Elle manie à merveille deux langues complètement différentes, le français et l’arabe. Elle vient d’être récompensée par un prix qui en dit long sur sa maîtrise de ces deux langues. Elle, c’est l’académicienne et traductrice tunisienne Samia Kassab-Cherfi, à qui a été décerné le 16e Prix Ibn Khaldoun-Senghor pour sa traduction du roman « Barg Ellil » de Béchir Khraïef, publiée par Sud Editions (Tunisie, 2023).
La cérémonie officielle de remise du Prix de la traduction Ibn Khaldoun-Léopold Sédar Senghor s’est tenue vendredi 15 décembre 2023, au siège de l’Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences (ALECSO), en partenariat avec l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), rapportent nos confrères d’Espace Manager.
Le Prix lui a été remis par Haoua Acyl, représentante de l’OIF pour l’Afrique du Nord, et Mohamed Sanad Abu Darwish, directeur du Département des sciences et de la recherche scientifique de l’ALECSO.
Les membres du jury, présidé cette année par Bassam Baraké -par ailleurs secrétaire général de l’Union des traducteurs du Liban-, ont salué l’important travail documentaire réalisé par la traductrice tunisienne « pour relever les défis de cette reconstitution historique que l’auteur Béchir Khraïef a cherché à offrir à ses lecteurs, que ce soit en termes de toponymes, de références intertextuelles nombreuses, de la terminologie relative aux domaines de l’armement et de l’armurerie, de la musique, et de l’alchimie », ajoutant que l’on pouvait à juste titre parler de la traduction de Kassab-Cherfi comme d’une « consécration de l’univers littéraire tunisien ».
Outre Bassam Baraké, le jury était composé d’Abdeslam Benabdelali, professeur de philosophie à l’Université Mohammed V de Rabat (traducteur, essayiste, et critique littéraire – Maroc), Zahida Darwiche-Jabbour, professeure de littérature française et traductrice (Liban), Fayza El Qasem, professeure émérite à l’Ecole supérieure de traducteurs et interprètes (France), Mohammed Mahjoub, philosophe, traducteur et écrivain (Tunisie) et de Hana Subhi, traductrice et professeure de littérature française à l’Université Paris-Sorbonne d’Abou Dhabi (France et Irak).
Qui est Samia Kassab-Charfi ?
Pour sa part, Samia Kassab-Charfi est titulaire d’une thèse de doctorat d’Etat en langue et littérature françaises, soutenue en 2003 à Tunis (Tunisie). Grande spécialiste de la littérature de langue française des Caraïbes, en particulier de Saint-John Perse, elle enseigne aujourd’hui à l’Université de Tunis.
Après »Autour d’Edouard Glissant : lectures, épreuves, extensions d’une poétique de la relation », œuvre dans laquelle elle explore l’univers et la stylistique de l’inventeur de la créolité, elle revient en 2012 avec une étude poétique sur une autre grande figure de la littérature antillaise : Patrick Chamoiseau. Elle est l’autrice de plusieurs publications, parmi lesquelles : « Mémoires et imaginaires du Maghreb et de la Caraïbe » (Paris, H. Champion, 2013), » Patrick Chamoiseau » (Paris, Gallimard, 2012), Et l’une et l’autre face des choses : la déconstruction poétique de l’histoire dans « Les Indes » et « Le Sel noir » d’Édouard Glissant (Paris, H. Champion, 2011).
Quid de Barg Ellil ?
Le roman « Barg Ellil « , chef-d’œuvre du romancier tunisien de langue arabe, Béchir Khraïef, met en scène les tribulations d’un esclave noir, au cœur de la Tunisie du XVIe siècle, sur fond de rivalité hispano-ottomane. Le héros, Barg Ellil, séparé de sa mère et arraché à son Afrique et à sa culture native, invente une forme de musique improvisée qui va contribuer à la découverte de l’altérité : altérité géographique (déplacement depuis l’Afrique subsaharienne), ethnique (« Il était Noir dans un monde de Blancs »), juridique (par la différence de statut : esclave vs homme libre), amoureuse (Rim est blanche et mariée, d’où une double transgression), musicale (par une créativité qui le fait passer de l’alchimie à la musique, puis d’une musique à une autre en les métissant), et enfin tribale/nationale (s’insérer dans une autre « épopée»).
Le nom même de « Barg Ellil », littéralement « Eclair dans la nuit » et dont la traductrice a souhaité conserver la résonance intacte en langue arabe, est donc à lire comme cette étincelle d’intelligence qui permet de surmonter les aléas de la condition d’esclave et de résister aux dangers de la guerre en faisant triompher, face à l’obscurantisme et à la violence politique et humaine, les lumières de l’esprit, souligne Espace Manager.
Ainsi, cette œuvre trouve-t-elle largement écho dans le contexte mondial actuel. Créé en 2007, le Prix Ibn Khaldoun – Léopold Sédar Senghor est le fruit d’une coopération entre l’OIF et l’ALECSO. Il vise la promotion de la diversité culturelle et linguistique et encourage toutes formes d’échanges culturels entre le monde arabe et l’espace francophone.
Un roman pour tous !
Il récompense la traduction d’un ouvrage littéraire ou de sciences humaines de l’arabe vers le français et réciproquement. Il s’adresse aux traducteurs, aux universités, aux instituts d’enseignement supérieur et aux centres d’études et de recherches, aux associations et aux unions nationales, ainsi qu’aux maisons d’édition du monde arabe et de l’espace francophone.
La dotation du Prix est de 10 000 euros, octroyée à parité égale entre l’OIF et l’ALECSO.