Selon Mustafa Abdelkebir, président de l’Observatoire tunisien pour les Droits de l’Homme, le nombre total de migrants subsahariens irréguliers s’élèverait à cent mille personnes, un chiffre exorbitant et irréel. Rien de comparable avec les 700 000 clandestins d’origine tunisienne, rien qu’en France!
Il faut savoir raison garder. Face à la vague déferlante de racisme et de xénophobie contre la supposée « invasion » des « hordes » de migrants subsahariens; et en présence de discours haineux faisant référence au Grand remplacement, une thèse complotiste reprise par l’infréquentable leader de l’extrême droite, Eric Zemmour. Il convient de rappeler aux uns et aux autres que nous les Tunisiens, sommes avant tout des Africains. Que nous n’avons ni la peau claire, ni les cheveux blonds, ni les yeux bleus. Enfin, que nos jeunes qui bravent chaque jour la mort dans des embarcations de fortune pour rejoindre l’autre rive de la Méditerranée, risquent de subir le même traitement inhumain que nous réservons à nos frères africains. Donc, gare aux dérives!
Ni terre d’accueil, ni pays de transit
C’est dans ce contexte que se situe la réunion du Conseil de sécurité nationale qui a eu lieu lundi 6 mai 2024, à Carthage. Au menu, la question explosive de la migration illégale.
Ainsi, le maître des lieux s’est de prime abord interrogé sur les causes de l’afflux massif de migrants subsahariens sur le sol tunisien, invoquant les mandats postaux et virements financiers internationaux reçus par lesdits migrants. Tout en fustigeant à l’occasion le « rôle suspect » des ONG et associations de défense des migrants, en les qualifiant de « traîtres et de mercenaires ».
Au terme de son intervention, le président de la République, Kaïs Saïed a rappelé que les associations et organisations recevant des fonds étrangers « ne peuvent en aucun cas remplacer l’État ». Suggérant donc que le Croissant-Rouge pourrait mieux assurer l’hébergement des migrants. « La Tunisie ne sera plus une terre d’accueil, ni un pays de transit », a-t-il martelé.
Pour un dialogue « calme »
Justement, le Croissant-Rouge tunisien a souligné la nécessité d’adopter un dialogue « calme » dans la gestion du dossier des migrants irréguliers.
Ainsi, Boutheina Gregba, porte-parole du Croissant-Rouge tunisien, a souligné qu’il est légitime que nos citoyens éprouvent « de la peur et de l’inquiétude ». Mais cette expression doit refléter l’esprit tunisien, « historiquement non violent, non raciste et non extrémiste ».
D’autre part, elle a insisté sur la présence quotidienne du Croissant-Rouge tunisien dans toutes les zones où résident les migrants irréguliers. Déplorant par ailleurs, l’insuffisance et l’absence des institutions et organisations internationales et soulignant l’inadéquation de leur assistance.
Que prône-t-elle comme solutions urgentes? Le Croissant-Rouge a pour sa part élaboré un projet reposant sur cinq points de service humanitaire, visant à coordonner les efforts nationaux et internationaux et à établir des centres dans chaque localité pour évaluer les besoins des migrants, fournir un hébergement et coordonner leur retour. « La réussite de ce projet nécessite l’implication de toutes les organisations internationales », argue Mme Gregba.
« La priorité aujourd’hui est de traiter ce dossier dans une perspective à la fois sécuritaire et humanitaire, en adoptant une approche tunisienne », affirmait-elle, le lundi 6 mai, sur les ondes de Mosaïque FM.
Populisme, quand tu nous tiens…
Notons que ce discours responsable du Croissant-Rouge tunisien va à l’encontre de celui de Badreddine Gammoudi, membre de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et dirigeant du Mouvement populaire. Ce dernier a publié dans un blog un message dans lequel il appelle à la formation de « Comités de défense populaire ». Et ce, « pour soutenir les forces sécuritaires et militaires dans leur guerre contre les flux de Subsahariens dans le pays ».
« Face à la conspiration visant à modifier la structure démographique et sociale de notre pays par des entités suspectes cherchant à installer des Africains en Tunisie, et bien que nous adhésions aux valeurs humaines qui exigent de traiter chaque individu, quelle que soit son origine ou sa race, avec humanité, la confrontation à la conspiration de l’installation des Africains nécessite un soutien aux forces armées et de sécurité dans leurs efforts pour protéger nos frontières terrestres contre l’afflux de hordes de migrants africains ». C’est ce que prônait le député du bloc « La ligne nationale souveraine », dans un post publié vendredi 3 mai 2024 sur sa page FB.
Poussant le bouchon plus loin, Badreddine Gammoudi plaide également pour « l’appel à l’armée de réserve pour rejoindre nos casernes militaires, la formation des comités de défense civile chargés de soutenir les efforts de nos forces de sécurité et militaires pour protéger nos frontières terrestres et empêcher toute infiltration dans notre territoire national ».
« Avec pour mission de nettoyer notre pays de toute présence étrangère illégale; ainsi que la dissolution des associations complices de leur soutien et financement, et traduire leurs membres en justice devant les tribunaux militaires pour complot contre la sécurité de l’État, avec confiscation de tous leurs avoirs », a-t-il insisté.
Une solution à la Tunisienne
Des milices pour « nettoyer au Karcher » notre pays de toute présence étrangère illégale? Disons pour conclure qu’il ne faut pas prêter l’oreille aux publications abjectes qui pullulent sur les réseaux sociaux, évoquant pêle-mêle : « l’invasion » de la Tunisie par les Subsahariens; les maladies contagieuses ramenées du sud du Sahara par les « hordes » d’Africains ; le danger imminent de la recomposition ethnique de la société tunisienne. Et surtout l’existence d’un « complot » international fomenté par l’étranger avec le concours suspect des organisations et associations locales.
Certes, notre pays, qui traverse actuellement l’une des pires crises économiques depuis son indépendance, ne saurait accueillir toute la misère du monde. Mais il est impératif de traiter ce dossier brûlant à la fois dans le strict respect de la loi, tout en adoptant une approche humanitaire digne de notre histoire séculaire. Bref, une solution à la Tunisienne…