Enfin une bonne nouvelle qui nous réconcilie avec notre avenir endommagé par l’incertitude, les tensions politiques et la peur des lendemains. La tenue à Tunis les 12 et 13 juin de la 21 ème édition du Forum de l’investissement – TIF-, moment phare dédié à l’attractivité du site Tunisie, fera l’effet d’un rayon lumineux dans le ciel chargé du pays. Les organisateurs sont à pied d’œuvre, à la manœuvre pour battre le rappel des investisseurs qui comptent au plan mondial. L’occasion pour le pays de réaffirmer son ancrage dans le paysage des IDE et d’afficher haut et fort de nouvelles ambitions qui nous ont fait défaut.
Les rivalités politiques, les guerres d’influence et les dérives en tout genre qui ont occulté, passé par pertes et profits les véritables enjeux économiques et financiers sont passées par là. Les 12 et 13 juin feront date, en tout cas, ils sont
à marquer d’une pierre blanche. On ne saurait envoyer un meilleur signal, un bien meilleur message au monde de la finance, à nos partenaires de toujours et à nous-mêmes que la Tunisie, terre d’investissement, respire la santé en dépit de ses difficultés du moment. Qu’elle croit en son avenir, qu’elle a confiance en ses moyens, en ses capacités de rebond et en elle-même. Que cette Tunisie, qui a été avant la lettre l’atelier de l’Europe avec la prétention d’en devenir l’usine et le laboratoire, est de retour.
Le pays est en droit, il a même l’obligation de le rappeler et d’en faire la démonstration. Il l’a prouvé plus d’une fois par le passé, à chaque fois face à l’adversité. Le cours de notre économie, sa marche vers la maturité n’ont
pas toujours été un long fleuve tranquille. Le pays a connu, tout au long de son histoire, des crises cycliques, à intervalles réguliers (10 à 15 ans), de récession, de dépression. Il a su à chaque fois profiter des vents de reprise de l’économie mondiale et prendre appui sur ses propres leviers de développement pour rebondir et retrouver les
chemins de la croissance. Il n’hésitait pas, chaque fois qu’il était acculé, à procéder à des ajustements fins ou à de profondes réformes, dans une démarche disruptive, pour se réinventer un avenir. Il dut, à chaque fois, reconsidérer son positionnement stratégique en se focalisant sur de nouvelles lignes d’avantages comparatifs. Avec pour toile de fond, sinon en premier plan, un fort intérêt porté aux IDE qui ont largement contribué à l’émergence économique et financière du pays. A cette nuance près – et elle est de taille – que les investisseurs étrangers hésiteraient et ne
se risqueraient pas à investir dans un pays boudé par ses propres investisseurs et de surcroît en mal d’investissements publics d’avenir, faute d’espace budgétaire conséquent.
Ce qui vaut pour les plus grandes puissances industrielles vaut à plus forte raison pour nous. Les entreprises étrangères sont indispensables au développement de la Tunisie. Elles y apportent leurs capitaux, leur savoir-faire, leur technologie et leurs marchés. Elles nous aident à combler notre retard et nous font gagner un temps si précieux aujourd’hui qu’il paraît hors de prix dans la course au développement. Il est d’autant plus inestimable que les politiques et les stratégies d’attractivité des IDE dans le monde adoptent un vocabulaire au ton martial et guerrier.
Les entreprises étrangères sont indispensables au développement de la Tunisie. Elles y apportent leurs capitaux, leur savoir-faire, leur technologie et leurs marchés.
Pendant près de 12 ans, nous n’avons pas prêté attention à la nature et à la rapidité du changement, aux bouleversements technologiques et géopolitiques qui ont transformé le monde, embourbés que nous étions dans
les marais et les sables mouvants de la politique politicienne. Nous n’avons pas vu venir le nouveau monde et nous n’avons pas, du coup, profité de la fragmentation géoéconomique en mouvement. Pendant toute une décennie – une éternité -, nous sommes restés sur le même registre au sujet des IDE, comme si le temps avait suspendu son vol.
Nous étions sourds face à l’émergence de nouveaux paradigmes plus en cohérence avec les nouvelles exigences des IDE. La proximité à laquelle on continue de faire référence n’est plus, aux dires des experts, géographique et diplomatique, elle est aussi et surtout réglementaire, institutionnelle et logistique, en rapport avec la connectivité au
transport maritime pour exploiter tout le potentiel d’exportation du pays, ne serait-ce que vers l’UE. Nous ne profitons pas assez des possibilités que nous offre l’accord de libre-échange avec l’UE, que certains s’évertuent à critiquer à tort, contrairement à nos compétiteurs dans la région qui nous ont largement surclassés. Il eût fallu, pour
éviter un tel décrochage, que le pays se donne les attributs et s’élève au statut de pays intermédiaire dans les chaines de valeur, c’est-à-dire de pays pivot ou, mieux encore, de pays connecteur dans la nouvelle mondialisation.
Le Maroc s’est attribué ce rôle et a pu servir de porte d’entrée aux marchés européen et américain, grâce aux accords de libre-échange. Il a reçu ces dernières années d’importants investissements chinois dans le secteur automobile, largement tourné vers l’export. Bien évidemment, il y avait mieux à faire qu’à jouer aux apprentis-sorciers révolutionnaires pour doter le pays d’un port en eau profonde qui aurait soulagé notre économie et nous aurait évité les humiliations des agences de notation, des marchés et des organismes financiers mondiaux. Nous avons bu
la coupe de la déchéance économique, financière et morale jusqu’à la lie. L’idée même d’évoquer le sujet, un vrai serpent de mer, a fini par lasser tout le monde; elle prête à sourire si la situation n’est pas aussi grave.
La récente visite d’Etat du président de la République Kaïs Saïed, reçu avec tous les honneurs par les principaux dirigeants chinois, devrait pouvoir aider à réémerger le pays et le hisser au rang de pays connecteur. Le chef de
l’Etat a scellé avec l’empire du Milieu un partenariat stratégique qui promet autant qu’il promeut. A condition d’en savoir plus sur l’étendue de ses retombées financières, gage de sa crédibilité. A condition aussi que l’intendance suive et que se desserre le verrou réglementaire. L’accès pour la Chine, autant que pour le Japon et la Corée au marché européen, le plus grand au monde, est un atout considérable qu’on est potentiellement en capacité de négocier. Avec à la clé une proximité sous toutes ses formes – exonération de droits de douane et taxes carbone aux frontières au plus bas -, en raison du raccourcissement des chaines de valeur. Sans compter la disponibilité de compétences indiscutables qui s’y verraient mieux chez elles qu’elles le seraient ailleurs en prenant le chemin de l’exode.
Dans ses entretiens avec les dirigeants chinois et au premier chef avec le Président Xi Jinping, le chef de l’Etat a posé les jalons d’une telle architecture. Reste à concrétiser demain dans les faits les accords d’aujourd’hui, d’agir en toute intelligence et en toute compréhension.
Le moment s’y prête avec la montée des tensions et à l’heure du plus grand basculement géopolitique. Les entreprises cherchent à diversifier leur approvisionnement. L’opportunité pour nous de servir de voie de contournement en s’arrogeant le statut de pays émergent. Et pas seulement en se connectant aux Routes de la soie. La Tunisie peut et doit s’insérer dans le mouvement dans les deux sens, dans ses multiples aspects, autant comme
porte d’entrée pour l’Europe que comme barrière et espace de protection pour cette même Europe engagée dans une rivalité systémique avec la Chine.
La Tunisie peut et doit s’insérer dans le mouvement dans les deux sens, dans ses multiples aspects, autant comme porte d’entrée pour l’Europe que comme barrière et espace de protection pour cette même Europe engagée dans une rivalité systémique avec la Chine.
La mondialisation n’est plus ce qu’elle était, moins heureuse certes, et plus régionalisée, entre amis en quelque sorte, mais en même temps plus profonde en raison de l’émergence de pays pivots, intermédiaires. La recomposition des chaînes de valeur frappées du sceau du near, voire du friendshoring n’est pas une simple hypothèse d’école.
Le mouvement est déjà amorcé. La Tunisie a d’autant plus de chances d’en tirer profit qu’elle a le soutien de l’UE, coorganisateur et acteur majeur de Tunisie Investment Forum. Jouer sur les deux tableaux est une manière subtile de réaffirmer notre souveraineté nationale. Qui s’en plaindra ?
Cet édito est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin au N°896 du 5 au 19 juin 2024