Lors de la poignée de main historique entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin à l’occasion de la signature des accords d’Oslo sur la pelouse de la Maison Blanche le 13 septembre 1993, le Premier ministre israélien proclamait, lyrique : « Nous sommes destinés à vivre ensemble sur le même sol de la même terre ». Trois décennies plus tard, que reste-t-il de ce beau rêve d’un État palestinien?
Ce sont des chiffres qui donnent froid dans le dos. Dans la bande de Gaza devenu un champ de ruines et de désolation, pas moins de 32 975 personnes dont 13 800 enfants et au moins 3250 femmes sont décédés. Et ce, selon les récents décomptes macabres de l’UNICEF. De plus, près de 75 577 personnes sont blessées dont 12 300 enfants. Plus de 17 000 enfants sont séparés de leurs parents. Des dizaines de milliers d’autres sont portés disparus. Les femmes et les enfants représentent 70 % des victimes.
Aurait-il fallu autant de victimes civiles dans cette sale guerre génocidaire menée depuis presque six mois par les forces d’occupation israéliennes pour que la communauté internationale comprenne enfin qu’il est impératif d’instaurer dans l’immédiat un cessez-le-feu pour mettre fin à une situation humanitaire catastrophique à Gaza; avant de songer à la solution à deux États : à savoir la reconnaissance mutuelle par les Israéliens et les Palestiniens de deux États vivant en paix côte à côte. Une chimère? Pas autant que cela.
« La solution la moins mauvaise »
« Je continue à penser que la solution à deux États reste la moins mauvaise et la moins irréaliste des options possibles ». C’est ce qu’affirme Ghassan Salamé, ancien ministre au Liban, professeur en relations internationales, ex-émissaire de l’ONU et observateur avisé du Moyen-Orient qui côtoie les acteurs du conflit israélo-palestinien depuis des décennies.
« Je le dis à la fois par principe moral mais aussi par calcul politique », a-t-il ajouté dans un entretien hier jeudi avec nos confrères de France 24. « Par principe moral parce qu’il me semble qu’un peuple de plus de 10 millions de personnes, le peuple palestinien, ne peut pas être le seul puni par ce conflit interminable. Il ne peut pas être le seul à être privé de normalité et d’existence politique. Sans parler de soutien humanitaire ou de prospérité économique. C’est important, mais ce n’est pas l’essentiel. L’essentiel, ce sont les droits politiques du peuple palestinien. Je le dis aussi par calcul politique. Je suis né libanais et ayant vu les retombées du conflit israélo-palestinien sur mon petit pays, je suis arrivé, il y a longtemps, à la conclusion que l’instabilité de cette région du monde est inévitable si les droits politiques du peuple palestinien devaient continuer à être ignorés ».
L’exemple espagnol
A noter que L’Espagne devrait rejoindre avant l’été les 139 pays (dont 9 Etats membres de l’Union européenne) qui reconnaissent officiellement l’État palestinien. Ainsi, le Premier ministre Pedro Sánchez, qui avait déjà promis ce geste diplomatique, a fixé le délai mardi 2 avril lors d’une visite à Amman, en Jordanie.
« Nous devons penser sérieusement à reconnaître un État palestinien, ce semestre », a déclaré le leader socialiste au groupe de journalistes espagnols l’accompagnant lors d’une tournée dans trois pays du Moyen-Orient qu’il a débutée par la capitale jordanienne.
En effet, en marge d’un sommet européen à Bruxelles, le 22 mars, Pedro Sanchez et ses homologues irlandais, maltais et slovène avaient publié une déclaration commune dans laquelle ils se disent « prêts à reconnaître la Palestine » ; lorsque « cela peut apporter une contribution positive » à la résolution du conflit israélo-palestinien « et que les circonstances sont réunies ».
« Ce n’est pas un tabou »
Même son de cloche en France où Emmanuel Macron avait déjà assuré en février dernier que la reconnaissance d’un État palestinien n’était « pas un tabou ».
Pour sa part, l’ancien ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian a estimé, jeudi 4 avril, qu’ « une des voies pour casser le cycle infernal de la violence est que la France reconnaisse formellement l’État palestinien, une manière de mettre la pression sur Israël pour rompre avec la logique de la destruction totale de Gaza ».
« À titre personnel, je pense qu’il faudrait le faire », a ainsi expliqué sur Sud Radio l’ancien chef de la diplomatie française, désormais envoyé spécial d’Emmanuel Macron au Liban.
Washington : realpolitik oblige
Reste la question cruciale : quid de la position de l’administration américaine qui s’oppose mordicus et de longue date à un État palestinien?
Selon des rumeurs insistantes bruissant à Washington, les Etats-Unis– qui n’ont jamais reconnu l’État palestinien, bien qu’ils considèrent l’Autorité palestinienne comme le gouvernement légitime de la bande de Gaza et de la Cisjordanie- étudient la possibilité de reconnaître la Palestine en tant qu’État après la guerre entre Israël et le Hamas. Le secrétaire d’État Antony Blinken, travaille en effet sur les différentes options sur le sujet.
Comment expliquer un tel changement stratégique de la part de l’Oncle Sam?
Il faut rappeler à cet égard que l’administration américaine est divisée depuis le début du conflit entre Israël et le Hamas sur la question du soutien à Israël. Une récente enquête Gallup montre que, 52 % des républicains pensent que les États-Unis soutiennent « trop » les Palestiniens et 30 % « suffisamment ». Alors que du côté démocrate, 49 % pensent que les Palestiniens ne sont « pas assez » soutenus.
Mais, en tenant compte de profondes divisions au sein du Parti démocrate sur la guerre à Gaza, le vote de protestation des jeunes, des minorités, des Arabes et des musulmans américains pourrait compromettre les chances de Joe Biden à la prochaine élection présidentielle où la course avec Donald Trump s’annonce de plus en plus est serrée.
Ce tournant aussi bien dans les chancelleries occidentales qu’au sein de l’opinion publique internationale représente-t-il un tournant stratégique majeur en faveur des Palestiniens et leur droit légitime à un État viable? L’avenir nous le dira.