L’étude récente sur « La soutenabilité de la dette publique en Tunisie : dynamique et enjeux » réalisée par Sami BOUSSIDA et Walid MENSI de l’ITCEQ, remet, très pertinemment, sur la table la question de la politique du financement du déficit public via l’endettement.
En deux mots :
Entre 2010 et 2023, la dette publique par habitant en Tunisie a augmenté de façon significative, passant de 2,43 mille dinars à 10,3 mille dinars. Soit une augmentation totale de 330 %. Cette croissance rapide de la dette s’explique en grande partie par un rythme d’augmentation plus rapide que celui de la croissance économique, en particulier entre 2014 et 2018.
Cette augmentation de la dette est attribuée à une augmentation importante des dépenses de gestion. Et notamment des dépenses de rémunération, qui sont passées de 10,4 % du PIB en 2010 à plus de 14 % du PIB en 2023. Ainsi que des dépenses d’intervention telles que les subventions, qui sont passées de 4 % à plus de 10 %. Ces augmentations ont entraîné un déficit budgétaire notable, atteignant 9,7 % en 2020 et 7,7 % en 2023.
La conclusion de cette étude, exhaustive, tient en quatre points :
Le premier est que l’examen de la dynamique de la dette publique en Tunisie sur la période 1997-2022 révèle deux grandes tendances. Entre 1997 et 2010, la politique budgétaire visait à stabiliser la dette publique Ce qui a été relativement réussi grâce à des taux de croissance nominale élevés, des taux d’intérêt bas et une maîtrise du déficit budgétaire.
Le deuxième est qu’à partir de 2011, une politique de relance budgétaire basée sur l’endettement a été adoptée pour stimuler l’économie et résoudre les problèmes de chômage et de disparités régionales. Cette politique a entraîné une détérioration de la situation, avec un déficit accru et une dette en hausse, aggravée par la dépréciation du dinar tunisien.
Le troisième est que les risques de non-soutenabilité de la dette publique ont augmenté. Il est donc nécessaire d’adopter des mesures de rationalisation. Et ce, en orientant la dette vers le financement de la croissance et de la création de richesse.
Enfin, que la diversification des sources de financement du budget de l’État est essentielle, passant par l’amélioration des capacités productives de l’État et une réforme fiscale. Cette réforme devrait se concentrer sur la rationalité et l’efficacité pour assurer la soutenabilité de la dette publique et maîtriser le déficit budgétaire.
Ce travail met en exergue un certain nombre de prolongements en matière de gouvernance de la politique monétaire en relation avec la stabilité macroéconomique et avec l’inflation financière.
En tout état de cause, par-delà de la problématique obsolète de l’indépendance de la BCT, l’abondance de liquidités depuis 2010 a propulsé le marché financier et les actifs en général spéculatifs.
Cette reflation massive, réalisée à travers des injections dans le système, a largement contribué à l’appréciation, voire à l’euphorie, du marché boursier et du marché de l’immobilier.
Cependant, et à la fin de l’année 2016, la Tunisie entre dans une phase où les politiques économique, budgétaire, monétaire et de change sont fortement asynchrones, avec le potentiel de déstabilisation dévastateur que l’on connait, en matière d’inflation, en raison de cycles – réel vs financier– divergents.
Le processus de remontée des taux d’intérêt, qui a été enclenché avant la fin de cette même année 2016, constitue un moment critique où tout va basculer de manière irrémédiable.
La Pandémie avec la volatilité des prix des matières premières importées a entraîné un impact négatif, via une forte dépréciation du dinar, sur l’activité des entreprises qui subissent déjà des difficultés financières de paiement et qui voient leurs charges d’intérêt augmenter. Cela crée un cercle vicieux qui est, en partie, à l’origine de la déstabilisation financière.
Les hausses successives des taux d’intérêt, montrent que la Tunisie est à un point critique où les secousses financières pourraient se propager à l’échelle macroéconomique avec des effets difficilement réversibles.
* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)