Cette fois, nous y sommes. L’Etat a décidé de faire le ménage et il le confirme haut et fort. La rafle a même été commanditée, elle se poursuit et se poursuivra jusqu’au bout, nous dit-on. Sans que cela ressorte de la raison, beaucoup de Tunisiens retiennent leur souffle. L’idée que les corrupteurs, les corrompus et les contrebandiers sont devenus plus forts que l’Etat aurait insidieusement gagné les esprits et amené une dose significative de fatalisme sur les chances de venir à bout de la gangrène.
N’importe qui peut raconter une histoire d’enrichissement fulgurant en dehors de la légalité et tout le monde sait que de grands caïds qui font la pluie et le beau temps circulent impunément, couverts qu’ils seraient par des responsables politiques ou administratifs grassement payés pour services rendus. Mais il fallait que le vase déborde un jour, et la liste des arrestations continue à s’allonger, histoire de justifier la nécessaire remise en ordre.
Il faut dire que la démocratie qui s’installait dans la douleur en a pris un grand coup. Les ricaneurs vont trouver des arguments pour crier haut et fort qu’il faudra se passer de la liberté pour revenir aux pratiques anciennes. Et les ricaneurs ne manquent malheureusement pas. L’Etat a mis la main dans le bon engrenage. C’est la logique qui a prévalu dans beaucoup d’autres pays. Et à observer les moyens dont disposent nos corrupteurs locaux, rien n’est gagné à l’avance. Dans le monde entier, les corrupteurs et les contrebandiers ont cette intelligence perverse de
jouer, avec une partie de l’argent mal gagné, les bons samaritains. Il va d’ailleurs falloir tirer au clair les tenants et les aboutissants de certains mouvements sociaux durs dans l’action, mais surtout opulents dans les moyens matériels qui accompagnent ces actions. De temps à autre, les nouvelles parlent de camions entiers de devises saisies dans les circuits de contrebande. Les devises, il faut bien qu’elles viennent de quelque part. Et au niveau du volume
des saisies, la provenance est nécessairement étrangère. De plus, on peut imaginer que ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Du coup, il y a aussi des Tunisiens au départ nécessiteux qui trouvent au final justifié de se faire rémunérer dans l’écoulement de marchandises issues de ce commerce de l’ombre.
En Colombie, l’ancien parrain de la drogue, Escobar de son nom, finançait des écoles et des dispensaires. Il faisait travailler beaucoup de monde. C’est là qu’on va probablement apprendre que beaucoup d’enseignes tunisiennes ayant pignon sur rue ont pioché dans le trésor en question et ont nourri l’inflation qui se traduit depuis un temps par des signes ostentatoires de richesse hollywoodiens, chez nous. Ces faits, particulièrement graves, relèvent de la rubrique financière des crimes contre la Nation. Mais on a aussi appris que la justice s’est aussi saisie de l’autre volet de l’affaire. Mais on a aussi appris que la justice s’est aussi saisie de l’autre volet de l’affaire. On parle de haute trahison et, si les faits étaient avérés, de peine capitale. Il va sans dire que le climat des affaires louches ne favorise en rien les affaires dont le pays a bien besoin pour relancer la machine. Or, il faut toujours se rappeler que le volume du commerce en Tunisie est assuré en bonne partie par les circuits entre les mains de ceux qui sont pris aujourd’hui la
main dans le sac.
Le foisonnement d’étalages partout dans le pays doit en grande partie son approvisionnement au marché dit parallèle. Au point que le commun des Tunisiens ne fait pas la différence quand il faut bien continuer à manger pour vivre. Et il va bien falloir remédier aux dérèglements des flux, au moins dans une période transitoire. Par ailleurs,
et au-delà des gros bonnets, le petit commerce des zones frontalières vit de ces échanges de la marge, qu’il va bien falloir entretenir pour ne pas asphyxier des populations qui risquent de rester encore les dindons de la farce. Les coquins et les copains de la corruption en règle doivent être poursuivis, il va aussi falloir ne pas faire passer par pertes et profits « les petites mains » que la guerre à nos frontières et la voracité des caïds pénalisent doublement.
L’Etat a, semble-t-il, le soutien du peuple, et c’est bon signe. Les intérêts en jeu sont énormes et touchent de plein fouet des zones très sensibles du pays. De la détermination, il en faut beaucoup. Il va falloir aussi se méfier des faux amis qui seraient de vrais coquins.
Le mot de la fin est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin au N°896 du 5 au 19 juin 2024