Le 6 octobre prochain aura lieu l’élection du Président de la République pour un mandat de cinq ans. L’avenir de notre pays dépendra des résultats de ce scrutin primordial. Les modalités qui présideraient au choix des candidats éligibles, bien que l’ISIE les aient précisées, restent encore floues. Et le suspens durera jusqu’au moment où la liste finale des concurrents sera annoncée officiellement. Personne jusqu’à maintenant ne peut prétendre aligner la liste des heureux élus pour concourir à la présidentielle. Une première dans la Tunisie depuis l’Indépendance. Le pays retient donc son souffle.
Parler d’un scrutin dont les enjeux sont connus d’avance est une erreur! Car dans le secret des urnes tout peut arriver. D’ailleurs qui aurait cru qu’à la présidentielle de 2019, l’heureux élu serait Kaïs Saïed, le Président en exercice, avant le premier tour? A moins de croire naïvement à des sondages de l’époque dont la crédibilité restait à démontrer. Sachant que l’expérience nous enseigne que l’on est encore loin des machines des sondages existant dans des démocraties confirmées. Et encore, les dernières législatives en France après le premier tour ont prouvé que ces outils ne sont pas infaillibles puisqu’ils donnaient l’extrême-droite comme vainqueur de ces élections. Que dire chez nous?
De toute façon, pour des raisons que même les patrons de ces supposés instituts n’ont pas voulu expliquer à l’opinion, ces derniers restent étrangement muets. C’est vrai que l’opinion publique dont ils se disent les porte-paroles s’en moque éperdument! Seules les urnes donc, ce 6 octobre, rendront leur verdict.
La Tunisie plus que jamais divisée
Cette fois, il ne s’agit pas de fracture sociale ou de division religieuse, chose que notre pays a connu dans son histoire récente, mais d’une division qui touche à des projets d’avenir.
Contrairement à une idée reçue et galvaudée, ce n’est pas le fait qu’une partie des candidats ou des chefs des partis politiques est en prison ou en exil volontaire, qui divise les Tunisiens ou plus précisément les électeurs potentiels. Sinon, cela se serait manifesté à travers la rue, les grèves ou d’autres moyens de lutte. Mais c’est le fait que tout un programme politique initié depuis le 25 juillet 2021 ne recueille l’enthousiasme que de 10 % du corps électoral, comme prouvé par les différents scrutins précédents. Ce qui signifie que près de 90 % des citoyens inscrits sur les registres électoraux se proclament non intéressés ou non concernés par le recours au droit du vote. Mais, bien sûr cela ne doit pas nous pousser à conclure que ce même taux persistera lors de la prochaine élection présidentielle. Aucun élément tangible ne le prouve actuellement et les quelques « faux sondages » qui ont circulé sur la toile ne sont à notre avis que des tentatives d’influencer les électeurs.
Les critiques adressées aussi bien au pouvoir politique qu’à l’ISIE, dont certaines sont sérieuses, ne doivent pas nous emmener à des conclusions hâtives. Ni encore moins à faire de peu sérieuses prévisions. Car l’objectif de certains est de pousser vers le boycott en jetant le doute sur tout le processus.
A notre avis, certaines oppositions n’ont pas tiré les leçons de leur politique de la chaise vide qui les a marginalisées totalement et dont elles furent les premières victimes. Imaginons seulement si ces oppositions avaient consenti à participer au referendum sur la constitution, aux élections législatives et pour élire le seconde chambre, la situation politique du pays aurait connu un autre développement. Ce fût une faute politique grave, mais l’égo de ces dirigeants les empêche de reconnaître leur erreur.
Pour rappel, en France, François Mitterrand, qui n’avait jamais reconnu la constitution de la Vème République, faite par De Gaulle sur mesure, a systématiquement participé à toutes les élections jusqu’à 1981 où il accéda au pouvoir. Il garda d’ailleurs cette même Constitution qui est présidentielle et lui octroyait tous les pouvoirs. Jean Luc Mélenchon, qui appelle depuis toujours à une VIème République continue de participer à toutes les élections.
Mais nos oppositions ne sont pas encore sorties de l’infantilisme politique, croyant, à tort que participer aux élections c’est donner une légitimité à un pouvoir qu’ils n’ont cessé de contester depuis le 25 Juillet 2021.
Cependant, la division a un autre facteur essentiel. Le nouveau projet politique mis en place à travers la nouvelle constitution, n’a jusqu’à maintenant recueilli l’approbation que d’une petite partie des électeurs et donc des Tunisiens. Son caractère, politiquement atypique puisqu’il ne correspond à aucun schéma connu des systèmes politiques, hormis une certaine ressemblance avec le modèle khaddahfiste, mais juste en apparence il est vrai, se base sur une notion utopique d’un peuple souverain qui est plus une abstraction d’un esprit juridique qu’un modèle praticable sur le terrain d’une Tunisie qui a bien connu des expériences dont le Bensalhisme, dit socialisme destourien et qui n’était en fait qu’une forme du capitalisme d’Etat avec ses avantages et ses inconvénients.
Le modèle actuel qui tente désespérément de s’imposer manque de clarté théorique, de théoriciens, puisqu’aucun livre ou recueil n’a été publié pour nous expliquer les bases idéologiques et philosophiques de cette supposée nouvelle théorie ; et surtout il manque de propagandistes efficaces et convaincants.
Hormis les discours du chef de l’Etat dont on peut rassembler les bribes pour tirer un modèle politique, ainsi que la présence de deux chambres d’un parlement qui ne finit pas de se constituer, il serait difficile de faire une synthèse complète de ce système. Non seulement les défenseurs de ce nouveau système pataugent quand ils tentent de faire sa promotion, mais ils le rendent encore plus complexe, en l’absence d’une théorie globale qui constitue son ossature idéologique.
D’ailleurs les opposants politiques et idéologiques de ce qui est maintenant un fait institutionnel bien réel ne trouvent souvent rien à dire, tant il est insaisissable. Excepté à le critiquer en se basant sur le modèle qui l’a précédé qui a montré ses limites et a amené le pays à la situation de crise globale, politique, sociale et économique.
Reste alors la comparaison et la critique par rapport à ce qu’on a connu depuis l’indépendance comme système de parti-Etat qui lui aussi a montré ses limites puisqu’il est tombé rapidement en déconfiture dés les premiers coups de semonce de ce qu’on a appelé tendancieusement « une révolution ».
Tous ces éléments font que les Tunisiens se divisent, non pas tant sur des projets clairs et tangibles, que sur des bribes d’idées et des modèles inachevés. Et ce, sans pour autant tenter d’élaborer une nouvelle synthèse politique qui permettra de jeter les bases d’une nouvelle unité nationale.
En outre, on note la désaffection des élites intellectuelles dont les raisons sont multiples et qui n’est pas due seulement à l’absence de liberté d’expression. Puisqu’on n’a pas vu jusqu’à maintenant un livre ou une étude censurée ; à moins de considérer les chroniqueurs comme de grands intellectuels. Ces derniers portent une grande part de responsabilité dans la création de ce désert intellectuel.
Vers une légitimité entachée?
Sur les réseaux sociaux, la campagne électorale bat son plein. Alors que dans les médias officiels et privés, elle attend le feu vert de l’ISIE ; et ce, conformément au nouveau dispositif mis en place.
Ainsi, le fameux article 54 fait figure d’épée de Damoclès surtout que l’instance de l’organisation des élections s’est accaparée elle-même ce pouvoir. Elle peut donc, à tout moment, porter plainte contre quiconque qu’elle juge comme contrevenant à la loi. Cette mesure risque d’entacher tout le processus électoral et c’est du pain béni pour ceux qui crient à l’absence de démocratie. Tandis qu’un débat libre aurait pu constituer un facteur de légitimation de l’opération électorale elle-même, indépendamment du vainqueur et aussi une occasion de rationaliser le débat politique et de calmer les esprits.
Mais la vraie légitimité sera donnée par les urnes. Personne d’autre n’a le monopole de la légitimité et elle commence par l’augmentation sensible du taux de participation le jour du scrutin. En attendant, il ne faut pas se perdre dans des conjectures, mais attendre la publication des vrais chiffres pour se prononcer.
Toutefois les instances chargées de veiller de la bonne tenue de l’opération doivent se mettre à l’écoute des critiques et rectifier au fur et à mesure. Car elles portent une responsabilité historique, en plus de leur responsabilité juridique.
Au fur et à mesure qu’on s’approche du jour du scrutin, la tension monte, ce qui est normal. Mais elle risque cette fois-ci de réveiller des passions, souffler sur les braises des clivages politiques et sociaux, enflammer les esprits et réveiller les démons qui sommeillent en chacun de nous. Une fois réveillés, il est difficile de les dompter, surtout après la déclaration des résultats finaux.
Le pays, rappelons-le, marche sur un fil et est dans un équilibre instable. Il en est donc de la responsabilité de tous de le préserver, car il y va de notre devenir.