Succédant au Tunisien Férid Belhaj, qui a occupé le poste pendant six ans, le nouveau vice-président de la Banque mondiale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, le Sénégalais Ousmane Dione, était en visite en Tunisie. L’occasion de rencontrer les officiels tunisiens et surtout de réaffirmer le soutien de la Banque mondiale à la Tunisie. C’est ce qu’il confirme dans cet entretien qu’il a accordé, en exclusivité, à l’Economiste Maghrébin.
C’est votre première visite en Tunisie en tant que vice-président de la Banque mondiale pour la région MENA. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre expérience et votre parcours ?
J’ai eu le plaisir de visiter la Tunisie pour la première fois il y a quelques semaines et j’ai pu constater de mes propres yeux le dynamisme de ce pays. Tout au long de ma carrière à la Banque, j’ai eu le privilège de collaborer avec des pays de presque toutes les régions, qu’il s’agisse d’économies à faible, moyen ou haut revenu. Bien que chaque pays ait ses particularités, une chose reste constante: les gens aspirent à une vie meilleure et ont à cœur d’offrir des opportunités à leur famille et aux générations futures. La réalisation de cet objectif est un chemin unique à chaque pays, et nous sommes fiers de les soutenir dans cette quête.
Permettez-moi de vous faire part de l’impact de notre travail dans certains des pays où j’ai dirigé nos programmes en tant que directeur des opérations de la Banque mondiale. En Éthiopie, grâce à notre soutien, le pays s’est engagé dans un plan ambitieux visant à améliorer la vie de sa population, notamment en élargissant l’accès à l’eau, à l’électricité et aux soins de santé. Ces efforts ont véritablement transformé des vies. Pendant cette période, le pays est devenu le plus gros client de l’Association internationale de développement (IDA), notre fonds pour les pays à faible revenu. J’étais au Vietnam à un moment crucial de son développement, lorsque le pays passait du statut de pays à faible revenu à celui de pays à revenu intermédiaire. Nos programmes y étaient axés sur l’inclusion, la modernisation et l’intégration dans l’économie mondiale.
Tous ces exemples illustrent des parcours de développement très variés. Toutefois, les démarches entreprises ont toujours visé à améliorer les conditions de vie et à offrir davantage de possibilités aux populations.
Ces perspectives, acquises au fil des années dans le domaine du développement et enrichies par une compréhension des défis mondiaux actuels, me guident dans mon rôle de vice-président pour la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Je suis convaincu que la région MENA offre un potentiel et des opportunités immenses. En Tunisie, notre travail vise à concrétiser ces opportunités.
Comment évaluez-vous les relations entre la Tunisie et la Banque mondiale ?
Les échanges que j’ai eus avec des responsables gouvernementaux et les parties prenantes au cours de ma visite ont confirmé la profondeur des liens entre la Banque mondiale et la Tunisie. Notre relation solide repose sur un dialogue ouvert, une confiance mutuelle et un engagement commun à aider la Tunisie à promouvoir un développement pérenne, durable et inclusif.
Depuis plus de 60 ans, nous accompagnons la Tunisie dans son parcours de développement. À cette occasion, je souhaite rendre hommage à mon prédécesseur, Férid Belhaj, dont le leadership et l’engagement en tant que vice-président de la Banque mondiale pour la région MENA ont été essentiels pour ouvrir cette voie.
Être aux côtés de la Tunisie signifie la soutenir en période de chocs et de crises, tout en construisant l’avenir. Lors de la pandémie de Covid-19, la Banque mondiale a réagi rapidement en apportant une aide d’urgence pour répondre aux besoins sanitaires immédiats et fournir des vaccins. Les chocs qui ont suivi et perturbé les marchés mondiaux ont menacé la sécurité alimentaire dans de nombreux endroits, y compris en Tunisie. Notre aide d’urgence a permis de maintenir la continuité du système d’approvisionnement alimentaire, protégeant ainsi la santé et le bien-être des populations à court et à long terme.
En matière de sécurité alimentaire, l’impact des changements climatiques, notamment l’augmentation de la fréquence et de la gravité croissantes des sécheresses, modifie profondément le milieu agricole. La Tunisie a enduré quatre années consécutives de sécheresse, avec une année 2023 particulièrement difficile. Face à ces défis pressants, nous avons annoncé plus tôt cette année un nouveau projet de 300 millions de dollars pour soutenir les efforts de la Tunisie en matière de sécurité alimentaire et atténuer les effets néfastes de ces sécheresses prolongées.
Cela témoigne clairement de la profondeur de notre relation. Nous sommes parfaitement alignés pour intervenir rapidement en cas de besoin, partager continuellement nos idées et déployer des efforts conjoints pour aborder les priorités du développement durable à long terme. Je voudrais saisir cette occasion pour exprimer ma profonde gratitude aux autorités tunisiennes pour ce partenariat solide auquel nous sommes pleinement engagés.
Pourriez-vous nous en dire plus sur les domaines d’intervention et les priorités de la Banque mondiale en Tunisie ?
Les priorités de la Banque mondiale en Tunisie sont étroitement alignées avec celles du pays, en harmonie avec les stratégies nationales et sectorielles. Elles incluent la création de davantage d’emplois de qualité, en particulier pour les jeunes et les femmes, grâce à un secteur privé dynamique ; la mise en place de systèmes d’éducation, de santé et de protection sociale de haute qualité ; ainsi qu’un avenir résilient face aux changements climatiques, soutenu par la sécurité hydrique et énergétique. Ces priorités sont définies dans notre Cadre de partenariat 2023-2027 avec la Tunisie, élaboré en concertation avec le gouvernement et les parties prenantes. Nous avançons sur ces priorités par le biais de multiples programmes, en nous concentrant dans l’immédiat sur la transition énergétique, la gestion de l’eau et le développement du capital humain.
La Tunisie est idéalement positionnée pour devenir un pôle majeur des énergies renouvelables. En collaboration avec nos partenaires, nous soutenons le projet ELMED d’interconnexion électrique entre la Tunisie et l’Italie. Ce projet illustre parfaitement un investissement structurant pouvant avoir des retombées multiples : il renforce la connectivité régionale, améliore la sécurité énergétique, stimule l’emploi et favorise la croissance économique. L’importance de la sécurité énergétique et de l’eau est clairement soulignée dans notre récent rapport pays sur le climat et le développement. Ce rapport analyse l’impact des changements climatiques sur la Tunisie et identifie les actions prioritaires pour atténuer ces effets et favoriser une croissance verte durable.
Au début de ma carrière, je me suis consacré à la gestion durable de l’eau et j’ai pu constater l’impact transformateur de l’adoption d’innovations en matière de gestion des ressources en eau. La Tunisie a déjà pris des mesures efficaces dans ce domaine. Avec notre soutien, le pays a intensifié ses efforts pour améliorer la quantité et la qualité des eaux usées traitées fournies aux agriculteurs, tout en renforçant la fiabilité et l’efficacité des systèmes d’irrigation et de drainage. L’adoption de systèmes modernes et interconnectés de gestion de l’eau est essentielle pour renforcer la résilience alimentaire et agricole.
La protection et l’investissement dans les personnes sont au cœur de nos priorités, tant immédiates que pour l’avenir. Nous soutenons le programme national tunisien AMEN, qui fournit une aide financière aux personnes les plus pauvres et les plus vulnérables pour couvrir leurs besoins essentiels. Ce programme a déjà apporté une aide précieuse à plus d’un million de ménages vulnérables en Tunisie. Soutenir les personnes dans le besoin aujourd’hui contribue également à renforcer le capital humain de demain.
Le renforcement du capital humain des personnes, notamment pour les jeunes et les femmes, est crucial pour offrir de nouvelles perspectives. Nos programmes ont soutenu le développement des compétences et amélioré la qualité de de l’éducation aux niveaux primaire et tertiaire. Cependant, l’éducation et les compétences ne suffisent pas ; l’emploi est également un facteur clé. La population jeune et dynamique de la Tunisie a besoin d’opportunités professionnelles. Nous fournissons des conseils en politiques publiques et des expertises pour guider les décisions sur la réorientation des investissements publics vers de meilleurs résultats, ainsi que sur les réformes économiques et sectorielles nécessaires pour stimuler la croissance tirée par le secteur privé. Libérer le potentiel du secteur privé pour favoriser la création d’emplois est essentiel pour l’avenir de la Tunisie, comme pour celui de tous les pays de la région.
Je constate un potentiel considérable partout dans ce pays. La Banque mondiale restera aux côtés de la Tunisie pour tracer la voie à suivre et construire un avenir plein d’opportunités pour tous.
Le grand entretien est disponible dans le mag de l’Economiste Maghrébin n 900 du 31 juillet au 28 août 2024