En réponse à l’appel de M. le Président de la République qui nous a demandé de compter sur nous-mêmes et sur nos propres moyens pour relancer l’économie nationale, j’ai présenté, dans un précédent article publié dans l’Economiste Maghrébin n° 872 du 21 juin 2023, deux propositions :
– La création d’un ministère dédié à l’énergie ayant pour objectif l’accélération de la transition énergétique.
– La création d’une entreprise d’énergie renouvelable qui, à l’instar de l’Entreprise Tunisienne d’Activités Pétrolières « ETAP » cible les investissements extérieurs dans le domaine des énergies renouvelables.
Dans le présent article, je présente une proposition qui consiste à booster la transition énergétique à l’échelle nationale, essentiellement au niveau des entreprises tunisiennes (régime autoproduction) et ce par l’octroi d’incitations significatives.
Actuellement, en Tunisie, le déficit de la balance énergétique est de l’ordre de 6 milliards de dinars (fin août 2023). La part des énergies renouvelables dans la consommation globale des énergies représente environ 4%. Ce taux est de 23% en Jordanie, 19% au Maroc et 11% en Egypte. L’objectif de notre pays est d’atteindre 35% en 2030. Au rythme actuel, ce pourcentage semble impossible à réaliser. Il y a lieu donc de chercher des solutions pour booster la transition énergétique dans le but d’atteindre l’objectif fixé.
I-L ’octroi des incitations substantielles
I.1 – A l’échelle internationale
I.1 – A l’échelle internationale
Selon le rapport de l’Agence Internationale de l’Energie de mai 2023, les investissements mondiaux dans les énergies propres sont en passe d’atteindre 1700 milliards de dollars en 2023 et l’énergie solaire vient pour la première fois éclipser la production pétrolière.
Selon le même rapport, les investissements dans les énergies propres devraient augmenter annuellement de 24% entre 2021 et 2023 et plusieurs pays ont alloué des montants et des subventions significatifs pour accélérer la transition énergétique. Pour l’année 2022 :
– La Chine a investi 546 milliards de dollars.
– Les USA, de par la loi sur la réduction de l’inflation (IRA), ont alloué des sommes éloquentes de plus de 370 milliards de dollars, dont 141 milliards réalisés en 2022.
– L’Europe a investi 180 milliards de dollars.
I-2 A l’échelle nationale
Le gouvernement tunisien accorde actuellement des incitations variables selon les secteurs.
– Secteur agricole : De par la loi n° 2016-71 du 30/09/2016, les investissements dans les énergies renouvelables bénéficient d’une subvention de 50% du montant de l’investissement.
– Secteurs autres qu’agricole :
Les subventions accordées aux entreprises industrielles, commerciales et de services, dans le cadre des investissements dans les énergies vertes, sont plafonnées à 200 mille dinars.
I-3 Proposition
Je propose, à l’instar de ce qui se passe dans les autres pays et aussi en conformité avec les subventions accordées au secteur agricole en Tunisie, d’octroyer des incitations conséquentes de cinquante pour cent (50%) du montant de l’investissement aux secteurs autres qu’agricole. Ces incitations pourraient être sous forme de subvention d’investissement, de crédit d’impôt ou d’exonération fiscale.
Il va sans dire que ces incitations vont encourager les entreprises à investir massivement dans la transition énergétique, ce qui va générer ce qui suit :
– Réduction des charges de l’électricité (facture de la STEG) et par conséquent, augmentation des bénéfices de ces entreprises et de l’impôt sur les bénéfices perçu par l’Etat.
– Diminution de l’achat, par l’Etat, du gaz naturel et par conséquent, réduction de la compensation y afférente et amélioration de la balance énergétique de notre pays.
– Décarbonisation de l’économie.
Pour démontrer l’impact réel de telles incitations tant au niveau micro que macroéconomique, je présente ci-après une simulation chiffrée où le montant des incitations sera récupéré par l’Etat au bout d’environ dix ans et ce, par l’augmentation de recettes fiscales de l’Etat provenant de l’augmentation du bénéfice imposable réalisé suite à :
-L’économie des charges de l’électricité.
– Des profits provenant de l’amortissement de cette subvention (Au cas où l’incitation est sous forme de subvention ou de crédit d’impôt).
Pour une entreprise qui paye par an 1.820.000 dinars d’électricité, qui investit en énergie solaire 3.135.000 dinars et qui reçoit une subvention d’équipement ou un crédit d’impôt de 1.567.500 dinars
(50% de l’investissement), son bénéfice actuel (avant investissement en énergie solaire) s’élève à 2.536.000 dinars.
La réalisation de l’investissement en énergie solaire va générer des bénéfices supplémentaires à l’entreprise dont ci-après le détail :
– Economie sur la consommation d’électricité (1) : +1.244.150 dinars
– Profit provenant de l’amortissement de la subvention (1.567.500/20 ans) (2): + 78. 375 dinars
– Amortissement de l’investissement en énergie renouvelable (3.135.000/20) : – 156.750 dinars
– Charges financières (1.567.500 x 12%) (3) : – 188.100 dinars
– Entretien de l’investissement en énergie renouvelable (4,3% du coût d’investissement) : – 134.800 dinars
-L’impact de l’investissement sur le bénéfice imposable : + 842.875 dinars
Ainsi, le bénéfice imposable après investissement sera de (2 536 159+842 875) : 3 379. 034 dinars
La situation avant et après investissement est détaillée comme suit (voir tableau) :
Conclusion
Suite à cette simulation chiffrée, nous concluons les faits suivants :
-A l’échelle microéconomique
Selon le tableau ci-dessous, l’entreprise réalise un gain supplémentaire :
691.158 dinars (2.770.808 dinars –2.079.250 dinars)
– A l’échelle macroéconomique
– L’Etat perçoit un impôt sur les sociétés supplémentaire par an de 151.718 dinars (608.226-456.509),
– L’Etat récupèrera, au bout de 10 ans, la subvention ou le crédit d’impôt qu’il a octroyé à l’entreprise et ce par le biais de l’augmentation de l’impôt : 151.718 dinars (608.226-456.509) x 10 ans = 1.517.180 dinars.
– Réduction de la subvention octroyée par l’Etat à la Caisse de compensation.
-Amélioration de la balance énergétique contribuant à la stabilisation du dinar et par conséquent à la réduction de l’inflation importée.
– Création des postes d’emploi.
– Décarbonisation de l’économie.
II- Financement des incitations
Compte tenu d’un gain certain de l’investissement dans les énergies renouvelables, il appartient à l’Etat de développer des mécanismes d’incitations.
II-1 Financement local, soit par :
– Des subventions de l’Etat (de par la loi comptable, ce montant s’ajoutera au bénéfice imposable proportionnellement à la durée de l’amortissement).
– Un crédit d’impôt (de par la loi comptable, ce montant s’ajoutera au bénéfice imposable proportionnellement à la durée de l’amortissement).
– Une exonération fiscale totale.
II-2 Financement externe, soit par :
– Le fonds vert pour le climat.
– Des dons et des emprunts largement disponibles
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(1) C’est la moyenne de l’économie durant 20 ans (24 883 000/20) selon l’étude faite par un bureau d’études
(2) La valeur de la subvention (50% * 3.135.000 dinars) 1.567.500 dinars amortie sur 20 ans. Voir la loi comptable norme n°12 paragraphe 14.
(3) 50% de l’investissement financé par un crédit bancaire. Les charges financières régressent au fur et à mesure du règlement de l’emprunt.
Cet article a été publiée dans le numéro 881 de l’Economiste Maghrébin du 8 au 22 novembre 2023