La nouvelle n’a pas semblé émouvoir beaucoup de monde : selon un rapport de l’Observatoire national de l’agriculture (Onagri) daté du 14 juin, le taux de remplissage des barrages est d’à peine 31,5%. La même source nous dit qu’en tout et pour tout, on n’a que 235,67 millions de m3. Un quart de moins par rapport à la moyenne des trois dernières années. Pire encore, pour certains de nos barrages, le taux de remplissage ne dépasse pas les 4% !! Il s’agit du barrage Nebhana, du côté de Sbikha. Euphémisme pour ne pas dire qu’il est à sec. Une litote, histoire de faire entendre à qui de droit qu’on frôle la catastrophe qui menace de faire tomber à l’eau, en propre cette fois, tout le reste ou ce qui reste d’une économie qui se noie. Les petites campagnes actuelles autour de la maîtrise de l’eau deviennent particulièrement ridicules en rapport avec la tempête qui s’annonce. La guerre du pain a embrasé beaucoup de pays, celle de l’eau peut se transformer en cyclone face auquel toutes les déclarations de bonne intention n’y suffiront pas. Ce jour-là, ce sera la faute à tout le monde, ceux au pouvoir qui n’ont pas su prévenir, comme celle du commun des citoyens qui, tout en râlant, oublie de fermer le robinet en se brossant les dents.
Il en va de la dilapidation des ressources en eau comme des pratiques désormais admises dans les comportements de beaucoup. Juste pour l’exemple, on peut toujours rappeler les pratiques tenaces de l’Aïd. Un rituel qui se transforme en hystérie pour l’essentiel ostentatoire autour d’un sacrifice qui perd beaucoup de sa valeur symbolique. Il n’y a en effet qu’à circuler dans les rues le lendemain de l’Aïd pour constater que la plupart des foyers jettent la peau des moutons à la poubelle. Il paraît que cela fait beaucoup de boulot pour les intéressés. On ajoutera que dans l’enlisement actuel des valeurs, personne ou presque ne s’avise de rappeler que ces peaux, et la laine qui va avec, auraient pu devenir une richesse et matière à une activité industrieuse.
Pour l’ironie de l’histoire, beaucoup de ces moutons sacrifiés ont été nourris, faute de fourrage, par des montagnes de pain jeté par les mêmes citoyens. C’est ainsi que la machine tourne, à vide et à coups de milliards de compensation, quand tout le monde nous dit que nous serions à deux doigts de la faillite générale. Et, bien entendu, personne ou presque dans les hautes sphères ne trouve rien à redire, puisqu’il faut caresser le monde dans le sens du poil et sortir de temps à autre un discours sur l’exem- plarité du Tunisien, engagé dans la bataille de la dignité et du compter sur soi. Quand, de surcroît, des politiques se mettent à encourager les positions les plus surréalistes, le populisme devient le maîtremot.
La fuite en avant est un art incertain. A tous les étages de la décision, et de l’indécision ambiante, construire des châteaux en Espagne et ailleurs ne rend même plus ridicule. Il arrive bien entendu que l’on renvoie un ministre par-ci, ou un gouverneur par-là, histoire de désigner des coupables. On va parier que les démis des fonctions officielles ont mérité la sanction, mais il va falloir se demander pourquoi on en est arrivé là. L’envasement n’est pas une fatalité, comme ne tombera pas du ciel la banqueroute qui menace à l’horizon. L’enlisement rend stériles tous les discours enflammés et de circonstance sur les lendemains qui chantent, quand bien même certains des programmes de reprise annoncés seraient tout à fait sérieux. Tout cela pour dire que l’enlisement risque souvent de se transformer en naufrage.
Le mot de la fin est disponible dans le mag de l’Economiste Maghrébin n 897 du 19 juin au 3 juillet 2024