Il n’a pas peur des mots, tant il en maitrise le poids, le choc et les retombées. Il leur fait dire le fond de sa pensée avec une incroyable aisance et une réelle force tranquille. Le sentiment qui prévaut à chacune de ses apparitions est qu’on ne gouverne qu’avec des symboles et des messages. Il en fait, à chaque fois, la démonstration, en les portant haut et fort.
Il y a chez Nabil Ammar, le ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger, un profond désir de sincérité, de franchise, de courage et un devoir de vérité et de transparence qui émerge en tout lieu et en toute circonstance. Ici et à l’étranger. Il récuse l’idée qui fait florès dans les hautes sphères qu’on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens. Il se situe – au point de créer même la surprise – aux antipodes d’un tel postulat. Si on veut aller loin en amitié entre les pays, les peuples et les institutions, il n’y a pas mieux qu’un discours vrai, juste et… rapide, empreint de respect mutuel pour construire le seul vrai socle de confiance. Il a fait de ce principe de réalité le credo, le mode de gouvernance de son ministère, dont il ne pouvait assurer autrement la notoriété et la crédibilité.
Chaque rencontre avec les journalistes, dont il a fait une véritable tradition, ajoute au crédit de son institution et confirme la volonté et l’envie du ministre de construire de véritables canaux de dialogue et d’échange, à l’instar des démocraties abouties. Brillant orateur – il prend bien soin de préparer ses fiches et ses notes -, il sait aussi écouter. Et le fait savoir avec l’humilité qui sied aux responsabilités qui sont les siennes. Il a réponse à tout et n’élude aucune question ou interrogation, même celles qui ne sont pas à l’ordre du jour, et quel que soit leur degré d’impertinence.
Sur les chemins escarpés de la diplomatie dont il a une conception globale, il ne cherche pas à se barricader derrière le paravent d’hypocrisie des diplomates de carrière plus que de métier. Il se sait en première ligne, il le dit et il l’assume. D’instinct – conviction oblige qu’il partage pleinement avec le chef de l’Etat -, il brandit ses lignes rouges, érigées en instruments de défense.
Notre souveraineté n’est pas négociable. Elle est et restera pleine et entière. L’idée même de souveraineté limitée est récusée avec la plus grande énergie. La Tunisie, gendarme de l’Europe pour s’opposer et contenir l’émigration illégale moyennant des compensations financières? Le ministre s’en défend et apporte un cinglant démenti. La Tunisie est comptable de ses propres frontières qu’elle entend protéger de toute intrusion illégale. Si nous le faisons avec autant d’efficacité en dépit de la modestie de nos moyens, c’est pour éviter qu’il ne se produise un appel d’air et une arrivée massive de migrants en situation illégale. Quant aux aides financières de l’UE ou des pays de la rive Nord de la Méditerranée, elles s’inscrivent dans un cadre global de coopération. Dans la foulée, Nabil Ammar ne fait pas mystère de valeurs et principes inscrits au fronton du saint des saints de la diplomatie tunisienne.
Notre diplomatie ne peut se concevoir autrement qu’en étant au service de la nation, y compris des Tunisiens résidents à l’étranger dont on voudrait qu’ils soient pour leur part le cœur battant du pays. La Tunisie, on l’aura compris, est certes une petite géographie – comparée à nos voisins -, mais c’est une grande histoire.
Notre diplomatie a su tirer les leçons du passé et se forger sa propre règle d’or : la Tunisie a des amis avec lesquels elle a beaucoup d’attaches et même une destinée commune dans la perspective de l’Euromed, voire historique, mais elle a aussi des intérêts qu’elle doit défendre sans concession et plus encore sans compromission. Le message est clair : décoloniser la coopération – ou du moins ce qu’il en reste. Histoire de signifier que le pays ne peut et ne doit pas rester sourd au bouleversement géopolitique mondial. S’ouvrir davantage sur l’Asie-Chine en tête, sur la Russie ou sur l’Afrique, bref, sur le Sud global, ne remet nullement en cause nos relations privilégiées avec l’UE. D’autres que nous le font de manière ostentatoire, sans que cela ne soulève réserve, inquiétude, voire réprobation des milieux occidentaux et des instances bruxelloises. L’UE elle-même multiplie, à travers le monde, les accords de libre-échange pour s’ouvrir sur d’autres continents et d’autres marchés à des conditions favorables. Au nom de quoi peut-on croire que ce qui est bon pour les uns ne le serait pas pour nous, sans que cela n’altère et ne change en rien les fondamentaux de notre diplomatie qui se pare des vertus du pragmatisme, sans aucune inclination dogmatique?
C’est précisément pour servir au mieux les intérêts du pays qu’il s’emploie à mobiliser à cet effet la diaspora tunisienne, son corps d’élite en tête, pour en faire les ambassadeurs d’un genre nouveau. Hommes et femmes d’influence, lobbyistes consacrés, personnes ancrées dans leur territoire à l’étranger, bienvenue au club à l’idée d’en faire une sacrée force de frappe de séduction! S’ils sont mis en confiance, ils sauront, à travers leurs faits, leurs réseaux, leurs relations, leur apport en capital et leur investissement, donner de la Tunisie qu’ils portent au plus profond d’eux-mêmes, l’image et l’attractivité qui doit être la sienne. Tous, à quelque niveau de responsabilité ou de décision qu’ils se trouvent, ont un rôle à jouer pour valoir au pays la sympathie internationale : celle des marchés, des IDE et des touristes. Ils seront sollicités à l’aune de leur engagement et de leur dévouement à l’égard de la nation « pour la servir et non pour se servir ou pour assouvir des ambitions personnelles ». Encore faut-il les réunir sous une même bannière, pour une même cause.
Le ministère, par la voix de notre chef de la diplomatie, entend aller jusqu’au bout de sa mission et assumer les responsabilités et les charges qui sont les siennes, dès lors que ses prérogatives couvrent la migration et les Tunisiens résidents à l’étranger. Il a vocation, surtout qu’il y a nécessité, d’agréger, d’agglomérer, de fédérer, de réunir sous un même toit – certes virtuel, mais combien réel – toute cette élite, ces talents qui rêvent d’une Tunisie prospère et pleinement arrimée au train du progrès économique et des technologies émergentes. C’est d’ailleurs le thème de la récente rencontre du ministre avec les journalistes, en présence du SE et de l’état-major du ministère. La diaspora tunisienne, un concentré d’intelligence, de talent et d’expertise qui gonfle au fil des mois, au regard de l’intensité et de la rapidité de l’exode de cerveaux qui affecte le pays, est devenue de par son importance un enjeu stratégique majeur. Partir? Cela devrait être autant une chance pour elle que pour le pays.
Certains se connaissent de nom, mais ne se croisent jamais, alors même qu’ils sont animés des mêmes intentions. Ils évoluent sur des orbites différentes, séparés, sans réussir à faire naître, en l’absence d’un leadership, d’une structure qui les fédère et les connecte au pays, une véritable intelligence collective, un authentique point d’appui pour soulever les ambitions de la communauté nationale. Bientôt, la capitale abritera les premiers états généraux transfrontaliers, mais à la fibre nationale. L’annonce est faite par le ministre lui-même qui se dit assuré de pouvoir transformer l’essai. Plus de 400 têtes couronnées, bien faites et bien pleines ont déjà confirmé leur participation. De ces retrouvailles fusionnelles, jaillira la lumière dans l’espoir de faire émerger un soft power tout à l’avantage du pays. A croire que les architectes du futur sont déjà à l’œuvre. Pour épauler l’effort national des talents locaux qui ne demandent qu’à aller jusqu’au bout de leur potentiel de créativité et d’inventivité.
Qu’il revienne au ministère des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger d’édifier un pont et des canaux d’échange pour connecter les éminences grises du dehors et du dedans, est le signe d’un renouveau en matière de conception et de motivation de notre diplomatie. De surcroît engagée sur plusieurs fronts, au-delà même de ce que lui permet la limite du budget qui lui est alloué.
Cet article est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 898 du 3 au 17 juillet 2024