La musique et l’écriture forment un couple osé, sensible et harmonieux pour la romancière, chanteuse et Docteur en littérature et civilisation françaises (Lettres Modernes) Wafa Ghorbel . Sa voix sublime semble rythmer ses mots et nourrir son inspiration fertile. Et d’ailleurs, les références musicales ne manquent pas dans ses romans. Cette romancière s’est affranchie des tabous, des restrictions et des interdits. Elle laisse libre court à sa plume qui part sillonner le papier avide d’encre et de mots. Ainsi l’écriture et la musique sont en transe dans son univers musical et littéraire. Depuis longtemps, elle habite les mots, depuis qu’elle avait 12 ans. Et puis, a 15 ans, elle écrit son premier roman. Notre invitée a été prédestinée à un avenir littéraire brillant entre la sphère universitaire rigoureuse et l’écriture de roman qui parfois, s’affranchit des règles strictes de la critique littéraire. Elle s’affirme comme arabe et tunisienne, tout en gardant son ouverture sur le monde. Entre authenticité et modernité, elle se situe très loin de tout déracinement. A l’occasion de la parution de son dernier roman Fleurir (Kalima Éditions) qui sera mis en vente lors de la 38ème édition de la Foire international du livre de Tunis, Wafa Ghorbel a bien voulu répondre à nos questions. Coup de projecteur sur l’écrivaine et son parcours.
Wafa Ghorbel , en tant que romancière, chanteuse et enseignante universitaire de littérature française, vous avez plusieurs facettes. Pourriez-vous nous en dire plus sur votre parcours littéraire et artistique?
Je suis docteure en littérature et civilisation françaises (Lettres Modernes). J’ai obtenu mon doctorat à la Sorbonne Nouvelle après la soutenance d’une thèse autour de l’œuvre de Georges Bataille et j’enseigne dans les universités tunisiennes depuis 2007. L’aventure avec la littérature a débuté vers mes douze ans, quand j’ai commencé à lire les œuvres des grands noms de la littérature arabe. Quelques années plus tard, la littérature française m’a également séduite et j’ai cultivé, au-delà de mes lectures, mais certes grâce à elles, une double-culture et une identité métissée, toujours arabe, toujours tunisienne, toutefois plus ouverte sur le monde et, essentiellement, sur la francophonie. Vers mes quinze-seize ans, j’ai écrit un premier roman en langue arabe que je n’avais pas cherché à publier.
Après un baccalauréat littéraire, je me suis orientée vers la langue et les lettres françaises y voyant un modèle qui correspondait à mes aspirations. Il fallait attendre la soutenance de ma thèse de doctorat pour me libérer un peu de l’écriture académique et renouer avec mon premier amour : la création romanesque, en langue française cette fois-ci, contexte oblige. C’est à ce moment que j’ai écrit Le Jasmin noir, mon premier roman, paru plusieurs années plus tard chez la Maison Tunisienne du Livre (Prix découverte – Comar d’Or 2016). En 2017, j’ai publié chez le même éditeur mon deuxième roman, Le Tango de la déesse des dunes (Prix Béchir Khraïef de la Foire Internationale du Livre de Tunis 2018 / Prix Zoubeïda B’chir du CRÉDIF 2018). En 2019, j’ai publié mon autotraduction du Jasmin noir, en arabe. Ce dernier roman a d’ailleurs été traduit en plusieurs langues : en anglais (paru aux États-Unis, en 2021), en roumain (paru en Roumanie, en 2023) et en espagnol (il paraîtra au cours de 2024, au Mexique). Mon dernier roman Fleurir vient de paraître chez Kalima Éditions. Je suis, par ailleurs, devenue membre du Parlement des Écrivaines Francophones, en 2022.
Parallèlement, aussi loin que remontent mes souvenirs, j’ai toujours chanté. J’ai été membre des clubs de musique de mon lycée et de ma faculté, en Tunisie (à Sfax). En France, j’ai fait partie du groupe d’étudiants tunisiens Attarab. Ce n’est qu’après la soutenance de ma thèse que j’ai entamé une carrière en solo et que j’ai entrepris la conception de mes propres projets musicaux. J’ai d’abord collaboré avec le pianiste franco-libanais Elie Maalouf et j’ai conçu avec lui un spectacle de reprises de Fairouz baptisé Rhapsodie turquoise, puis avec le jazzman français Édouard Bineau avec lequel j’ai présenté un concert intitulé Oriental Jazz Standards qui s’articulait autour de standards revisités (Miles Davis, Nina Simone, Billie Holiday, George Gershwin, Chet Baker…).
De retour en Tunisie, j’ai collaboré avec le pianiste classique Mehdi Trabelsi et nous avons conçu mon spectacle Mes tissages constitué de reprises de chansons françaises à texte (Brel, Ferré, Piaf, Barbara, Aznavour, Montand, Trenet…). Nous continuons d’ailleurs à jouer ce répertoire qui ne cesse d’évoluer. Enfin, avec le compositeur Hichem Ktari, nous travaillons parallèlement sur un projet de mise en musique de poèmes arabes contemporains. C’est ainsi que j’ai commencé à créer mes premières compositions personnelles.
Est-ce que Wafa Ghorbel , la chanteuse, et Wafa la romancière cohabitent harmonieusement? Ou bien y en a-t-il une qui domine l’autre? Comment voyez-vous la relation entre l’écriture et la musique?
La romancière et la chanteuse cohabitent parfaitement et s’entremêlent immanquablement en moi. Il serait impossible de les séparer : je chante en écrivant et j’écris en chantant. Quand j’écris, je me nourris et m’inspire des musiques que j’écoute et des chansons que je chante. Certains passages de mes livres sont entièrement consacrés à des scènes de chant, de danse ou de jeu (musical). Dans mon premier roman, l’héroïne est chanteuse et le héros est musicien. Dans le deuxième, elle est danseuse et il est musicien. Dans le troisième elle est également danseuse et il est pareillement musicien. Les chapitres de mes romans portent souvent les titres de morceaux musicaux ou de chansons que j’affectionne et dont la symbolique est forte. La structure rythmique de mes phrases épouse celle des mélodies évoquées. C’est la musique qui donne l’impulsion et le ton. Il ne s’agit aucunement d’une musique de fond ou d’un simple arrière-plan sonore et accessoire. La musique, je l’ai déjà dit ailleurs, est un personnage à part entière dans mes écrits. Elle constitue à mes yeux un réseau thématique, poétique et rythmique inépuisable. D’ailleurs, quand je présente mes romans, j’en fais souvent des démonstrations musicales.
Par ailleurs, l’inverse est aussi vrai. Je chante des chansons à texte, je traduis et adapte moi-même les textes interprétés par Jacques Brel, Léo Ferré, et d’autres en arabe dialectal (tunisien) ou littéraire. C’est un véritable exercice de création ou de recréation poétique. Je ne suis donc jamais loin de la littérature, même sur scène.
Votre dernier roman, Fleurir, qui paraîtra à l’occasion de la Foire Internationale du Livre de Tunis, semble aborder des sujets tabous et d’actualité. Pourriez-vous nous en dire plus, notamment, étant donné qu’il est en lice pour les Comar d’or?
Tout à fait. Fleurir, tout comme mes romans précédents, aborde des thèmes tabous et/ou d’actualité, comme la sexualité, le harcèlement et le viol en milieu scolaire, le mariage des mineures, la violence conjugale, le poids des traditions; mais encore l’immigration clandestine, le racisme… À côté de ces sujets « brûlants », d’autres thèmes sont abordés comme l’insularité, l’identité plurielle, la littérature, la musique, essentiellement le flamenco et, pour finir (sans épuiser les sujets), la résilience.
Quel message aimeriez-vous transmettre aux jeunes écrivains ?
Je ne me considère pas comme un exemple à suivre et je ne suis pas du tout donneuse de leçons. Je pense que chacun doit tenter son expérience avec ses propres moyens pour pouvoir tirer, par la suite, ses propres leçons. Le seul conseil que je pourrais peut-être me permettre de donner aux jeunes écrivains est celui d’accumuler et de diversifier les lectures. Et ce, afin de trouver leur propre empreinte et de se construire une identité littéraire unique.