Dis Maman, Dis Papa (DMDP) est la première collection de livres tunisiens 100% inclusifs, disponible en dialectal tunisien, en français et en anglais mais aussi en braille, en version livre audio et en langue des signes tunisienne. Objectif : sensibiliser les enfants tunisiens aux problèmes sociaux que vit le pays depuis plus d’une décennie, et de les encourager à développer la pensée critique face à ces problèmes.
Le premier livre de la première collection sortira en septembre prochain.
Raja El Amri, la fondatrice et autrice de DMDP, a accordé un entretien à leconomistemaghrebin.com pour expliquer la finalité de son projet.
Pour commencer, pourriez-vous vous présenter aux lecteurs de leconomistemaghrebin.com ?
Bien sûr. Je m’appelle Raja El Amri, j’ai 25 ans et suis étudiante en master en politique et management public à l’Université de Lausanne (en Suisse, ndlr). Je suis la fondatrice du projet DMDP et l’autrice des œuvres qui composent ce projet.
Comment avez-vous eu cette idée ?
Il y a deux ans environ, je me suis dit que j’aimerais bien intervenir dans le domaine de l’éducation en Tunisie. Mais cette intervention sur le système éducatif n’aura d’impact que sur le très long terme, peut-être même après ma mort. Alors, je me suis rapidement posée la question suivante : “est-ce qu’il n’y a pas un moyen d’aider les enfants en Tunisie qui font face à énormément de problématiques diverses ?“
En même temps, j’ai vécu en Tunisie depuis 2011 et j’ai vu l’évolution de notre société. On a vu les changements environnementaux et sociaux dans le pays mais sans qu’on ne se pose la question de savoir comment les enfants vivent ces changements-là. Il faut savoir que les enfants sont les premiers spectateurs des maux sociétaux.
A partir de ce constat, je me suis lancée dans deux petites études de marché. Une première visait à voir s’il existait, dans la littérature en Tunisie, une littérature pour les plus jeunes qui parlait de notions de patriotisme, de consentement et de diversité. Très vite, j’ai découvert qu’il n’en existante aucune qui soit dédiée aux enfants.
De ce constat-là, je suis partie faire des recherches à l’étranger. Je me suis rendu compte que, notamment en Suisse, certaines thématiques n’étaient pas abordées non plus, telles que la corruption ou le patriotisme. Donc, je me suis lancée dans la deuxième partie de ma petite étude de marché et j’ai contacté une dizaine de parents auxquels j’ai posé un certain nombre de questions pour essayer de comprendre si les enfants faisaient face à certaines situations et s’ils (les enfants) posaient des questions par rapport à ces situations. Les réponses étaient unanimes : oui, les enfants sont confrontés à un environnement malsain, à la maltraitance des animaux, etc.
Les enfants posent des questions, mais au moment de répondre, les parents se trouvent un peu démunis.
De ces deux constats sur l’étude de marché, je me suis dit que ce serait peut-être intéressant de se lancer dans l’écriture de livres qui permettent d’offrir aux parents et aux personnels pédagogiques un guide qui les aiderait à communiquer sur des thématiques sensibles.
Venons-en au choix des personnages. S’agit-il de vraies personnes ou bien des personnages complètement fictifs ?
Au moment d’écrire les histoires de DMDP, je me suis posé la question de comment j’allais construire ces personnages.
Et à partir de cette question, j’ai créé une persona des petits enfants et des parents en Tunisie. J’ai créé une persona qui ressemblait avec des caractéristiques physiques typiquement tunisiennes.
Et j’ai déconstruit aussi les rôles familiaux en faisant en sorte que la maman, par exemple, travaille dans une banque éco-responsable, et que le papa est un artiste et homme au foyer.
On a aussi intégré un chien dans le visuel des livres DMDP, pour faire un clin d’œil à la cause animale en Tunisie.
Quel est l’objectif principal derrière la création de DMDP et quel impact espérez-vous qu’il aura sur les enfants tunisiens ?
Notre principal objectif, c’est d’offrir aux parents et aux professionnels de l’éducation en Tunisie un outil pédagogique qui leur donne les clés pour pouvoir communiquer des thématiques “tabous“ et des thématiques sensibles à leurs enfants. Cela leur permettra, nous l’espérons en tout cas, de développer un esprit critique qui leur empêchera de reproduire ces actions néfastes.
Comment avez-vous sélectionné les thématiques sociétales abordées dans les livres ? Ont-elles été influencées par des événements spécifiques en Tunisie ou dans le monde ?
DMDP est un projet de livre éducatif pour enfants qui vise à traiter des thématiques sociales et sociétales sensibles. La première collection est composée de six livres. Le premier parle du consentement.
La spécificité de ce projet c’est qu’il est scientifiquement validé par une pédopsychiatre tunisienne, et il est 100% inclusif. Dès le départ, on a dit que les thématiques abordées concernaient tous les Tunisiens, et qu’il fallait par conséquent absolument que ces livres soient accessibles à tout le monde.
Pour assurer l’accessibilité linguistique, on a décidé que la première version du premier livre sera disponible en tunisien (c’est-à-dire le dialecte tunisien), mais aussi en anglais, en français, en langue des signes tunisienne, en braille, en livre audio, et que les textes soient écrits avec une police qui facilite la lecture pour les enfants et les dyslexiques. On s’est aussi posé la question de l’accessibilité sociale.
Les bons livres de bonne qualité étant très chers, ce qui, par conséquent, écarte un pan important de la population à l’achat de ces livres. C’est ainsi que nous avons décidé de diviser la distribution de ces livres en deux parties. Il y aura une distribution commerciale à travers une maison d’édition, donc les livres seront disponibles dans les librairies.
Puis, on est parti sur une distribution associative qui passe par la mise à disposition des livres qui composent la première collection et même tout le projet, gratuitement aux associations et organisations qui ont des bibliothèques sur tout le territoire tunisien. Donc, petit à petit, on a commencé à tisser notre réseau d’associations.
Nous avons collaboré avec ces associations pour que nos livres en braille soient disponibles dans leurs bibliothèques et celles de leurs partenaires. Ainsi, le livre est disponible linguistiquement et socio-économiquement, ce qui lui permet d’être disponible sur tout le territoire tunisien.
L’environnement visuel du livre a vraiment puisé son essence dans l’environnement tunisien pour que ce soit riche en représentations tunisiennes. Dans le premier livre, on a reproduit l’environnement du parc Habib Thameur avec des références tunisiennes.
Quels obstacles avez-vous rencontrés lors de la création et de la mise en œuvre de « Dis Maman, Dis Papa » et comment les avez-vous surmontés ?
La principale difficulté du projet, c’est l’aspect financement.
Depuis le début du projet, je finance tout de ma poche, sachant que je suis étudiante, donc c’est un peu difficile. On a lancé en février dernier le démarrage de notre campagne sponsoring. Et même si on a eu des très bons retours, on n’a toujours pas obtenu de financement, surtout que nos critères pour le financement sont assez limités.
On souhaite vraiment être financé par une institution en qui on croit et avec qui nous partageons les mêmes valeurs. Et qui dit sponsoring en Tunisie et les problématiques liées au financement d’un tel projet, dit les difficultés de trouver les bons contacts, de rentrer en contact avec des organismes et d’avoir des retours.
Il y a aussi la question du statut juridique. C’est compliqué de définir le statut juridique de DMDP. Ce n’est pas vraiment un projet à but lucratif, vu que tout l’argent qui va être gagné par la vente des livres en librairie à travers un circuit commercial classique va servir de financer la suite de la production des collections ou des livres qui suivent. Il y a plusieurs statuts juridiques possibles et on n’arrive pas trop à se positionner par rapport à ce projet.
Avez-vous des projets futurs ?
Améliorer, c’est toujours dans nos projets. Le premier livre de la première collection n’est pas encore sorti, mais oui, nous sommes toujours ouverts à l’amélioration. On travaille avec des gens qui sont là pour nous corriger, l’équipe commence à grandir, etc.
Nous avons pour objectif d’étendre le champ linguistique de ces livres et la capacité de distribution. En effet, si notre premier objectif, c’est les quatre langues, il y a aussi la police OpenDyslexic qui permettait d’inclure les personnes dyslexiques dans la lecture.
On voudrait bien aussi produire le livre dans d’autres langues, tels que le Wolof (une langue parlée au Sénégal), l’arabe littéraire ou l’espagnol.
Et en plus de l’ouverture linguistique, on a pour objectif aussi d’ouvrir la distribution à d’autres continents, en passant par des pays clés, tels que la Côte d’Ivoire, le Canada ou la Suisse. En gros, notre objectif, c’est d’atteindre les Tunisiens principalement, mais aussi les non Tunisiens.
Le mot de la fin
Je voudrais remercier toute l’équipe qui porte le projet avec moi depuis le début.
J’aimerais aussi bien pouvoir profiter de cet entretien pour un appel au soutien. S’il y a une institution, une organisation publique ou parapublique qui possède des fonds et qui souhaite avoir un grand impact sur la jeunesse en Tunisie, qu’elle n’hésite pas à nous contacter à travers notre site web et aussi nos réseaux sociaux qui vont bientôt être lancés d’ailleurs.
Par Walid Handous