A quoi sert de limoger un haut responsable de l’Etat, si on ne lui donne pas au préalable les moyens nécessaires pour assumer ses fonctions? D’autant plus que son successeur se trouvera fatalement devant les mêmes contraintes administratives et surtout financières.
Depuis l’avènement du 25-Juillet, les grands commis de l’Etat nommés directement par le président de la Républiques- qu’ils soient ministres de la République ou gouverneurs, dépositaires par leur statut de l’autorité de l’Etat et représentants du gouvernement dans leur gouvernorat, se savent en sursis.
Siège éjectable
Ainsi, depuis cette date, deux chefs du gouvernement furent remerciés et 13 ministres limogés sans ménagement. Alors que pas moins de 16 gouverneurs ont été démis de leur fonction, souvent sans explication aucune.
Les derniers en date? Mondher Sik Ali, nommé en 2022 gouverneur de Monastir et l’un des proches soutiens de Kaïs Saïed et Abdelfattah Chakchouk, gouverneur de Mahdia en poste depuis 2019.
Que reproche-t-on à ces deux gouverneurs brutalement destitués de leur fonction? « Un manquement à leur devoir national », nous informe un communiqué de la présidence de la République paru à l’issue d’une réunion tenue mercredi 13 mars à Carthage entre le chef de l’État, le ministre de l’Intérieur Kamel Feki, le directeur général de la sûreté nationale, Mourad Saidane, et le directeur général de la Garde nationale, Hassine Gharbi.
« Il est inacceptable qu’un gouverneur reste en poste ou qu’un premier délégué reste derrière son bureau et sur son canapé et ne fasse pas une seule visite à ses délégations », lit-on dans ce communiqué.
« Il est également inacceptable que le gouverneur ne soit pas au courant des coupures d’eau ou d’électricité dans la zone où il est le principal responsable du fonctionnement normal des équipements publics. Pire encore, l’information lui vient de la présidence de la République qui l’appelle elle-même à intervenir immédiatement et à se rendre à l’endroit où l’eau ou l’électricité ont été coupées ». C’est encore ce qu’il ressort du même communiqué.
« La Conscience tranquille »
A noter qu’à la veille de la destitution de ces gouverneurs, Rabie Majidi et Hayet Guettat Guermazi, respectivement ministres du Transport et des Affaires culturelles furent à leur tour congédiés, mardi 12 mars. La ministre de l’Équipement et de l’habitat, Sarra Zaâfrani Zenzri a été chargée d’assurer l’intérim au ministère du Transport. Alors que Moncef Boukthir, ministre de l’Enseignement supérieur, est en charge d’assurer l’intérim au ministère des Affaires culturelles.
Aussitôt démis de ses fonctions, Rabie Majidi s’est fendu d’un post sur sa page FB pour exprimer sa satisfaction du travail accompli à la tête de son département : « Nous partons avec la conscience tranquille, ayant travaillé avec dévouement ». Tout en pointant du doigt « les contraintes financières persistantes et l’urgence d’une action concertée pour surmonter les obstacles à la réforme. »
Malversions
Le sort de l’ancien ministre de Transport était-il scellé de longue date? Ce qui est certain c’est que la décision présidentielle est tombée comme un couperet. Et ce, suite à la visite « inopinée » du Chef de l’Etat, mardi 12 mars, au dépôt ferroviaire de Jebel Jelloud et à la station de métro Tunis Marine.
Le visage fermé, visiblement courroucé, le locataire du palais de Carthage pointa du doigt la corruption qui « gangrène le service public des transports ». En citant, pêle-mêle, de nombreux exemples de malversation qu’a connue ce secteur depuis des décennies. A l’instar de : l’installation et l’abandon de certaines voies du métro léger suite à l’influence de « puissants lobbyistes »; l’achat de matériel « inadapté »; l’acquisition de locomotives de métros non conformes aux rails installés; les conditions « déplorables » de maintenance des trains et des locomotives abandonnées dans les dépôts et « qui se sont transformées en un tas de ferraille ». Sans oublier l’état « lamentable » des transports publics et les citoyens qui peinent à trouver un moyen de transport pour leur déplacement quotidien.
« La plupart des wagons sont délaissés et se sont transformés en un tas de ferraille, rongés par la rouille et désormais inutilisés. Alors que les citoyens souffrent dans leurs déplacements, certains quittent leur domicile trois heures avant ou plus pour trouver un moyen de transport. Et s’ils sont chanceux de le trouver, ils se déplacent dans des conditions inhumaines », a déploré l’éminent visiteur.
Contraintes financières
Cela-dit, et même si le diagnostic présidentiel était juste mais impitoyable, peut-on dire que le ministre en poste depuis octobre 2021 est le seul responsable de l’état lamentable du transport public?
Certes, on peut lui reprocher un certain laxisme dans la gestion du parc automobile vieillissant. Mais, disposait-il des moyens financiers pour moderniser la flotte des bus, des trains et des rames de métro? Ou, à défaut, procéder à la maintenance du parc existant? Ce qui nécessite des investissements lourds. Son successeur ne sera-t-il pas, hélas, nécessairement confronté aux mêmes contraintes financières?
La réponse fusa de la bouche d’un responsable visiblement dans ses petits souliers devant le président de la République très remonté en constatant les dégâts à la station de métro Tunis Marine : « Nous attendons des pièces de rechange monsieur le Président, l’achat de ces métros date de l’année 1985 ». Pourquoi? Par manque de liquidités dont souffrent les caisses de l’Etat. Voici le fond du problème.