Bien que la main de la justice ait été lourde contre les assassins de Chokri Belaïd, le dossier de cette affaire ne sera pas fermé tant que les commanditaires de cet assassinat politique sont encore libres comme le vent.
Une tempête dans un verre d’eau? Après onze ans d’enquête et de procédure judiciaire sur l’assassinat de Chokri Belaïd– un crime politique qui plongera la Tunisie toute entière dans la stupeur et la consternation et qui se muera en colère, faisant place à une mobilisation générale bien plus importante que celle de la révolution du 14 janvier- le verdict est tombé ce mercredi 27 mars.
Ainsi, après onze heures de délibérations, la Cinquième chambre Pénale, spécialisée dans les affaires de terrorisme près le Tribunal de Première Instance de Tunis, prononça son verdict : sur les 23 accusés, quatorze en état d’arrestation et neuf en liberté, quatre écopent de la peine de mort malgré un moratoire de facto entré en vigueur en 1991; alors que deux autres ont été condamné à la perpétuité ; cinq ont eu des non-lieux; tandis que les autres ont été condamnés à des peines allant de 2 à 120 ans de prison. Tous les accusés seront soumis à un contrôle administratif allant de trois à cinq ans.
Malaise
Mais, en dépit de la sévérité de ces condamnations, pourquoi persiste chez un bon nombre d’observateurs politiques un malaise doublé d’un sentiment mitigé de léger goût d’inachevé?
Car, faut-il l’avouer, très vite après l’assassinat du secrétaire général d’El-Watad (le Mouvement des patriotes démocrates) et de l’avocat dont l’hostilité envers l’islam politique n’était un secret pour personne, tous les regards s’étaient tournés vers le parti Ennahdha, à l’époque au pouvoir. Et ce, pour lui faire porter au moins la responsabilité morale de ce crime : alors que le président Moncef Marzouki l’avait personnellement averti qu’il était devenu une cible et qu’il figurait en tête d’une liste de personnalités à abattre; il n’avait pourtant bénéficié d’aucune protection rapprochée.
D’où l’impression que la justice a condamné les exécutants directs ou leurs complices. Alors que les vrais commanditaires tapis dans l’ombre- qui ont planifié, financé et donné l’ordre d’assassiner Chokri Belaid- courent toujours.
Prélude à un deuxième procès ?
Alors, le verdict prononcé hier mercredi 27 mars va-t-il déboucher sur un autre procès qui lèvera enfin le voile sur les vrais commanditaires de cet assassinat politique lié forcement à l’embrigadement des jeunes et leur tasfir vers les zones de tension? Ainsi que le rôle de l’appareil secret du mouvement Ennahdha, une sorte de police secrète dont le plus connu des agents de cette structure n’est autre que le fameux Mustapha Khedher?
« Le combat vient juste de commencer et la deuxième partie de l’affaire Belaid va bientôt démarrer ». C’est ce qu’a déclaré le frère du martyr, Abdelmadjid Belaïd, qui s’exprimant le 27 mars 2024 sur les ondes Jawhara Fm. Assurant à l’occasion que « la deuxième étape sera entamée dans un avenir proche ». Puisqu’il s’agit « de juger les personnes ayant supervisé et planifié l’assassinat, en l’occurrence Rached Ghannouchi et Ali Laarayedh, et les dirigeants sécuritaires ayant joué le rôle d’intermédiaire avec ceux qui ont exécuté le crime ».
Abdelmajid Belaïd a également soutenu que « Mustapha Khedher était l’un des responsables de l’appareil secret d’Ennahdha alors que Rached Ghannouchi en était le chef ». Ajoutant que ce dernier avait « personnellement » donné l’ordre d’assassiner Chokri Belaïd. Un assassinat « planifié depuis 2012 », selon ses dires.
Ennahdha s’en lave les mains
Et que penser du communiqué publié à l’aube du mercredi 27 mars, juste après que le Tribunal eut prononcé des jugements dans l’affaire de l’assassinat de Chokri Belaïd ?
Ce verdict « devrait mettre fin au commerce avec le sang du martyr et restaurer la dignité de ceux qui ont été touchés par des accusations politiques mensongères et meurtrières, notamment contre le leader du mouvement, Rached Ghannouchi », peut-on lire dans ce communiqué.
Pointant du doigt « l’agenda suspect de ce soi-disant organisation de défense, un organisme injuste, agressif, menteur et calomnieux qui consiste à cibler un parti », le communiqué déduit que les constatations des services de sécurité et les détails conclus par les services judiciaires « prouvent avec certitude l’innocence d’Ennahdha ». Tout en rappelant à l’occasion avoir exigé que l’audience soit publique et qu’elle soit retransmise en direct.
« Plus de dix ans après l’assassinat de Belaïd, le tribunal de première instance de Tunis a rendu, mercredi à l’aube son jugement contre les acteurs de cette affaire, qui a ébranlé l’opinion publique nationale, déstabilisé la coalition au pouvoir, semé le doute parmi les partis nationaux, approfondi le fossé entre les familles intellectuelles et politiques et est revenu à une époque où la possibilité de se réunir sur un projet national sans exclusion ni discrimination était impossible », lit-on encore dans ce communiqué.
Et de conclure : « Des partis hostiles et partiaux ont insisté pour tenir le mouvement Ennahdha pour responsable de cet assassinat politique, et se sont engagés dans cette conspiration politique, basée sur des partis idéologiques et politiques, et ont exercé des pressions par tous les moyens pour influencer le cours de l’affaire à un moment donné, là où les Tunisiens ont besoin de connaître la vérité nue ».
Enfin, c’est à se demander si un jour justice sera rendue à cet avocat des causes justes, qui était également le défenseur acharné de nombreux islamistes dont il ne partageait pourtant aucune des convictions. Là résidait sa grandeur.