Dans quelques jours, on commémorera le grand tournant du 14 Janvier 2011, dans un pays qui n’a pas encore pris le bon cap. Tout le monde le dit et le répète, mais chacun a son explication et y va de son programme pour remettre la Tunisie sur pied. Car elle est toujours à genoux, ce que tout le monde s’accorde à dire. Ce qui est on ne peut plus cocasse, c’est que le gens qui gouvernent et qui sont censés défendre leurs propres bilans, ne cessent eux-mêmes de s’alarmer de la situation. Sauf qu’ils rejettent souvent la responsabilité sur « les autres », qu’ils soient de l’ancien régime ou du régime moins ancien.
Une chose est donc assez positive en soi, c’est que tout le monde semble s’accorder à dire que rien ne va plus dans le pays d’Hannibal. Mais les choses se gâtent dès qu’il s’agit de parler d’avenir. Car aucune vision ne s’est imposée comme pouvant sortir la Tunisie de cette situation qu’on peut qualifier sans exagérer de catastrophique .
A la base une « révolution »
Jusqu’au 14 janvier au soir, date à laquelle l’ancien Président de la République Zine Al Abidine Ben Ali a pris l’avion pour ne plus revenir, même après son décès, le mot « révolution » n’existait pas dans le lexique politique des Tunisiens. Hormis chez quelques groupuscules d’extrême gauche, qui d’ailleurs avaient abandonné ce concept pour d’autres, moins agressifs et plus dans l’air du temps, tournant autour des droits de l’Homme et de la démocratie.
Il revient au feu et regretté Ahmed Mestiri de le remettre en circulation avant qu’il ne soit repris solennellement et officiellement par le Président de la République en personne de l’époque, Foued Mebazaâ, un des plus grands caciques de l’ancien régime puisqu’il était Président de l’assemblée nationale. Depuis, tous les courants politiques, de l’extrême gauche à l’extrême droite, y compris les frères musulmans en Tunisie se sont mus en révolutionnaires intrépides. Et l’on a vu même d’anciens serviteurs de l’ancien régime s’accaparer avec un culot inouï , le titre de « révolutionnaires ».
Bien sûr les puissances occidentales et leurs « bras séculiers », les ONG, ont trouvé là une aubaine pour en finir avec un régime nationaliste et souverainiste. D’ailleurs, on a vu même le Président de la puissance la plus impérialiste dans l’histoire de l’humanité faire, avec ses congressmen un « standing ovation » pour fêter et soutenir notre « révolution ».
Tout le reste, comme la prise du pouvoir par les islamistes, la fabrication de la Constitution « Feltman » considérée par un des alliés des islamistes et leur dévoué à la tête de l’Assemblée du peuple, comme la meilleure constitution du monde, le terrorisme, la destructuration de l’État, etc., n’est que le résultat d’un grand mensonge. Car il fallait bien présenter un tel scénario comme une « révolution » pour mieux faire avaler la couleuvre au pauvre peuple en lui faisant miroiter l’illusion que son pays allait devenir un vrai eldorado, une fois leur système démocratique mis en place. Le pire c’est que ce peuple y a cru, car ses pseudos élites l’ont trahi en lui faisant croire qu’il vivrait une vraie démocratie à l’occidentale. Mais on oublia de lui dire que le prix serait très élevé et qu’il serait question tout d’abord d’abandonner sa souveraineté et son indépendance, chèrement acquises.
Une révolution par définition vise à détruire l’ordre ancien pour construire un nouvel ordre. « La révolution » tunisienne a effectivement détruit l’ancien ordre; mais sans pour autant réussir à en construire un nouveau. Actuellement c’est une autre expérience, générant un autre système qu’on essaye d’installer dit « système basique » qui n’en est qu’au début. Si la construction juridique et institutionnelle est en cours, jusqu’à maintenant aucun projet économique et surtout aucun projet social, cohérent, du moins théoriquement, n’a été proposé.
Son seul projet pour le moment est de déstructurer ce qu’il considère comme appartenant à l’ordre ancien et tout au plus de revenir à une forme de « socialisme » qu’on croyait révolu. Lequel qui consiste à renouer avec un capitalisme d’État qui a fait son temps avec la période dite « socialiste » des années soixante. Sauf que contrairement à cette époque, l’État actuellement n’a aucun plan de développement et encore moins une vision de ce qu’il doit faire.
S’ajoute à cela une gigantesque dette que la Tunisie doit rembourser obligatoirement. Celle-ci est équivalente à cinq fois la dette laissée par le régime de l’avant « révolution ». Autre chose, il est devenu presque impossible de trouver des prêteurs, étant donné que le FMI refuse de nous accorder le moindre prêt pour des raisons essentiellement politiques et accessoirement techniques. D’où la crise socio-économique actuelle et ses conséquences désastreuses sur le pouvoir d’achat des différentes couches sociales et particulièrement les plus démunies.
Bref un processus « révolutionnaire » qui a généré la pauvreté et une croissance dérisoire pendant les treize dernières années; sans parler d’une perte progressive de la souveraineté. Redresser la barre pour sortir progressivement de la grave crise devient un devoir patriotique et exige un plan de redressement vigoureux qui a l’approbation au moins des larges couches populaires. Car la Tunisie et ses citoyens seront amené à faire de grands sacrifices puisque l’État-providence qui a survécu jusqu’à 2011 n’existe plus!
L’arrière est devant nous!
« Pas de retour en arrière » semble être le slogan des partisans du nouveau régime; celui de l’après 25 juillet 2021! Bien sûr personne ne veut revenir au système politique de la décennie noire. Les citoyens ayant vu ce qu’il avait généré comme anarchie, terrorisme, clientélisme, enrichissement illicite de certains, système judiciaire gangrené par la corruption, endettement excessif du pays, etc. Cela c’est du passé dont la page est définitivement tournée et dont les responsables pour la plupart sont soit en prison, soit en fuite à l’étranger.
Mais « l’arrière » peut être aussi devant nous. Si la croissance continue à avoisiner le 0 %, si le pouvoir d’achat des citoyens continue à chuter dangereusement, si la corruption continue à gangrener le pays, si la pauvreté continue à toucher les couches démunies, si les pénuries, continuent à êtres cycliques, si les retraités continuent à êtres taxés illégalement, si nos hôpitaux et nos pharmacies manquent de médicaments, si notre école continue à dégringoler, si la contrebande et le marché parallèle continuent à constituer près de 54 % de l’économie du pays… Le présent et l’avenir seraient alors pire que le passé si la situation n’est pas redressée. Mais ce n’est pas une fatalité, car la Tunisie tout au long de son histoire a connu de grandes crises et elle s’en est toujours sortie plus forte.
La condition d’un redressement national est indiscutablement, le retour à un État fort, à ne pas confondre avec le tout État! Désormais il faut définir à nouveau le rôle de l’État dans le redressement économique et la régulation sociale avec le seul objectif de créer la richesse pour mieux la redistribuer et reconstruire à nouveau une classe moyenne entreprenante et non seulement constituée de salariés et de fonctionnaires.
La jeunesse tunisienne et les compétences que le système éducatif a généré fera le reste, à condition de ne pas créer des handicaps administratifs et juridiques. Et sans remettre en cause notre intégration dans le système économique mondial, alors même qu’il faut l’accélérer. Cela impose une nouvelle gouvernance et une nouvelle vision économique. N’oublions pas un chiffre qui indique la tendance : l’apport des Tunisiens à l’étranger qui vaut celui des revenus du tourisme. Il a permis à la Tunisie jusqu’à maintenant de s’acquitter d’une partie de ses dettes. Ce qui prouve que la jeunesse tunisienne est capable de générer des richesses quand l’environnement est favorable et qu’elle parie malgré tout sur son pays, contrairement à une idée reçue et très répandue.
La focalisation sur la question politique, qui d’ailleurs exige des réponses appropriées, sur la base d’une réouverture de l’espace politique pour permettre à de nouvelles forces politiques de naître et de s’imposer démocratiquement sur la scène nationale, est nuisible au débat national parce qu’elle est réductrice, surtout en l’absence de dialogue sérieux sur l’avenir du pays. Il est clair qu’une nouvelle classe politique va naître sur les décombres des anciennes et qu’elle n’attend que l’occasion idoine pour émerger. L’Histoire de la Tunisie le démontre et la rapidité avec laquelle les changements surviennent chez nous est impressionnante. Le blocage actuel de la vie politique n’est que le signe d’un nouveau départ. De toute façon tout bouge autour de nous et de nouveaux équilibres sont en train de s’imposer. Le monde ne sera plus comme avant et soyons prêts pour s’adapter rapidement et efficacement.