En déclinant l’invitation de se rendre au Sud de l’Italie en tant qu’invité d’honneur du G7, le président de la République Kaïs Saïed a tenu à lancer un message clair : il est temps de s’émanciper de la pesante tutelle d’un Occident jugé donneur de leçons pour se tourner vers d’autres horizons. A savoir : le processus du Sud global prôné par l’axe Pékin-Moscou-Téhéran.
A la surprise générale, le président de la République, Kaïs Saïed n’aura pas fait le déplacement au Sud de l’Italie qui abritait le Sommet du G7 qui a eu lieu du 13 au samedi 15 juin, à Borgo Egnazia, dans la région des Pouilles. Au dernier moment, il a dépêché, sans explication aucune, le chef du gouvernement, Ahmed Hachani pour le représenter à cette messe annuelle qui regroupe les chefs d’Etat et de gouvernement des sept pays les plus industrialisés.
D’ailleurs, M. Hachani a eu des apartés avec Emmanuel Macron, le pape François, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, le Premier ministre du Canada Justin Trudeau, le roi de Jordanie Abdallah II, ainsi que la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) Kristalina Georgieva.
Pourtant, depuis l’accès au pouvoir de la présidente du Conseil italien, Georgia Meloni, Tunis et Rome semblent vivre une lune de miel ; au point que la présidente du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia, qui s’est rendue en Tunisie à quatre reprises en moins d’un an, avait remis en main propre une invitation au G7 à son homologue tunisien. Et ce, lors de son passage express à Tunis, le 17 avril dernier.
Une invitation poliment déclinée par Kaïs Saïed
Alors, comment expliquer que le chef de l’Etat tunisien n’ait pas jugé utile de se rendre à ce prestigieux rendez-vous qui réunissait outre les grands de ce monde, le président mauritanien Mohamed Ould Ghazouani, qui assure également la présidence de l’Union Africaine (UA), ainsi que roi Abdallah II de Jordanie et le chef de l’État algérien Abelmadjid Tebboune? Et où il était prévu de s’entretenir avec le président des Émirats arabes unis, Mohamed Ben Zayed, et le Français Emmanuel Macron, ainsi qu’avec la présidente de la Commission Européenne, Ursula Von Der Leyen; sans oublier Giorgia Meloni, également présidente du G7?
Hypothèses
Kaïs Saïed avait-il pris ombrage des critiques émises au début du mois de mai aussi bien par Bruxelles, Paris que Washington. Lesquels ont exprimé leur « inquiétude » et « préoccupation » face à une vague d’interpellations d’avocats, chroniqueurs à la radio et télévision et de nombreuses figures de la société civile. Au point d’ordonner au ministère des Affaires étrangères de convoquer les ambassadeurs d’un certain nombre de pays étrangers pour leur transmettre sa « vive protestation contre une ingérence flagrante et inacceptable dans nos affaires intérieures » ?
Emancipation
Tout porte à croire que le locataire du palais de Carthage cherche à s’émanciper de la mainmise héritée du colonialisme d’un Occident jugé moralisateur à souhait et donneur de leçons. Une Europe qui ne voit en notre pays qu’un garde-côte de ses frontières maritimes, chargé particulièrement de contrôler les flux migratoires, particulièrement en provenance de la rive sud de la Méditerranée. Et ce, dans le cadre du mémorandum d’entente signé le 16 juillet 2023 avec la Tunisie. D’ailleurs, depuis le début de l’année, moins de 23 000 migrants ont débarqué sur les côtes italiennes, contre près de 60 000 durant la même période en 2023.
Alors, pourquoi se cantonner dans ce rôle subalterne ; alors que d’autres horizons prometteurs se dessinent pour notre pays avec l’ambition de rejoindre les Brics et de s’engager dans le processus du Sud global prôné notamment par la Chine où il a été accueilli en grandes pompes par le président chinois Xi Jinping lors de sa visite officielle du 28 mai au 1er juin 2024 à Pékin. Où il a pris part, en tant qu’invité d’honneur, à la séance inaugurale de la 10ème réunion ministérielle du Forum de coopération sino-arabe?
Sans parler du nouvel axe Moscou-Pékin-Téhéran où il s’est rendu fin mai pour présenter ses condoléances, suite au décès du président iranien Ebrahim Raïssi. Une visite qui a déjà porté ses premiers fruits puisque les ressortissants iraniens n’ont plus désormais l’obligation de présenter un visa pour entrer en Tunisie.
A noter également qu’à l’issue de la rencontre du président Kaïs Saïed avec le guide suprême iranien, l’Ayatollah Ali Khamenei, ce dernier a qualifié cette visite d’un « tournant majeur dans les relations entre la Tunisie et l’Iran ». Tout en ajoutant qu’il s’agit d’une « opportunité pour la Tunisie de se rapprocher du monde arabo-musulman, après des années d’autoritarisme et de rupture ».
Toujours dans le même ordre d’idées, n’est-il pas curieux de relever que, d’après un article publié le19 mai 2024 par le quotidien italien La Repubblica, l’administration américaine serait préoccupée par les mouvements et la présence russes en Tunisie. En effet, un représentant du département de l’État des USA a déclaré au média italien : « Nous continuons d’être préoccupés par les activités de Wagner, ainsi que par celles soutenues par la Russie sur le continent africain, qui alimentent les conflits et favorisent la migration irrégulière, y compris vers la Tunisie. »
Une preuve de changement de camp de la part de la Tunisie, s’interroge le média italien. Ce dernier ajoutant que le chef de l’État, Kaïs Saïed « pourrait, en dépit des efforts de Giorgia Meloni, présidente du conseil ministériel italien, décider de s’ouvrir à la Russie ou évoquer cette hypothèse dans le but de faire pression sur l’Occident ».
Et de conclure : le président tunisien « pourrait évoquer l’adhésion de la Tunisie à la nouvelle coalition du Sud global, que la Russie et la Chine cherchent à créer afin de déstabiliser l’ordre mondial actuel. Or, pour l’Italie, cette situation représente un problème direct. La Tunisie est la nation nord-africaine la plus proche de ses côtes, point de départ des embarcations vers la Sicile. La première ministre Meloni s’est personnellement engagée à éviter cette dérive, visitant quatre fois le pays et concluant des accords avec le président Kaïs Saïed, dans le cadre du « Plan Mattei ».
Qui a dit qu’un pays n’a pas que des amis, mais des intérêts?