La diplomatie tunisienne sort de l’ombre, elle est de retour aux quatre coins de la planète. Un vent de transformation souffle dans les allées du ministère et dans nos représentations à l’étranger : restructuration tous azimuts, organigramme rénové, redéploiement et nouveau mode de gouvernance avec davantage d’initiative et une responsabilité stratégique accrue. D’un mot, dira-t-il, plus de réactivité pour remettre nos pendules à l’heure du bouleversement géopolitique. Autant d’objectifs qu’il égrène à l’effet d’élever l’efficacité de notre diplomatie qui participe activement à l’émergence économique du pays. Avant d’endosser l’habit de ministre, Nabil Ammar était aux responsabilités à Oslo et a été ambassadeur à Londres et à Bruxelles. Il a côtoyé de près la City et le saint des saints économiques, la Commission européenne. Il a fallu attendre un président de la République du niveau d’intégrité et d’engagement de la trempe de Kaïs Saïed pour remettre la politique étrangère de la Tunisie sur les rails après plusieurs décennies d’errement. Il sait ce que diplomatie, notamment économique, veut dire et ce qu’elle peut apporter au pays. Il s’y emploie au pas de charge. Et, visiblement, non sans un retour sur investissement. Interview.
Depuis votre arrivée au ministère, vous avez donné un nouvel élan et une nouvelle tonalité au travail diplomatique. Est-ce là le choix d’instaurer de nouveaux fondamentaux à la diplomatie tunisienne ?
Le point crucial vient du président de la République qui a donné le ton pour un retour aux fondamentaux de la diplomatie tunisienne. De par la clarté de ses choix et leur continuité, il facilite beaucoup le travail du ministère des Affaires étrangères. En fait, je me retrouve en ligne, pleinement dans la direction souhaitée par le président de la République du point de vue des choix diplomatiques du pays, mais aussi des choix de la gestion interne de ce département. J’ai toujours pensé que l’un des piliers du fonctionnement du ministère des Affaires étrangères était la bonne gestion de l’outil diplomatique et la rationalisation de ses moyens. Les moyens sont, certes, limités, mais le tout est de savoir comment faire le meilleur usage des ressources humaines qui sont considérables, de les mettre en capacité de donner le meilleur d’elles-mêmes. Cela ne s’est pas fait depuis des années.
La diplomatie tunisienne est une grande institution. Je me considère, génétiquement, comme le fils de ce département, mais je n’ai pas toujours été en accord avec la manière avec laquelle il a été géré. Et je demeure persuadé qu’il faut redresser la barre. Et c’est ce que nous nous employons à faire tous les jours. Il faut valoriser nos ressources humaines, les responsabiliser, leur laisser la latitude d’agir en leur faisant confiance. Il faut stopper le copinage et introduire beaucoup plus de transparence dans le choix des personnes qu’il faut responsabiliser, tout en leur faisant savoir qu’ils sont comptables de ce qu’ils font.
Donc, pour revenir à votre question, l’un des fondamentaux de la diplomatie est d’abord la bonne gouvernance. Ce qui veut dire une gestion saine et rigoureuse et une bonne gouvernance du ministère. Pendant des décennies, cela n’a pas été le cas. C’est là le pari que nous sommes en train de relever. Nous pensons être sur la bonne voie. La preuve : les contestations sont quasiment nulles, alors que nous avons procédé à un mouvement très important, à de nouvelles nominations, à une refondation actée par un nouvel organigramme. Nous travaillons dans la transparence, et la responsabilité de la décision s’assume. Nous ne sommes plus dans la culture du déni, de fuite devant nos responsabilités, d’irresponsabilité interne pour expliquer l’absence de prise de position. Tout cela est loin derrière nous. Nous sommes, comme je l’ai déjà dit, en train de redresser la barre. Ce n’est pas une tâche facile, car il fallait changer tout le logiciel. Dans cette entreprise, je suis aidé par des personnes qui méritent cette confiance, je le pense sincèrement, et qui ont fait la démonstration que le ministère des Affaires étrangères pouvait être géré d’une façon différente, avec beaucoup plus d’engagement et d’efficacité qu’il ne l’a été pendant des décennies.
Un grand chantier. Pensez-vous avoir les moyens de cette ambition ?
Comme vous le savez, le budget du ministère des Affaires étrangères ne représente que 0.58% du budget de l’Etat. C’est dérisoire par rapport aux responsabilités que nous avons. Il est, dans ce sens, important de l’accroître dans l’avenir.
Pour un pays comme la Tunisie, l’action diplomatique est cruciale pour notre développement. Beaucoup plus que pour d’autres pays qui ont d’autres ressources. En Tunisie, faire une bonne lecture et s’investir dans ce qui nous entoure pour prendre les bonnes décisions, c’est essentiel. Cela fait partie de notre ADN.
La Tunisie, c’est un petit pays, mais c’est une grande histoire. Comment peut-on véhiculer cette image pour conquérir la sympathie internationale ?
Comme le dit le président de la République, il n’y a pas de grand et de petit pays. La diplomatie tunisienne est fondée sur ce que nous sommes, sur notre histoire, notre géographie. Nous sommes au centre de la Méditerranée. Nous avons accueilli et assimilé différentes civilisations. C’est une richesse. Tout cela a fait du Tunisien une personne plus ouverte sur l’extérieur et forcément en harmonie avec les fondamentaux de notre diplomatie. Nous ne sommes pas un pays agresseur, nous sommes un pays faiseur de paix, épris de justice, un pays inclusif. Mais cela ne veut pas dire pour autant que nos principes ne sont pas forts. Notre position sur Gaza est une position contre le colonialisme, contre l’injustice, le génocide. Et là, nous allons au fond des choses, conformément à nos principes et à nos fondamentaux. Nous n’avons pas de double langage.
Propos recueillis par Hédi Mechri et Mohamed Ali Ben Rejeb
Cet extrait du grand entretien est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 893 du 24 avril au 8 mai 2024