Le coordinateur général du parti Al Qotb, Riadh Ben Fadhl, a été arrêté mardi dernier à l’aéroport de Tunis-Carthage et placé en garde à vue. Ses camarades crient à l’affaire politique; alors que son avocat évoque une affaire d’acquisition de biens confisqués. Eclairage.
Manifestement, il aura fallu l’arrestation peu cavalière du coordonnateur du parti Al-Qotb, Riadh Ben Fadhl– soupçonné d’être impliqué dans une affaire d’acquisition d’un lot de voitures de luxe ayant appartenu à l’ancien président Ben Ali; et ce, dans des conditions douteuses- pour que le dossier explosif des biens confisqués après la révolution soit exposé au grand jour.
En effet, au lendemain de la garde à vue de cinq jours de l’ancien rédacteur en chef de l’édition arabe du Monde diplomatique, sans que, une fois n’est pas coutume, personne ne sache avec exactitude pourquoi il a été cueilli mardi 14 novembre 2023 à sa descente de l’avion à l’aéroport de Tunis-Carthage, le président de la République, Kaïs Saïed convoqua au palais de Carthage Leila Jaffel et Sihem Boughdiri Nemsia, respectivement ministres de la Justice et des Finances, pour évoquer justement le dossier des biens confisqués.
Un dossier explosif
« Le statut des biens confisqués n’a de cesse de traîner en longueur », a déploré le Président. Tout en estimant « qu’il est inacceptable que ce dossier reste ouvert depuis plus de deux décennies et qu’il est temps de demander des comptes à ceux qui ont dilapidé ces biens appartenant au peuple tunisien ».
« Ce dossier a été sujet de manœuvres dilatoires orchestrées par des lobbies. Et ce, dans le but d’acquérir les biens confisqués suite à des offres moins-disantes et des subterfuges habiles pour les dévaloriser », assène alors le maître des lieux. Ainsi, affirme-t-il, « de nombreuses propriétés ont été négligées ou cédées à des prix dérisoires, profitant à nouveau aux lobbys qui ont changé de masques pour s’emparer des biens du peuple de manière détournée ».
A titre d’exemple, le chef de l’Etat citait le cas d’un bien immobilier acheté à deux millions de dinars avant d’être cédé rapidement contre une offre juteuse de vingt millions de dinars. Vraisemblablement, selon nos confrères de Kapitalis, la personne concernée serait l’homme d’affaires Maher Ben Chaabane, arrêté dans le cadre de l’enquête. Ce dernier aurait acquis puis revendu une villa à Hammamet confisquée à Sakher El-Materi, gendre de l’ancien président Ben Ali qui coule actuellement des jours heureux aux Maldives.
Une affaire politique?
Mais, revenons à l’affaire qui fut à l’origine de la réunion de Carthage mercredi 15 novembre en cours. Si les causes de l’arrestation de l’opposant politique, qui publiait des articles très critiques à l’égard de la situation des libertés en Tunisie sous le régime de Ben Ali, restent à ce jour enveloppées de mystère, en l’absence d’explications officielles; il n’en demeure pas moins que ses amis au parti Al-Qotb avancent que son arrestation « est motivée par des raisons politiques en lien avec ses positions critiques contre le régime actuel de Kaïs Saïed ». De même qu’ils condamnent de ce fait ce qu’il qualifient de « pratique arbitraire ». Laquelle, selon un communiqué rendu public, rappelle « les pratiques dictatoriales du 7 novembre ».
Allant dans le même sens, le secrétaire général du parti Courant Démocrate, Nabil Hajji, a considéré pour sa part que l’arrestation du coordinateur général du parti Al Qotb, Riadh Ben Fadhel, est « une nouvelle étape de la répression contre l’opposition ».
« Des circonstances douteuses »
S’agit-il d’une affaire politique? N’allons pas vite en besogne. Car, dans son Intervention lors de L’Emission impossible sur IFM, Me Mohamed Ali Ghrib, l’avocat de Ryadh Ben Fadhel, reconnait que les questions posées à son client par les enquêteurs concernaient une enquête déjà ouverte à son encontre et pour laquelle il avait déjà été auditionné. Laquelle, toujours selon la même source, porte « sur les circonstances jugées douteuses de l’acquisition d’un lot de véhicules luxueux de l’ancien président, confisqués par l’Etat après sa chute le 14 janvier 2011 ».
Toutefois, soutient-il, l’opération « s’est déroulée dans des conditions légales, dans le cadre d’une vente aux enchères publiques, en présence d’experts et de responsables publics ».
Coup de théâtre
Or, coup de théâtre, l’ancien ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, Hatem El Euchi, laisse entendre, sans le nommer expressément, que Riad Ben Fadhel avait été arrêté dans le cadre de cette affaire de voitures de l’ex-président Ben Ali.
« Le chef d’un parti jouissant d’une popularité bien modeste aura acquis via un expert en 2012 sept des voitures les plus luxueuses appartenant à la famille Ben Ali pour un montant choquant » de 135 mille dinars; alors qu’elles valent en réalité plus d’un milliard et demi. Et ce, après en avoir sciemment lacéré le cuir ainsi que la carrosserie ».
C’est ce que ce magistrat de son état a posté mardi dernier sur sa page FB. Avant d’ajouter : « J’avais déjà évoqué en vain cette affaire en 2015 et même il y a de cela quelques semaines. J’apprends aujourd’hui que l’acquéreur de ce lot de voitures a été arrêté et je n’en connais pas la raison. Espérons qu’il sera innocenté. Ceci dit, l’acquéreur a le droit de tirer des bénéfices, mais pas dans un contexte de collusion ou d’abus de pouvoir après la révolution. »
Indécence
Ainsi, M. Ben Fadhl serait « l’acquéreur de ce lot de voitures », selon l’ancien ministre qui le pointe du doigt. Mais, laissons la justice suivre sereinement son cours.
Cela étant, cette affaire laisse dans la bouche de la gauche tunisienne un goût amer : comment expliquer qu’un opposant notoire à Ben Ali, qu’il qualifiait de dictateur, se serait-il précipité après sa chute pour acquérir ses voitures de luxe?
Rien d’illégal pour l’intéressé qui s’est vu décerner le grand prix de « la personnalité de l’année » du secteur de la communication en Tunisie. Et ce, en marge de la 6ème édition des Pros d’Or 2022 et en sa qualité de directeur de l’agence de publicité Impact Média. Rien d’illégal, mais indécent tout de même!