La spécialiste principale en développement urbain auprès de la Banque mondiale, Dina Ranarifidy, a présenté les résultats du « Rapport national sur le climat et le développement en Tunisie (CCDR) ». C’était au siège de l’Académie diplomatique de Tunis, le 23 février 2024, dans le cadre du lancement officiel du rapport élaboré par l’institution de Bretton Woods.
Quels sont les constats alarmants tirés de ce rapport ? Premièrement, la pénurie d’eau, l’érosion côtière et la multiplication des inondations figurent parmi les défis climatiques les plus pressants en Tunisie. Pour cette raison, les auteurs du rapport proposent une série de mesures urgentes d’adaptation et de décarbonisation qui seraient à même de contribuer à stimuler la reprise économique et à créer des emplois dans le pays.
Les coûts de l’inaction sont dévastateurs. Dans son intervention, l’intervenante a expliqué que selon les résultats du rapport, des mesures combinées d’adaptation et d’atténuation pour faire face au changement climatique, ainsi que la décarbonation du secteur de l’électricité, pourraient faire grimper la croissance du PIB à 8,8 % d’ici 2030, réduisant la pauvreté et les émissions liées à l’énergie. En revanche, dit-elle, l’inaction pourrait entraîner des pertes de PIB allant jusqu’à 3,4 % d’ici 2030, ce qui représenterait des pertes annuelles d’environ 5,6 milliards de dinars (1,8 milliard de dollars).
L’élévation du niveau de la mer : une catastrophe à éviter
Le rapport souligne également que l’élévation du niveau de la mer pourrait toucher près d’un quart de la zone côtière tunisienne d’ici 2050, entraînant potentiellement une perte totale de terres d’une valeur de 1,6 milliard de dollars.
Les inondations catastrophiques, un risque à éviter. La probabilité d’inondations catastrophiques devrait presque décupler, et les coûts de remise en état des actifs routiers à eux seuls après ces inondations pourraient atteindre 277 millions de dollars d’ici 2050. Non seulement ces risques mettent en péril les moyens de subsistance des personnes vivant sur la côte et dans les zones inondables, mais ils compromettent également la réputation internationale du pays en tant que destination touristique prisée.
La nécessité de remédier au stress hydrique. La Tunisie est confrontée à un grand défi de pénurie d’eau, compromettant la production agricole en raison de la faiblesse et de la variabilité des précipitations. Cela met en lumière les carences d’un secteur qui nécessite des réformes pour s’adapter au changement climatique. De plus, les pertes en eau enregistrées par la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux sont passées de 25 % en 2010 à 34 % en 2021.
Le rapport préconise la mise en place de mesures stratégiques pour remédier à la pénurie d’eau, incluant notamment la rationalisation de la demande en eau, le renforcement des réseaux hydrauliques pour réduire les pertes et le gaspillage, ainsi que la protection des écosystèmes, en particulier les bassins versants, les oasis, les forêts et les zones humides, afin d’accroître la disponibilité de l’eau et la résilience aux chocs climatiques.
La décarbonisation avant toute chose
La décarbonisation du secteur de l’énergie, par l’amélioration de l’efficacité énergétique et la transition vers des combustibles verts dans les secteurs d’utilisation finale et de production d’électricité, offre également des possibilités importantes. L’énergie représentait 53 % du déficit commercial du pays et 58 % de ses émissions de gaz à effet de serre en 2022, démontrant les liens complexes entre l’énergie et le cadre macro-budgétaire. Selon le rapport, la décarbonisation du secteur de l’énergie générerait des gains économiques considérables, aidant la Tunisie à remédier à son déséquilibre extérieur et en diminuant les coûts de l’énergie, ce qui améliorerait l’accessibilité financière pour les ménages et la compétitivité des entreprises, tout en réduisant les émissions.
Quand le salut passe par le renforcement de l’investissement
Compte tenu des difficultés macroéconomiques actuelles de la Tunisie, le rapport souligne l’importance de créer les conditions macro-financières propices aux investissements visant à atteindre ces objectifs. À cet effet, les dépenses publiques récurrentes pourraient être réorientées vers les investissements publics les plus urgents dans le domaine de l’adaptation. Il est également essentiel de faciliter les investissements du secteur privé dans les activités vertes, par exemple en éliminant les autorisations et les contraintes sectorielles, en simplifiant les procédures d’approbation des investissements et en réduisant le pouvoir réglementaire des opérateurs sectoriels en activité.
Les nombreuses concertations avec les autorités publiques et les acteurs du secteur privé et de la société civile ont été déterminantes dans l’élaboration du CCDR de la Tunisie.
À noter que la cérémonie s’est tenue en présence notamment de Feryel Ouerghi Sebai, ministre de l’Économie et de la Planification, Ferid Belhaj, vice-président de la Banque mondiale pour la région MENA, Leila Chikhaoui, ministre de l’Environnement, et Fatma Thabet Chiboub, ministre de l’Industrie, des Mines et de l’Energie.
Nous reviendrons sur l’événement dans le prochain numéro de l’Économiste Maghrébin du 28 février 2024.