Il parait que nous sommes un peuple malheureux. C’est du moins ce que prétend l’Organisation des Nations unies. Il parait même, à en croire le dernier classement mondial publié par ladite organisation, que nous avons perdu, ces trois dernières années, cinq places dans le classement mondial du bonheur. Il faut dire qu’on les comprend un peu ces Tunisiens qui ronchonnent. Même le sucre pour mieller un petit peu leur vie est en pénurie. On peut même partager leurs chaudes larmes, faute de partager avec eux une marmite boudée de toute forme de viande depuis que son prix frôle les cinquante dinars. Alors, si les Tunisiens grognent et montrent leurs dents, c’est quelque part qu’ils n’ont plus rien à mettre sous la dent. Et ce serait malheureux, comme le prétendent certains, de dire que l’organisation onusienne a une dent contre nous. Il ne s’agit pas de noyer le poisson. On ne nage pas dans le bonheur, même si on brasse dur pour joindre les deux bouts.
Cela dit, à quelque chose malheur est bon. Cela a, quelque part, obligé le gouvernement à sortir de son silence pour égayer nos jours. Dans un document publié le 21 mars sur sa page officielle, le gouvernement affirme, sans coup férir, que tous les indicateurs économiques s’améliorent et que les droits et les libertés sont garantis plus que jamais dans le passé. Cela a fait soulager plus d’un et c’est tant mieux. Mieux encore, et pour assurer notre félicité, le document a été traduit en français. Un texte plein de coquilles, au grand bonheur des Tunisiens qui s’en sont donné à cœur joie sur les réseaux sociaux.
Mais qu’à cela ne tienne, le gouvernement a tout de même réussi à nous rassurer. Contrairement à ce que peuvent prétendre certains détracteurs, tout va à merveille dans le pays. Tous les indicateurs sont positifs. Qu’importe ce que vient de publier l’Institut national de la statistique. D’ailleurs, c’est bien connu, les statistiques sont comme les bikinis, elles montrent tout mais cachent l’essentiel. C’est vrai que les chiffres montrent que la croissance du PIB n’est que de 0,4%, que l’inflation des produits alimentaires dépasse les 12%, que nous avons 667,5 mille chômeurs dont 40% parmi les jeunes, que l’endettement de l’Etat repré- sente 83% du PIB. Tout cela est vrai, sauf que ce n’est qu’une succession de chiffres, l’essentiel est ailleurs. L’essentiel est que l’économie tunisienne, à l’image du peuple tunisien, est résiliente. C’est vrai qu’on n’a pas les moyens de manger à notre faim, mais la fin justifie les moyens. Une résilience à toute épreuve qui aurait ébloui nos partenaires étrangers, nous rappelle le document « Pour Mémoire ». Comme nos amis étrangers, il fallait voir le bon côté des choses, être optimiste comme l’était le Candide de Voltaire. C’est ce qu’aurait dû comprendre l’ancien président de l’INS. Maintenant, il le sait à ses dépens.
Tout cela étant dit, faut-il dire pour mémoire, histoire de rester dans le même registre, que dans le meilleur des mondes possibles, jouer les candides ne fait qu’enfoncer le clou. Optimisme, cela ne rime pas avec naïveté et ce serait naïf de nier que nous sommes en train de rater tous les examens de passage, ceux de la démocratie quelque part, mais aussi et surtout ceux du développement économique et social. Euphémisme, pour ne pas dire qu’on craint de toucher le fond. Ce serait malheureux, mais peut-être qu’à quelque chose malheur est bon.
Le mot de la fin est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 891 du 27 mars au 10 avril 2024