La prochaine élection présidentielle, prévue pour la fin de l’année en cours, s’annonce chaude et décisive. Non pas forcément en raison de ses résultats, mais parce qu’elle a un après, où se jouera l’avenir de la Tunisie.
Des poids lourds, comme Kaïs Saïed, Abir Moussi, Mondher Zenaidi et probablement un candidat du Front du Salut, ont déjà commencé leur campagne électorale tambour battant. Chacun à sa façon, chacun avec un objectif d’ordre politique, qui n’est autre que de remporter l’élection présidentielle. Et surtout où toutes les armes politiques sont dégainées. Ce qui donne déjà du suspens et jette des pierres dans les eaux stagnantes de la politique chez nous.
Une élection présidentielle pas comme les précédentes
Quels que soient le résultat de cette élection, sur lequel il est hasardeux de se prononcer prématurément, il fera entrer le pays dans une étape historique nouvelle. Car, selon nous, les rapports des forces politiques ne seront plus les mêmes. Et ce, même au cas où le président en exercice la remporte et est reconduit pour un second mandat de cinq ans. Des nouvelles composantes de la scène politique viendront enrichir le paysage. Ainsi, contrairement aux dernières élections parlementaires, non seulement les taux de participation seront nettement plus élevés, mais les engagements politiques des uns et des autres seront plus ancrés dans le terroir tunisien.
En effet, trois composantes majeures s’affronteront, à savoir : les partisans du président de la République, les destouriens et les islamistes. Pour ces deux dernières composantes, c’est un combat de vie ou de mort.
Quant à la gauche radicale, elle sera hors-jeux et oscillera entre une attitude qui appelle au boycott et une autre qui se rangera derrière Kaïs Saïed en qui elle voit une planche de salut. Sans disparaître complètement, elle continuera, comme elle l’a toujours été, à botter en touche. La gauche a perdu une occasion, après le 14 janvier 2011, de faire une alliance historique avec les destouriens qui ont été, à travers l’histoire, ses alliés objectifs face aux forces conservatrices ou rétrogrades.
Ce qui est essentiel et nouveau, c’est que les différentes forces de l’opposition ont abandonné l’attitude négative, qui consiste à appeler au boycott des élections sous prétexte qu’elles considéraient et considèrent encore le coup de force du 25 juillet 2021 comme un putsch contre la Constitution de 2014 et contre la démocratie. Elles croyaient, depuis le vote de l’actuelle Constitution, faire reculer KS et imposer un retour des institutions de 2014 dont le défunt Parlement, partant d’un mauvais diagnostic des rapports des forces en place et surtout de la popularité du président en exercice.
Cette attitude, qui fait preuve d’une naïveté extrême, a isolé ces différentes oppositions non seulement sur le plan intérieur, mais surtout sur le plan extérieur. En effet, la guerre d’Ukraine et celle de Gaza ont poussé le camp occidental à changer son fusil d’épaule, craignant de perdre un allié précieux, qui a une situation stratégique en Méditerranée et qui a, à plusieurs reprises, fait mine de se rapprocher du camp adverse, mais sans le faire réellement.
Or, les expériences politiques dans notre pays, et ailleurs, prouvent que c’est dans des situations analogues qu’il faut saisir tous les rendez-vous électoraux pour faire bouger les lignes en s’impliquant dans les processus électoraux. A notre avis, les attitudes négatives de ces oppositions ont été dictées plus par les ego surdimensionnés des chefs de ces oppositions que par l’intérêt de leur formation politique respective.
Car la participation à un processus électoral, même s’il est truffé de handicaps légaux ou illégaux, n’a pas seulement pour objectif de remporter la victoire électorale; mais surtout de changer les rapports des forces politiques sur le terrain. La fuite en avant et la méconnaissance des rapports des forces politiques réels sont derrière cette faute grave des différentes oppositions.
Dire que participer aux processus électoraux est une reconnaissance de fait du supposé putsch est aussi naïf qu’improductif. En plus du fait que cela faisait le jeu de KS et de ses partisans. Comme quoi les absents ont toujours tort et la politique de la chaise vide n’a jamais servi personne.
Les outsiders qui changent la donne
L’arrivée dans la course d’un poids lourd de la politique nationale comme Mondher Zenaïdi a provoqué un tsunami de critiques sur la Toile, qui est, rappelons-le, le principal terrain d’affrontement des forces politiques en présence. Les différents médias audio-visuels ont comme d’habitude amplifié et développé l’événement. Ce qui est évident : tous les communicateurs professionnels le savent, c’est un coup de pub extraordinaire pour le probable candidat. Les tirs amis provenant de la même famille politique sont les plus nombreux et les plus agressifs. Ce qui est aussi normal, car Abir Moussi, étant la première de cette famille destourienne qui a toute les chances d’occuper les devants de la scène dans les années qui viennent, voit certainement dans cette entrée spectaculaire en scène de ce candidat « une tentative de la marginaliser ». Elle qui paye de sa liberté (puisqu’elle est en prison) le prix de son audace et son combat implacable contre les islamistes, qui a d’ailleurs balisé le terrain au coup de force du 25 juillet 2021. Mais n’est-ce pas là le propre du jeu politique?
Beaucoup voient dans cette guerre fratricide un handicap qui risque de faire perdre l’élection présidentielle aux destouriens, mais rien ne nous semble aussi faux. Car cet affrontement sonne comme une élection interne au sein de la famille pour choisir le meilleur et celui qui a le plus de chance pour remporter la victoire électorale. Mais à notre avis, Mondher Zenaïdi, et son discours le prouve, vise à se positionner dans l’étape d’après l’élection présidentielle et ceci quel que soit son score si jamais il se présente. Son avantage et son handicap en même temps, c’est qu’il réside depuis quelques mois à l’étranger. Mais qui a dit que les victoires ne se remportent pas de l’étranger ou même de la prison? Le cas du Sénégal prouve le contraire et il est loin d’être l’unique exemple dans l’histoire des luttes politiques dans le monde.
De toute façon, un arrangement de dernière minute entre membres de la même famille politique est toujours possible. Et c’est une pratique répandue dans toutes les élections au monde. Il est trop tôt pour prétendre qu’elle est possible. Tout laisse à croire que l’intrusion spectaculaire de Mondher Zenaïdi est plus politique qu’électoraliste.
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D’autres outsiders se sont déclarés comme candidats, comme Issam Chebbi que son parti a désigné pour concourir à la présidentielle; malgré le fait qu’il soit aussi en prison. On le considère comme outsider parce que le candidat « naturel » du Front du salut dont il fait parti n’est autre que son propre frère, Nejib Chebbi. Ce qui signifie que des craquements se font déjà sentir dans ce front.
Alors que les islamistes d’Ennahdha dont les chefs sont en prison, tout en annonçant leur intention de participer à l’élection présidentielle, tentent de trouver un consensus pour un candidat unique du front dont ils constituent l’ossature, ils partent néanmoins divisés puisqu’un autre parti islamiste avance déjà le nom d’Abdellatif Mekki.
Ces divisions multiples ne peuvent évidemment que faire l’affaire de KS qui, à l’évidence, a déjà entamé sa compagne électorale pour sauvegarder les 11 % qui lui ont fait déjà confiance lors des différents scrutins passés. Mais surtout pour ratisser plus large, notamment dans l’électorat islamiste qui s’est éloigné du parti de Rached Ghannouchi. Ce dernier garde le silence, pour le moment, car son objectif principal est de sortir son parti et ses amis du tunnel dans lequel il les a introduits.
Les différentes candidatures ont un point commun : celui d’imposer à KS d’infléchir sa politique vis-à-vis des différentes oppositions. Tout pousse à croire que ces candidatures, dans leur majorité, visent plus des objectifs politiques qu’électoraux. Mais elles constituent, malgré leurs divisions, un front de contestation unie contre le locataire de Carthage.
Les prochains mois sont à coup sûr riches en rebondissements et beaucoup d’eau coulera sous les ponts, ainsi que des revirements et des volte-face.
Pendant ce temps, le pays continue à s’enfoncer dans le marasme économique. En attendant des programmes économiques et sociaux qui pourraient unifier le pays dans un front intérieur solide.