Les arrêts de la Cour Internationale de Justice (CIJ) rendus respectivement les 27 mars 2023 et le 26 janvier 2024 resteront dans les annales comme étant la preuve irréfutable que cette institution, loin d’être impartiale, est motivée dans ses jugements par la hideuse pratique du deux poids deux mesures.
Aux deux accusations de génocide déposées à un an d’intervalle par l’Ukraine contre la Russie et par l’Afrique du sud contre Israël, la CIJ a cru de son devoir de demander à Moscou d’ « arrêter immédiatement ses opérations militaires » contre l’Ukraine; mais s’est abstenue d’ordonner à l’armée israélienne d’arrêter son acharnement vengeur et ravageur à Gaza.
Commençons par l’arrêt de la CIJ du 27 mars 2023 sous la présidence de la juge de nationalité américaine, Madame Joan Donoghue. L’Audience publique s’est tenue au Palais de la paix à La Haye pour se prononcer contre les accusations de génocide qui visaient la Russie, à la suite de son intervention en Ukraine.
Bien que l’accusation de génocide formulée par l’Ukraine ne soit soutenue par aucun élément sérieux et manque totalement de crédibilité, la première chose que la CIJ a exigé est que la Russie arrête immédiatement ses opérations militaires en Ukraine. Voici un extrait de l’arrêt lu le 27 mars 2023 par la présidente de la CIJ, Joan Donoghue :
« La Cour considère que, s’agissant de la situation décrite plus haut, la Fédération de Russie doit, en attendant qu’elle se prononce dans un arrêt définitif, suspendre les opérations militaires commencées le 24 février 2022 sur le territoire ukrainien. En outre, la Cour estime que la Fédération de Russie doit également veiller à ce qu’aucune des unités militaires ou unités armées irrégulières qui pourraient agir sous sa direction ou bénéficier de son appui, ni aucune organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle ou sa direction, ne commette d’actes tendant à la poursuite de ces opérations militaires. »
Deux remarques importantes : la première est que, en treize mois de guerre en Ukraine (24 février 2022-27 mars 2023)- date de l’Audience publique du CIJ-, le nombre des victimes civiles et l’ampleur des destructions en Ukraine n’atteignent pas ceux causés par Israël à Gaza en seulement deux ou trois jours.
La deuxième remarque est que depuis le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne, Washington et ses alliés répétaient tous les jours matin, midi et soir que la Russie doit retirer ses troupes. De là à dire que la CIJ, dans son arrêt du 27 mars 2023, n’a fait que se plier aux désirs de Washington et ses alliés, beaucoup, à raison plutôt qu’à tort, ont franchi le pas.
Voyons maintenant l’arrêt rendu par la CIJ le vendredi 26 janvier 2024 concernant l’accusation d’Israël de perpétrer un génocide contre le peuple palestinien à Gaza. Une accusation largement étayée et solidement argumentée par l’Afrique du Sud.
Voici un extrait de l’arrêt énumérant les mesures conservatoires décidées par la CIJ et lu à l’Audience publique par la juge américaine Madame Joan Donoghue : « Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention […].
L’État d’Israël doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza;
L’État d’Israël doit prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence, afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza.
L’État d’Israël doit prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ d’application des articles II et III de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide commis contre les membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza. » …
On le voit donc, nulle trace ou référence aux actions armées dévastatrices d’Israël. Nulle injonction à l’Etat criminel israélien d’arrêter ses bombardements. Il va sans dire qu’aucun des juges de la CIJ n’ignore que les deux tiers de la ville de Gaza sont détruits, y compris les écoles et les hôpitaux; que des dizaines de milliers de civils, majoritairement femmes et enfants, sont morts, sans compter les milliers ensevelis sous les décombres; qu’Israël continue de tuer quotidiennement de jour comme de nuit les Palestiniens par centaines.
Pourtant, contrairement à l’arrêt du 27 mars 2023 où la Cour se pliait à la demande ukrainienne de l‘arrêt de l’action militaire russe, la même Cour, dans son arrêt du 26 janvier 2024 a refusé la principale demande de l’Afrique du sud relative à l’arrêt de l’action miliaire israélienne contre la population palestinienne.
Les juges de la CIJ se sont-ils seulement demandé comment les mesures conservatoires énumérées dans leur arrêt peuvent être exécutées sous les bombardements massifs nuit et jour de la bande de Gaza? Sont-ils conscients du passage tragi-comique dans leur arrêt qui demande à Israël de « prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve du génocide »; sans exiger préalablement l’arrêt de la guerre et le retrait de l’armée d’occupation?
Que répondre à tant de partialité et de soumission à l’argument de la force plutôt qu’à la force de l’argument, sinon en paraphrasant Jean de La Fontaine : la raison du plus fort est toujours la meilleure. L’Ukraine et Gaza en sont un témoignage.