La visite vendredi dernier du gouverneur de Ben Arous, Ezzeddine Chelbi, au siège des recettes des finances à El Medina Jadida, où le Receveur fut réprimandé publiquement- la scène étant filmée et publiée sur la page du gouvernorat- aura suscité des réactions passionnées sur la Toile.
Faudra-il que la haute fonction publique s’insurge contre le syndrome du laisser-aller, de la désinvolture, de l’insouciance et du relâchement (tkarkir) qui sévit souvent, hélas, au sein de nos administrations publiques. Ou encore contre le phénomène de l’absentéisme injustifié, symbolisé souvent par le fonctionnaire qui laisse sa veste pendue sur un cintre pour donner l’impression qu’il n’a pas quitté son lieu de travail alors qu’il est entrain de faire ses courses au Marché central. Sans parler de ceux qui, sous prétexte de faire la prière du vendredi, prennent la direction de la mosquée à midi pour ne revenir que le lundi matin?
Certes, il faut que cela cesse. Mais, dans le respect de la dignité de la personne ayant failli à son devoir. Et avec la manière.
Sous l’œil de la caméra
Prenons un exemple édifiant : la Toile devenue, depuis l’avènement du 25-Juillet, un forum de débat politique, s’est enflammée suite à la visite d’inspection que le gouverneur de Ben Arous, Ezzeddine Chelbi, avait rendue, vendredi 29 mars 2024, à la recette des Finances d’El Medina Jadida.
Constatant l’absence de certains employés et le manque de chaises dans la salle d’attente alors qu’elles étaient alignées le long des guichets, le gouverneur sermonna le receveur sous l’œil implacable de la caméra : la scène fut filmée et publiée sur la page du gouvernorat. Il s’en suivit sur les réseaux sociaux une grosse polémique entre les partisans du processus du 25-Juillet qui ont applaudi le comportement « courageux » du gouverneur. En revanche, plusieurs voix se sont élevées pour s’insurger contre l’humiliation publique d’un fonctionnaire de l’Etat, taxant cette attitude de populisme mauvais goût.
« Populisme »
« L’État ne peut pas être géré avec du populisme et de la diffamation ». Ainsi réagissait Mohamed Msilini, l’ancien ministre du Commerce et le dirigeant du mouvement Echaâb, un parti politique qui s’inscrit dans la mouvance du socialisme et du nationalisme arabe et qui ne cache pas sa promiscuité avec le processus du 25-Juillet.
En effet, tout en admettant dans son intervention, hier lundi 1er avril 2024 sur les ondes de Jawhara FM, « qu’il y a un relâchement et une inefficience qui touchent certains services publics administratifs », ces phénomènes ne peuvent pas être traités de cette façon « populiste » et « en filmant les visites ». D’autant plus, estime-t-il, que « la visite du gouverneur à une recette des Finances ne relève pas de ses prérogatives; les services du ministère des Finances n’étant pas de son domaine d’intervention ».
« Mise en scène »
A observer également la réaction outragée de la part d’Abdallah Gammoudi, secrétaire général de la Fédération générale de la Planification et des Finances relevant de l’UGTT). Celui-ci a déclaré lundi 1er avril 2024 dans l’émission « Ahla Sbeh » de Mosaïque FM, que le syndicat attendait une réaction de la part de la ministre des Finances « pour laver l’honneur de nos collègues travaillant dans l’institution concernée ».
« Le syndicat ne s’oppose pas au contrôle et ne se croit pas au dessus des lois; mais l’image véhiculée lors de la visite du gouverneur était loin de la réalité », a-t-il assuré.
Car selon lui, « les agents étaient sur le terrain lors de la visite du gouverneur de Ben Arous. Mais ce dernier a violé les données personnelles, alors qu’il devait vérifier la feuille de présence et les caméras de surveillance ». Tout en soulignant à l’occasion que hormis le Receveur, ce bureau de recette n’emploie que quatre assistants et un commis.
Et de préciser : « Le gouverneur n’a pas respecté la dignité des personnes présentes sur place, la scène photographiée n’étant qu’une mise en scène puisqu’il n’a montré que ce qu’il voulait montrer ».
Cette visite, documentée sur la page officielle du gouvernorat de Ben Arous, « perpétue la diffamation et l’incitation à la violence contre les agents, dans le but de les condamner et de leur reprocher des transgressions et des violations Entre temps, le gouverneur est apparu sous les traits d’un héros », a conclu le responsable syndical.
Par conséquent, a estimé le syndicaliste, le ministère public « aurait dû engager des poursuites de son propre chef et autoriser l’ouverture d’une enquête à l’encontre du gouverneur ». Et ce, « conformément au décret 54 relatif à la lutte contre les délits liés aux systèmes d’information et de communication ».
Question de manière
Au final, nul ne conteste que selon la Loi n° 75-52 du 13 juin 1975, fixant les attributions des cadres supérieurs de l’administration régionale, le Gouverneur « étant le dépositaire de l’autorité de l’Etat et le représentant du Gouvernement dans son gouvernorat », a, selon l’Art. 10 de la même loi, « autorité sur le personnel des services de l’Etat exerçant dans son gouvernorat ».
Ceci étant dit, est-il concevable dans un Etat de droit d’humilier publiquement un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions; le tout filmé par une caméra et posté sur les réseaux sociaux?
Question de manière. Surtout de bonnes manières.