La sentence est tombée hier, jeudi 1er février : Rached Ghannouchi, le chef du parti islamiste Ennahdha, 82 ans, a été condamné à une nouvelle peine de trois ans de prison. Et ce, pour « financement étranger illicite » de sa formation politique. Ainsi, il est définitivement écarté, de facto, de la course à l’élection présidentielle qui aurait fort probablement lieu en automne prochain.
Rached Ghannouchi, le leader historique du parti islamiste Ennahdha, qui purge déjà une peine de 15 mois de prison, a donc été condamné à une peine supplémentaire.
Pour sa part, jugé par contumace, Rafik Abdessalam, le gendre de l’ancien maître de Montplaisir, et également ex-ministre des Affaires étrangères de 2011 à 2013, aura lui aussi écopé de trois ans de prison ferme, dans le cadre de cette même affaire. Sachant que selon le verdict rendu par la chambre correctionnelle spécialisée dans les affaires de corruption près le Tribunal de première instance de Tunis, le parti Ennahdha devra toujours dans le cadre de la même affaire verser une amende de 1 170 470 dollars.
Irrégularités et infractions
A cet égard, notons que le Code électoral en vigueur interdit tout financement de provenance étrangère. Tout en établissant des règles très strictes à propos des dépenses de campagne électorale.
Or, il s’est avéré, selon le rapport de la Cour des comptes publié en 2020, que l’élection présidentielle anticipée de 2019 était entachée de plusieurs irrégularités, infractions et violations.
En effet, l’article 80 de la Loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014, relative aux élections et référendums, stipule expressément et en termes clairs qu’ « il est interdit de financer la campagne électorale par des sources étrangères, y compris les gouvernements, les individus et les personnes morales ».
Ce même article précise à ce propos que la notion de financement étranger concerne « tous les biens sous forme de don, cadeau, ou subvention en numéraire, en nature ou de propagande dont l’origine est étrangère, conformément à la législation fiscale ».
Un exemple parmi d’autres en matières d’infractions les plus flagrantes? Se basant sur une information officielle émanant du Département américain de la Justice, la Cour des comptes a révélé que le parti de Ghannouchi avait conclu entre 2014 et 2019 plus d’un million d’euros de contrats aux Etats-Unis. Et ce, pour mieux booster sa communication internationale et gagner la faveur de certains dirigeants étrangers, notamment américains.
A savoir que l’article 163 de la Loi organique n° 2014-16 prévoit que « s’il est avéré pour la Cour des comptes que le candidat ou la liste de candidats a obtenu un financement étranger pour sa campagne électorale, elle l’oblige à payer une amende allant de dix fois à cinquante fois la valeur du financement étranger ».
Alors comment expliquer la clémence du Tribunal de première instance de Tunis qui s’est contenté d’infliger à Ennahdha le minimum des amendes, soit près d’un million de dollars? Alors que, selon l’article de loi précité, l’amende contre le parti de Ghannouchi « pouvait aller de dix fois à cinquante fois la valeur du financement étranger ».
Nabil Karoui épinglé à son tour
Rappelons à ce propos que le fameux rapport de la Cour des comptes a été également accablant pour le candidat à l’élection présidentielle de l’époque, Nabil Karoui. En effet, celui-ci, en date du 19 août 2019, concluait un contrat avec une compagnie de lobbying étrangère (Dickens and Mason) moyennant 2,85 millions de dinars. Et ce, « afin d’avoir l’appui des structures et des instances internationales; outre l’organisation de rencontres avec de hauts responsables américains ».
Le même rapport révèle également qu’une somme s’élevant à 427,5 mille dinars a été transférée du compte bancaire personnel de l’épouse de Nabil Karoui, ouvert auprès de HSBC Bank Middle East à Dubaï, au profit de ladite compagnie étrangère; et ce, le 23 septembre 2019. Evidemment, il s’agit d’argent étranger puisque, selon la Banque centrale, ce compte bancaire n’était pas déclaré.
Adversaire de l’actuel président de la République Kaïs Saïed au second tour de la présidentielle de 2019, l’ancien patron du groupe Karoui & Karoui World et de la chaîne de télévision Nessma a quitté la Tunisie en août 2021. Après quelques mois de détention en Algérie, il s’est exilé en Europe. Depuis, il a été condamné par la justice tunisienne par contumace en avril 2023 à un an de prison; ainsi qu’à une lourde amende, dans une affaire de lobbying similaire à celle d’Ennahdha.
Une sentence « à perpétuité » ?
Pour revenir au cas de Rached Ghannouchi, relevons qu’il avait été arrêté le 17 avril 2023 et placé sous mandat de dépôt. Et ce, après avoir déclaré que la Tunisie serait menacée d’une « guerre civile » si les partis politiques à l’instar d’Ennahdha étaient écartés de la scène politique. Un mois plus tard, il était condamné à un an de prison pour « apologie du terrorisme », à la suite d’une plainte l’accusant d’avoir traité les policiers de « taghout ». La sentence étant alourdie en appel à 15 mois de prison ferme.
Finalement, le leader historique d’Ennahdha, 82 ans, quittera si tout va bien la prison à l’âge de 85 ans. C’est dire que son avenir politique sera définitivement derrière lui.