Le football est une activité économique importante. En Tunisie, nous l’avons toujours géré d’une manière artisanale, généralement en mode one-man-show. La solidité financière d’un club dépend, directement, de celle du président, et les exemples ne manquent pas.
Il y’a quelques semaines, les supporters tunisiens ont eu conscience de l’importance de la viabilité financière des clubs de football. La raison : l’obligation de l’intégration du système des licences-clubs de la CAF dans les règlements du championnat national et ce, à partir de la saison 2024/2025. Un énorme casse-tête. Ainsi, tout club qui ne remplit pas cinq exigences de la CAF ne se verra pas accorder l’obtention de licences à ses joueurs et l’autorisation de participation dans les compétitions nationales et locales.
La liste comprend :
– un stade homologué pour abriter les compétitions, offrant de la sécurité et un minimum de confort aux spectateurs et aux journalistes,
– un staff technique qualifié avec, au moins, un technicien titulaire du diplôme CAF A,
– un engagement de créer une équipe de football féminine ou un partenariat avec un autre club ayant une équipe féminine engagée,
– un staff médical contractuel pour assurer et développer le suivi médical des joueurs, et
– la régularisation de tous les litiges qui ont fait l’objet de verdicts définitifs à la date du 31 mars 2024 et l’effacement de tous les arriérés de paiement de salaires, de primes de rendement ou d’indemnités de transfert.
Et c’est cette dernière exigence en particulier qui a choqué les administrations des clubs. La situation s’est nettement améliorée ces derniers jours après que deux équipes ont respecté ce cahier de charges lors de son annonce. Pour la première fois, le sport tunisien fait face à une nouvelle notion : la durabilité financière.
La CAF s’inspire de l’UEFA
Les principes de la durabilité sont très simples, et nous pouvons les résumer en trois points clés :
– La solvabilité : tout régler à temps, sans retard. Cela est susceptible de renforcer les garanties données aux créanciers et protège l’intégrité des compétitions.
– La stabilité : veiller à l’équilibre entre les revenus et les dépenses. Les déficits sont permis, mais dans des limites acceptables.
– Le contrôle des coûts : soumettre les clubs à une règle sur les coûts de l’effectif afin de mieux contrôler les salaires des joueurs et les frais de transfert.
Le tout constitue le fameux fair-play financier, qui bloque de grandes écuries. La meilleure illustration est le FC Barcelone, incapable d’avancer sur le mercato (pour le moment) sans alléger sa facture de salaires. Cette année, le défi est plus grand avec l’obligation de respecter la règle suivante : les dépenses liées aux salaires des joueurs et des en- traîneurs, aux transferts et aux frais d’agents ne doivent pas dépasser 80% des recettes du club lors de la saison 2024/25.
Tout cela est excellent. Néanmoins, est-ce que le continent est prêt à cette révolution ? A l’exception de l’Afrique du Sud et de l’Egypte, tous les autres pays n’ont pas vraiment un business model clair pour les clubs de football. L’écart risque de se creuser avec ces deux pays, et nous allons toucher à cette réalité dès les compétitions continentales de l’année prochaine.
Le cas de la « Bundesliga » tunisienne
Si nous prenons notre cas, il s’avère que c’est compliqué pour la majorité absolue des clubs. L’Espérance Sportive de Tunis, l’écurie la plus structurée, bénéficie de la générosité de son président qui comble les déficits. Le Club Africain a touché le fond, mais voilà qu’un « investisseur » américain est apparu de nulle part pour le sauver.
Il y a quelques années, Slim Riahi l’avait fait avant d’envoyer le club dans l’enfer et apparemment, la leçon n’a pas été retenue. L’Etoile du Sahel souffre et le Club sportif Sfaxien profite de l’expérience de ses dirigeants qui travaillent en silence. Ils ont trouvé la bonne formule : vendre des joueurs en devise pour restructurer les finances en dinar.
Le dernier vainqueur de la compétition de la Coupe, le Stade Tunisien, a dû vendre massivement les piliers de son équipe pour affronter les pénalités et pouvoir inscrire le club dans la prochaine compétition africaine. Est-ce qu’il y a un seul club qui a un plan de trésorerie mensuel pour la saison à venir ? Est-ce que le versement des salaires des prochains mois est garanti ? Bien évidemment non. C’est le flou total partout. Ce qui caractérise notre système de football est l’insolvabilité, l’instabilité et la perte de tout contrôle des dépenses. Si nous voulons passer au cap supérieur, nous devons avant tout restructurer les clubs à tous les niveaux, à commercer par le chapitre finance.
Changer de modèle économique
Les clubs doivent se transformer en des entreprises, qui tiennent une comptabilité et qui respectent la législation fiscale et sociale. Garder la forme d’association ne permet pas d’avancer. Il faut que ces clubs attirent les investisseurs pour se développer. Or, le fait qu’ils gardent la forme associative signifie que même s’ils réalisent des bénéfices, aucune distribution n’aura lieu au profit des adhérents.
Qui va donc, dans les conditions économiques et sociales actuelles, prendre la charge d’une équipe? Celui-ci, soit il doit être un fou amoureux du club, soit il en tire indirectement des intérêts. Cette deuxième option s’est évaporée progressivement, ce qui rend la mission de trouver un président quasi impossible pour la majorité absolue des écuries sportives.
Les grands clubs peuvent constituer une locomotive pour ce changement. Il y a eu l’idée de l’Espérance Sportive de Tunis de s’introduire en Bourse, mais le projet n’a pas vu le jour. Nous pensons que l’absence d’un actif est derrière cet échec. Le parc B demeure la propriété de la municipalité de Tunis. Le bilan potentiel du club ne comporte rien qui puisse peser lourd dans un exercice de valorisation. Même la marque, qui est certainement importante, se retrouverait sous-valorisée à cause des longues années de sous investissement dans le brand. Réellement, il n’y a rien à valoriser.
Et si c’est le cas du doyen des clubs, il faut penser à la situation des autres. In fine, les problèmes du football tunisien sont les mêmes que ceux de notre économie : un modèle obsolète, avec aucune incitation à l’investissement et un surendettement. Les solutions ne peuvent être que les mêmes aussi : ouvrir l’industrie sportive aux opérateurs privés, à commencer par les infrastructures. En l’absence de stades valables qui sont la propriété des clubs, inutile de parler de révolution.