies (GCF), qui permettra de lever des financements de ce fonds pour les projets verts en Tunisie, mais la procédure requiert l’existence de projets verts dans le portefeuille. Comme vous le constatez, la CDC est très active et assez innovante, mais vu la taille de ses interventions, elle n’est pas une institution grand public.
Vous êtes un acteur majeur du Private Equity. Quelles sont vos principales réalisations et que pensez-vous du développement de l’industrie du capital en Tunisie ?
Je confirme, le secteur du Private Equity a considérablement évolué de- puis l’avènement de la création de la CDC. C’est le témoignage des acteurs du secteur. C’est surtout la profondeur de ses interventions qui ont doté le marché de la stabilité souhaitée et d’une source de financement moyen et long termes, chose que le secteur bancaire et financier n’offre pas. La présence de la CDC a même encouragé les banques à prendre part dans les financements moyen et long termes aux côtés de la Caisse. Au 31 décembre 2022, la CDC compte dans son portefeuille 25 participations dans des fonds d’investissement totalisant 187 millions de dinars. Ces fonds sont gérés par 13 sociétés de gestion partenaires, dont 21 fonds locaux souscrits de taille cible 876 MDT et deux véhicules de financement, 188 projets financés dont 80 en ZDR et 6752 emplois créés ou maintenus, dont 3480 en ZDR. Elle a souscrit pour 15 millions d’euros et 10 millions de $ (dans 3 fonds régionaux), avec, jusque-là, 17 sorties des fonds réalisés.
La plateforme JoussourINVEST (www.joussourinvest.tn) a offert un financement en dehors du secteur bancaire au grand public en mettant en relation les besoins avec les offres des acteurs du marché du Private Equity, un financement sans intermédiaire et totalement digitalisé.
Comment la CDC apporte son soutien aux startups ?
La CDC était derrière la dynamisation d’un écosystème Startup en Tunisie. Une brève rétrospective aiderait les lecteurs à mieux saisir le processus existant. En effet, en concertation avec le ministère des TIC, la CDC a été mandatée pour structurer le financement aux startups, mais le cadre juridique adéquat n’était pas encore en place et sans un cadre juridique clair et sans vision stratégique, aucun bailleur de fonds n’était prêt à financer cette action.
La CDC, outillée par ses partenariats, a pu mobiliser Bpifrance pour réaliser l’étude stratégique et la doctrine d’intervention en matière de startup, avec un financement de l’AFD. Tous les bailleurs, essentielle- ment la Banque mondiale, ont participé à l’élaboration de ce travail, chose qui a fait épargner à la Tunisie les longs délais d’approbation. La Banque mondiale fut le premier répondant. Un programme de financement des startups et PME innovantes a été signé avec la Banque mondiale pour 75 millions de $, ce qui a permis la souscription initiale au fonds de fonds ANAVA dédié aux startups. Un vrai écosystème monté de toutes pièces a vu le jour après la promulgation du Startup Act en 2018.
Le programme avec la Banque mondiale a permis aussi de mobiliser tous les mécanismes d’appui aux startups et aux acteurs de soutien de l’écosystème, en plus du financement en capital aux startups, mais également aux PME innovantes et confirmées dans leurs secteurs via le fonds InnovaTECH.
La GIZ et la KFW ont contribué très positivement à la réussite du programme par le cofinancement du programme d’accompagnement Flywheel pour GIZ et la souscription au fonds de fonds ANAVA pour KFW.
Pour l’implémentation du programme, une structure dédiée aux startups a été créée, à savoir SMART CAPITAL. Le rôle de la CDC est de véhiculer tous les mécanismes de financement, de veiller à l’atteinte des objectifs et surtout d’apporter les solutions pour dynamiser l’éco- système des startups, dans l’objectif de faire de la Tunisie un grand hub de l’innovation dans sa région.
Vous soutenez également les femmes entrepreneures. Quelles sont les actions que vous avez menées pour le faire ?
L’élément Genre est au cœur de l’action CDC, aux côtés du Green et du Numérique. La CDC est un investisseur institutionnel de long terme au service de l’intérêt général, un investisseur d’impact. Cette conviction s’est traduite dans toutes les actions de la Caisse. Une charte d’investissement a été mise en place, définissant les engagements qu’un investisseur devrait observer s’il entend bénéficier d’un financement CDC. A la tête de ces exigences : la concrétisation de l’élément Genre dans tout investissement éligible.
L’engagement Genre de la Caisse ne s’est pas limité à ce qui a été cité. Des initiatives dédiées aux femmes ont vu le jour à travers l’initiative ENLIEN et son financement d’initiatives qui s’adressent aux femmes, à l’instar du projet Souk el Kahina de Enda Interarabe ou bien l’initiative totalement dédiée aux femmes détenant des startups. Je cite le projet FAST (Femme Accélération Startups et TPE) qui finance les programmes d’accompagnement des femmes dans les régions, les pro- grammes d’accélération et l’open innovation visant la mise en relation des startups avec les PME et les groupes industriels. L’entrepreneuriat féminin occupe une place centrale dans le projet FAST, visant ainsi à réduire les inégalités entre les hommes et les femmes dans l’ensemble de ses activités. Cela se traduira par l’incitation à soutenir des projets portés par des femmes et par l’intégration de préoccupations liées au genre dans les actions d’assistance technique.
Les deux initiatives sont réalisées avec un financement de l’AFD.
La CDC est censée être une locomotive pour établir des partenariats public-privé. Quelles sont vos réalisations à ce niveau et est-ce qu’il y a des projets dans le pipe ?
La CDC a été créée pour apporter un changement profond et majeur dans le modèle économique de promotion des investissements de l’Etat. Un élément primordial dans la façon de s’y prendre est le mode de financement adopté par la CDC qui reste le mode PPP par excellence.
La Caisse pousse vers l’adoption de ce mode dans les investissements qu’elle approuve et afin de confirmer ce mode, elle a été derrière la mise en place d’une ligne de financement des études de faisabilité des PPP, une ligne qui s’est transformée en fonds dédié aux financements des études et d’accompagnement des projets PPP, lancé par l’Instance Générale de Partenariat Public-Privé (IGPPP) et dont la CDC est le premier souscripteur.
La CDC n’a pas épargné ses efforts. Par ailleurs, un accord de partenariat a été signé avec l’IGPPP. La CDC est, désormais, annoncée dans tous les appels lancés comme étant un partenaire qui se réserve le droit d’y participer. Elle a signé aussi depuis 2020 un accord de partenariat avec le Fonds STOA (Groupe CDC & AFD) pour le co-financement des projets PPP en Tunisie. Nous n’attendons que la concrétisation.
Quelles étaient les performances financières de la CDC en 2022 ?
La CDC compte parmi les rares entreprises publiques bénéficiaires. Nous avons pu clôturer l’exercice 2022 avec un résultat positif de 118,9 millions de dinars contre 50,3 millions de dinars en 2021, un total Capitaux propres de 527.8 millions de dinars, un total Bilan de 10 592 millions de dinars et des ressources de 9 434,5 millions de dinars. La CDC n’a pourtant pu disposer que de 203 millions de dinars à titre d’avances, le reste étant placé chez le Trésor.
Vous avez récemment participé à la conférence internationale du Forum des Caisses de dépôts. Quel est le bilan de votre coopération internationale et quelles sont les nouvelles pistes de collaboration ?
La CDC compte parmi les membres les plus actifs de ce Forum, qu’elle a accueilli à Tunis en 2015. Depuis, le Forum a connu de très grands changements et un travail de longue haleine a été en- trepris. Le Forum dispose d’un secrétariat général depuis 2017. Bientôt, une plateforme digitale d’échange entre Caisses verra le jour grâce à une initiative tunisienne lancée pendant la pandémie. De nouvelles Caisses subsahariennes ont vu le jour depuis et le modèle tunisien est très inspirant pour les nouvelles Caisses. La Caisse tunisienne a présenté une initiative de création d’un fonds d’investissement inter-Caisses, qui a trouvé son chemin. La concrétisation suivra. Une fois créé, ce fonds sera d’un grand soutien à nos investisseurs dans les pays dotés d’une Caisse de dépôts et vice-versa. Des projets de partenariats et de coopération économique sont d’actualité. La promotion de l’épargne de la diaspora est au rendez-vous. Une mission d’expertise France sera à Tunis la semaine prochaine, pour s’inspirer de l’initiative lancée en 2019 entre la CDC tunisienne et la CDP italienne. Il s’agit de tirer des leçons et de capitaliser sur cette expérience leader pour développer une initiative commune à toute les CDC appelée DIASDEV, dans le but de faciliter l’utilisation de l’épargne de la diaspora pour promouvoir et booster l’investissement dans les pays d’origine.
Vous êtes certifiée RSE depuis décembre 2019 par le Label CONECT, validé par Veritas, faisant de vous la première institution publique labellisée RSE. Comment cela est-il matérialisé dans votre politique d’investissement ?
La CDC est un investisseur public engagé de long terme, qui cherche l’impact dans toutes ses actions. La RSE s’inscrit dans cet engagement que la Caisse montre et veut faire prévaloir. Un investissement ne peut pas être qualifié d’élément de développement s’il n’a pas un impact environnemental et social. La charte de l’investisseur mise en place par la CDC et à laquelle adhère tout bénéficiaire d’un financement pro- venant de la Caisse est très regardante de ce côté. Tout projet éligible devrait avoir une composante RSE et si le promoteur ne la prévoit pas, la Caisse pousse à ajouter cette donne.
La RSE est une démarche volontaire de la Caisse, qui s’est traduite également dans son quotidien, ses acquisitions, ses recrutements et dans toute action qu’elle entreprend.
La CDC est également certifiée MSI 20000. Est-ce que cette attestation de qualité financière impose une certaine rigueur dans la gouvernance de vos partenaires ?
Effectivement, si la CDC s’est engagée pour avoir ce label international, c’est essentiellement pour contrôler toutes ses actions et participations et avoir la certitude de la bonne exécution de sa doctrine d’investissement et de son respect des normes prudentielles qui lui sont propres et de celles aux standards internationaux, puisque la Caisse est un acteur éligible aux fonds internationaux.
Le label MSI 20000 est un label de solidité financière qui exige des implications et un respect rigoureux des normes internationales de bonne gouvernance et de solidité financière. Le suivi est continu et la certification est renouvelable tous les trois (3) ans. Si la CDC a obtenu le renouvellement de sa certification en 2022 dans une conjoncture très critique mondialement, où de grandes firmes se sont vu retirer leur certification, c’est le signe très positif que la gouvernance au ni- veau de la Caisse est bien gérée. Nous avons aussi évalué le portefeuille de la Caisse pour nous assurer de leur solidité financière.
Quelles sont les ambitions de la CDC pour les années à venir ?
Jouer pleinement son rôle d’investisseur public de long terme, impulser la relance économique et être un élément déterminant dans cette reprise, réussir les actions entreprises et être à la hauteur des attentes. La CDC veille à jouer pleinement son rôle dans le financement des projets d’infrastructure notamment en PPP, à contribuer au développement de l’entrepreneuriat, notamment dans les régions, en apportant des solutions et en proposant de nouveaux mécanismes de financement, à l’accompagnement des transitions majeures du pays, à savoir la transition énergétique et écologique et la transition numérique et digitale, et à dynamiser le marché financier.
Une dernière question : que souhaiteriez-vous dire à vos partenaires locaux et étrangers et, de manière générale, aux jeunes pour éveiller leur instinct entrepreneurial ou leur envie d’entreprendre ?
A nos partenaires, je dirais que la CDC est un tiers et un partenaire de confiance. Ce ne sont pas de simples propos, c’est une réalité. Toute partie qui a travaillé avec la Caisse en est témoin, je le dirais aussi à toutes celles qui travailleront avec la CDC. Nous sommes soucieux de notre réputation et responsables de nos actions. Nous sommes engagés comme investisseur d’impact, avec un impact social et environnemental positif et mesurable, tout en assurant un rendement financier. A nos jeunes, je dirais deux mots : Osez entreprendre et soyez confiants. Notre rôle est de mobiliser les financements en plus des ressources de long terme. Nous sommes mandatés pour les sécuriser et les fructifier dans des investissements long-termistes, viables et au service de l’intérêt public.
Cette interview est disponible dans Spécial Finance du Mag de l’Economiste Maghrébin d’octobre 2023