A nous entendre parler de nous-mêmes, on se croirait capables de défier et d’affronter les océans et le déchainement des tempêtes. La réalité est qu’on finit par se noyer dans un verre d’eau. Les discours enflammés sur la souveraineté inébranlable, la grandeur des temps immémoriaux, et sur l’illusion d’un futur dont on ne voit pas le contour n’y changent rien. La vérité est que le pays piétine et s’embourbe dans les tiraillements du quotidien qu’il peine à gérer, quand il faut combattre le chômage, la récession, l’inflation, les pénuries, la pauvreté, la misère et la fracture sociale.
Le pays vit depuis près de deux décennies d’expédients ; il subit la dictature de l’immédiat et n’arrive pas à s’affranchir du très court terme dont il a fait sa deuxième religion. On ne discerne pas – et c’est peu dire – dans les discours incantatoires et les proclamations de foi sans effet les traces d’une vision d’avenir, d’un grand dessein national, de projets conçus pour la postérité et de politiques de grands travaux. Il faut pour- tant s’armer d’une grande volonté de puissance pour pouvoir réinsérer le pays et le connecter au reste du monde qui évolue sous les effets des transformations technologiques, environnementales et logistiques à la vitesse du son et de la lumière. Le contraste n’est pas à notre avantage. Par certains égards, il est même accablant. Nos infrastructures de transport – point névralgique de la guerre commerciale – ne tiennent plus la route. Nos écoles, hôpitaux et laboratoires de recherche tombent en ruine. L’écologie, on en parle à peine.
Quant à l’inévitable transition écologique, elle est encore dans les limbes, en dépit d’un réel alignement des planètes : les besoins, les moyens financiers et le trop-plein de soleil n’auront pas suffi pour vaincre la léthargie bureaucratique. Nos importations de gaz et de carburant, aux dépens même de l’activité productive, n’ont jamais été aussi coûteuses et importantes. Elles nous privent d’achats de matières premières, de biens d’équipement, de produits de première nécessité, de médicaments… Notre sécurité alimentaire a atteint son seuil critique, faisant craindre tensions sociales et menaces sur la paix civile. Le choc est brutal et l’on redécouvre dans l’urgence les méfaits et les dommages collatéraux du stress hydrique. Du coup, l’irruption de la question de la souveraineté alimentaire s’empare soudainement de tous les esprits. Jusqu’où et jusqu’à quand ? Il y a pourtant nécessité de séparer le temps court de la réflexion et celui, bien plus long, de l’action qui doit se déployer sur la durée.
Les spéculations allaient crescendo pour baisser en intensité à mi-chemin du mois saint, avant de reprendre de plus belle, activées par les fêtes de l’Aïd et son cortège de dépenses accrues avec l’allongement de la liste des achats.
Eté comme hiver, nous sommes submergés par un épais brouillard, sans vision globale, sans lignes d’horizon en adéquation avec les nouvelles chaînes de valeur, sans perspectives claires, sans la nécessaire visibilité pour oser entreprendre au milieu de la bourrasque mondiale, alors même qu’il faut de puissants projecteurs pour ne pas se laisser distancer. On a peu de prise sur le futur qui nous échappe, éreintés, fatigués que nous sommes par les difficultés du quotidien. Notre horizon temporel et spatial semble se limiter à la grande distribution et à l’épicier du coin. C’était déjà le cas à l’approche du mois de Ramadan, où le débat se focalisait autour des craintes qu’inspirait la disponibilité d’œufs, de lait, de viande sur fond, il est vrai, de pénuries récurrentes de produits de première nécessité. Les spéculations allaient crescendo pour baisser en intensité à mi-chemin du mois saint, avant de reprendre de plus belle, activées par les fêtes de l’Aïd et son cortège de dépenses accrues avec l’allongement de la liste des achats.
Pas de trêve des confiseurs. Ces craintes et ces appréhensions colonisent de nouveau les esprits à un mois de l’Aïd al-Adha. Ce qui devrait être une fête religieuse tourne au cauchemar à l’annonce des prix des moutons.
Pas de trêve des confiseurs. Ces craintes et ces appréhensions colonisent de nouveau les esprits à un mois de l’Aïd al-Adha. Ce qui devrait être une fête religieuse tourne au cauchemar à l’annonce des prix des moutons. On spécule sur des niveaux jamais atteints. Le mouton qui sera sacrifié à l’autel de la foi, ce sont trois ou quatre mois de salaire moyen qui partent en fumée. Si tel est le cas, avis de tempête. Sans que les vraies menaces ne soient débattues et ne trouvent écho auprès de la population à l’approche du mois de juin. Moment crucial qui imprime le destin et l’avenir du pays.
Les examens de passage et de fin d’études universitaires et de formation, avec leur moisson de succès et de diplômes, sont sans aucun doute la plus grande promesse d’un avenir meilleur. Seul bémol, c’est aussi le mois où les parents d’élèves désertent les bureaux et les lieux de travail pour jouer des coudes auprès de leur progéniture, au mépris de leur assiduité et de leur contribution à l’effort de production.
Et ce ne sont pas les mois de juillet-août, qui font écho au mois de Ramadan, qui vont réhabiliter la valeur travail. Deux mois de quasi-villégiature, avec au compteur moins de 30 heures de travail/semaine, ne vont pas nous propulser à l’avant-garde en termes d’attractivité des investissements. L’ennui est que plus on avance dans le calendrier – fêtes de fin d’année, rentrée scolaire -, plus les raisons d’oisiveté l’emportent sur l’impératif de compétitivité.
Sans quoi, il ne faut pas s’étonner de voir l’investissement en berne, la récession s’installer en lieu et place de la croissance.
Ailleurs, dans des pays industrialisés avancés, on a vu fleurir, non sans raison, le slogan : travailler plus pour gagner plus. Et au final, c’est le pays qui gagne en libérant les forces productives. Sans quoi, il ne faut pas s’étonner de voir l’investissement en berne, la récession s’installer en lieu et place de la croissance. La sanction est immédiate : l’emploi recule, le chômage se répand comme une trainée de poudre et n’épargne plus personne, l’inflation lamine le pouvoir d’achat et détruit le tissu social et nos compétences humaines prennent le chemin de l’exil. Il y a beaucoup mieux à faire pour nous éviter ce scénario catastrophe. Le temps nous est certes compté.
Mais face à l’adversité, le pays a toujours fait preuve d’une étonnante capacité de rebond.
Cet édito est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n°894 du 8 au 22 mai 2024