Le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, entame sa huitième mission en Israël. Un activisme qui traduit les efforts diplomatiques des Etats-Unis pour forcer le Hamas et Israël à accepter un accord de cessez-le-feu à Gaza. Un activisme qui a accouché de l’adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU d’une résolution initiée et coordonnée par les Etats-Unis. Un tel engagement ne saurait masquer deux réalités. L’une contextuelle : l’élection présidentielle américaine rend urgente la fin de la guerre pour le camp démocrate du président Biden, qui a besoin de mobiliser son électorat divisé sur (la fin de) la guerre à Gaza. L’autre est plus large : cette recherche d’accord s’inscrit malgré tout sur fond de soutien inconditionnel à Israël et de désengagement du Moyen-Orient.
Le retrait relatif des Etats-Unis au Moyen-Orient
Un leadership américain s’exerce traditionnellement dans le Moyen-Orient (y compris l’Égypte) et le Golfe. Son emprise sur ces régions, où il assure une fonction de gendarme, s’est renforcée depuis la chute du Mur de Berlin en 1989 et la fin de la Guerre froide. Ses intérêts stratégiques sont alors clairs : assurer la sécurité de l’approvisionnement des exportations d’hydrocarbures et la sécurité de l’allié israélien. Le Golfe s’est imposé au cours du XXe siècle comme « une zone d’intérêt vital » pour les États-Unis, le premier consommateur d’hydrocarbures au monde. Cette stabilité impliquait une sécurisation des voies maritimes, mais également un rôle financièrement et politiquement coûteux de « gendarme » dans la région instable du Moyen-Orient.
Le processus d’autosuffisance énergétique des Etats-Unis et le départ des soldats américains d’Irak, puis d’Afghanistan, ont conforté la tendance au retrait (même si celui-ci est relatif au regard du nombre de bases militaires américaines présentes dans la région).C’est pourquoi les États-Unis ont mis leur puissance militaire au service de la sécurité des régimes alliés, à travers la présence d’une série de bases militaires essentiellement dans le Golfe, y compris en Arabie-Saoudite, la vente d’armes…
Deux tournants historiques ont remis en cause cette représentation. Le premier réside dans le coût économique, politique et symbolique de l’invasion de l’Irak en 2003.
Le second consiste dans la politique d’indépendance énergétique dans laquelle se sont engagés les Etats-Unis, qui a affecté la priorité stratégique américaine que représentait la sécurité de l’approvisionnement en pétrole en provenance des pays fournisseurs du Moyen-Orient. Les Russes et la Chine sont-elles en mesure de bénéficier de cette distanciation ?
La Russie et la Chine
Longtemps considérés dans le monde arabe comme une puissance de libération du colonialisme franco-britannique, les États-Unis ont vu leur image se dégrader peu à peu au gré de sa politique interventionniste et son soutien inconditionnel à Israël. Quelle grande puissance serait susceptible de les concurrencer ?
Pour la Russie, grande puissance énergétique, le Moyen-Orient ne représente pas un intérêt stratégique aussi important que pour les Etats-Unis (hier) ou pour la Chine (aujourd’hui). L’enjeu de la présence russe relève plus de la politique de puissance incarnée par Vladimir Poutine. Celle-ci s’est traduite par un engagement militaire direct dans la guerre civile en Syrie, en soutien au régime baasiste, avec lequel les liens idéologiques et stratégiques remontent à l’époque de l’URSS.
Ainsi, depuis les années 1980, la relation privilégiée avec Damas a permis à la flotte russe d’obtenir une base navale de nature logistique à Tartous. Au-delà de cet unique point d’ancrage militaire au Moyen-Orient, la Russie dispose dans la région aussi d’outils de soft power, qu’il s’agisse de l’attractivité de son modèle de gouvernance autoritaire ou de la forte présence d’une population juive russophone en Israël.
Quant à la Chine, le Moyen-Orient s’est progressivement imposé comme une zone vitale au gré de l’augmentation des besoins en hydrocarbures inhérents à son décollage économique. Son engagement dans la région s’inscrit d’abord dans le traditionnel cadre des échanges économiques : non seulement la Chine est le principal importateur des hydrocarbures des monarchies du Golfe, mais nombre de pays du Moyen-Orient sont intégrés dans les projets d’investissements internationaux et partenariats constitutifs des « nouvelles routes de la soie ».
Concrètement, les opérateurs chinois deviennent omniprésents dans le développement des infrastructures de la région. Désormais, le géant asiatique s’impose également comme un acteur diplomatique majeur de la région. Après avoir joué un rôle d’intermédiaire dans les négociations entre l’Iran et l’Arabie saoudite (qui ont abouti au rétablissement de leurs relations), la Chine est prête à s’investir dans le dossier israélo-palestinien.