Lors des travaux de la 22ème session de l’Assemblée des Etats parties au Statut de Rome, qui s’est tenue le 6 décembre 2023 à New York, la Cour pénale internationale (CPI) a élu ses 18 juges. Parmi eux, on retrouve un Tunisien, en la personne de Haykel Ben Mahfoudh, comme nous l’avions déjà rapporté (lire notre article).
A l’occasion de cette élection, la Tunisie se doit d’être fière de voir un de ses enfants prodiges, Haykel Ben Mahfoudh, élu membre de ce prestigieux « club des sages ». Une première du genre pour un juriste tunisien et arabe depuis la création de la Cour en 2002, notent nos confrères de l’agence TAP, à la suite d’une interview avec le nouvel élu.
Il faut rappeler que Haykel Ben Mahfoudh a le grade de docteur en droit international humanitaire (DIH) de l’université de Carthage où il a enseigné pendant 27 ans. Son sujet de thèse de doctorat portait sur : « La protection de l’environnement en période de conflits armés ». Thèse qu’il soutenait en 2005 avec mention « très honorable et félicitations du jury ».
Je suis élu juge à la CPI non pas en tant que personne nommément désignée, mais plutôt en ma qualité de juriste issu d’une tradition juridique tunisienne, arabo-africaine et méditerranéenne bien ancrée dans la justice pénale et la protection des droits de l’Homme.
Naturellement et logiquement, on lui a demandé comment il appréhendait son nouveau poste en tant que juge au sein de la CPI. « En tant que juge tunisien, je suis profondément convaincu que la CPI doit être un organe indépendant, efficient et diligent. Cet organe judiciaire-clé de la justice pénale internationale doit bénéficier d’un surcroît de légitimité et de crédibilité pour pouvoir exercer convenablement sa mission. Et ce, dans le cadre du respect des trois piliers de la fonction de juger, à savoir l’indépendance, l’impartialité et le professionnalisme » répond-il.
Et le juriste de préciser : « Je suis élu juge à la CPI non pas en tant que personne nommément désignée; mais plutôt en ma qualité de juriste issu d’une tradition juridique tunisienne, arabo-africaine et méditerranéenne bien ancrée dans la justice pénale et la protection des droits de l’Homme, deux domaines de prédilection auxquels je suis voué à œuvrer en vue de les mettre en œuvre. »
Par conséquent, l’expert tunisien estime que la CPI se doit de « répondre aux aspirations et aux attentes des peuples et des Etats. Notamment lorsqu’il est question de statuer sur des crimes et de violations dont le mobile est culturel, religieux ou ethnique; ou encore portant atteinte à l’environnement ou des atteintes perpétrées en temps de conflits armés ou d’agression ».
En matière de crime d’agression, la CPI joue un rôle de premier plan, en ce sens que sa mission consiste à instaurer la paix par la justice.
De ce fait, on doit dire que Haykel Ben Mahfoudh est servi en ces temps de guerres avec leur cortège de violations de droits humains. « Face à ces constructions juridiques délicates et subtiles, le juge pénal international est appelé à exercer son œuvre prétorienne de façon indépendante, efficace et crédible », ajoute-t-il.
Alors « quel est le rôle dévolu à la CPI dans le système international de la paix et de la sécurité internationales, à la lumière du flot de critiques fusant de tous bords? », lui est-il demandé dans cette interview.
Il répond : « La CPI est un élément clé du système de paix et de sécurité internationales. Son rôle essentiel consiste à maintenir la paix et à prévenir les crimes graves qui pourraient enclencher des conflits et des guerres, exacerber des tensions, provoquer des génocides de groupes ethniques et religieux, déstabiliser des Etats ou menacer l’humanité tout entière dans son existence. »
Le nouveau juge explicite sa pensée : « En matière de crime d’agression, la CPI joue un rôle de premier plan. En ce sens que sa mission consiste à instaurer la paix par la justice. La philosophie sous-tendant cette juridiction internationale repose sur un principe élémentaire en vertu duquel nul ne peut bénéficier de l’impunité. Autant la CPI est impartiale, efficace, diligente et représentative des Etats; autant elle bénéficie de crédit auprès de la communauté internationale et assoit la ferme conviction selon laquelle la justice est le seul moyen fiable pour instaurer la sécurité dans le monde entier. »
Il reconnaît cependant que « la création de la CPI s’avère être une œuvre ardue à entreprendre, à la lumière des équilibres politiques dans le monde contemporain. Le processus amorcé en 1998 et qui a abouti à la création historique de la CPI doit être en contrepartie vivement applaudi. Dès lors que cette juridiction est venue instaurer un socle de valeurs fondamentales autour de la justice et de l’équité ».
Je tiens à vous souligner que le statut de Rome a institué une « trajectoire » judiciaire réservée à chaque affaire portée devant la CPI.
L’actualité oblige, on lui demande s’il pouvait donner plus de détails sur l’issue de la plainte déposée par l’avocat français Gilles Devers, le 9 novembre dernier, au nom de 300 avocats du monde entier devant la CPI dans une perspective d’évoquer les crimes de génocide perpétrés contre le peuple palestinien.
Devinez sa réponse. « Etant élu à la CPI et donc soumis au devoir de la neutralité et de l’obligation de réserve, je ne suis pas en mesure de pouvoir m’exprimer sur cette question ». Mais ce n’est pas un non sec et définitif. Néanmoins, je tiens à vous souligner que le statut de Rome a institué une trajectoire judiciaire réservée à chaque affaire portée devant la CPI. »
Comprendre entre les mots qu’il y a de fortes chances que la Cour examine cette affaire. Et il est également possible que l’Etat d’Israël soit condamné. Mais une victoire serait que des personnes israéliennes soient nommément citées, amenées à la Cour et jugées.
Par ailleurs, interrogé sur les péripéties de son élection ainsi que les efforts diplomatiques déployés en vue de booster sa candidature lors du processus du vote, le nouvel élu a répondu : « Le processus de vote est une opération « complexe faisant impliquer moults considérations et facteurs. Cependant, le soutien politique et diplomatique, ainsi que l’action menée aux plus hauts niveaux sont autant de facteurs importants qui jouent un rôle majeur dans la sélection du candidat. Notamment lorsque celui-ci est largement apprécié pour ses compétence et expertise avérées et sa solide expérience dans le domaine. »
Et d’ajouter : « Pour ce qui est du processus d’élection, le vote a été effectué par 123 pays membres du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, en vertu d’un faisceau de critères strictement et rigoureusement établis et répondant à des considérations liées à l’efficacité, à l’indépendance et à l’impartialité. »
L’activisme diplomatique et politique tunisien a été déployé à une « double vitesse » auprès de la présidence de la République et du département des Affaires étrangères.
A cela s’ajoute « le souci de veiller à une représentativité géographique équilibrée aussi bien des candidats que des systèmes juridiques en vigueur dans le monde; et ce, conformément aux dispositions de l’article 36 du statut de Rome« .
Notre expert ajoute que « l’activisme diplomatique et politique tunisien a été déployé à une double vitesse, auprès de la présidence de la République et du département des Affaires étrangères. Ainsi, la présidence de la République s’est chargée de l’envoi de messages de soutien et d’appui aux différents chefs d’Etat et de gouvernement des pays-membres de la CPI.
Tandis que le département des affaires étrangères s’est, quant à lui, efforcé, d’œuvrer à une stratégie de communication. Laquelle a aidé à présenter au mieux la vision, la feuille de route pour le poste pressenti. Dans ce contexte, « l’idée-force était de mobiliser le soutien pour booster ma candidature en tant juriste tunisien et arabe, dans une perspective de percer le système de la justice pénale internationale ».
Mais Haykel Ben Mahfoudh ne s’est pas contenté de ces missions de la présidence de la République et des Affaires étrangères. Puisqu’il confirme : « J’ai effectué des déplacements pour présenter ma vision et exposer de la manière la plus claire et la plus convaincante mes vues et perceptions sur la question de la justice pénale internationale ».
Avec TAP