Le roman L’Oublié dans l’histoire de Rayhan Bouzguenda, publié en décembre 2023 en langue arabe aux éditions Awtar, a déjà suscité un vif intérêt dans le monde littéraire tunisien. Cette œuvre a remporté le premier prix « Béchir Khraief » pour la créativité littéraire lors de la 38e édition de la Foire internationale du livre de Tunis (FILIT), qui s’est tenue du 19 au 28 avril 2024.
À travers ce récit, Bouzguenda nous plonge dans une exploration fascinante de la mémoire et de l’identité, en nous invitant à redécouvrir ce qui a été effacé ou oublié. Le personnage principal du roman, Yassmine, est une enseignante d’histoire et de géographie qui partage de nombreuses similitudes avec l’auteure elle-même, professeure de langue arabe. Toutes deux sont animées par une passion dévorante pour la littérature, et toutes deux visitent régulièrement les librairies de livres d’occasion pour redonner vie à des œuvres oubliées. Cette ressemblance va au-delà de leurs professions et de leurs intérêts : toutes deux portent des noms de fleurs parfumées, symbolisant peut-être leur capacité à faire renaître ce qui est en train de disparaître.
À travers Yassmine, Bouzguenda explore les thèmes de l’oubli et de la rédemption, en s’inspirant de sa propre expérience et de ses préoccupations. En découvrant une édition rare de L’Île au trésor de Robert Louis Stevenson, Yassmine est entraînée dans une quête obsessionnelle autour de la figure oubliée du peintre Jean-Jacques Monnet. Cette recherche devient le point de départ d’une réflexion plus large sur le rôle de la mémoire et la nécessité de préserver ce qui pourrait sombrer dans l’oubli. Bouzguenda, à travers son écriture, invite le lecteur à se réapproprier ces fragments du passé et à leur redonner leur place dans l’histoire collective. « Quand j’ai entamé mon projet d’écriture, j’ai fait de mon livre une priorité, en lui réservant des créneaux dans mon planning. Il fallait que j’impose des plages de rédaction dans mes journées saturées par le travail et la vie de famille », confie Rayhan Bouzguenda dans une interview accordée à nos confrères du quotidien francophone La Presse. Pour elle, ce premier roman est bien plus qu’un simple exercice littéraire : il représente une tentative d’élucider le réel en exprimant ses propres angoisses à travers son personnage principal.
« En dépit de sa légèreté apparente, mon roman est bien consistant. À travers mon personnage principal, qui est prof, tout comme moi, j’ai tenté d’élucider le réel par l’expression de mes propres soucis », précise-t-elle pour le même support médiatique. Ce lien intime entre l’auteure et son personnage confère au roman une authenticité particulière, et plonge le lecteur dans une réflexion sur la mémoire, l’identité et le rôle de l’écrivain dans la société.
L’approche de Bouzguenda, qui mêle réalité et fiction, rend son récit accessible tout en étant profondément introspectif. Elle ne se contente pas de raconter une histoire ; elle engage le lecteur dans une quête de sens et de vérité. Par le biais de Yassmine, Bouzguenda invite le lecteur à une véritable croisade contre l’oubli, lui rappelant que la mémoire collective est souvent façonnée par ceux qui prennent le temps de fouiller dans les recoins de l’histoire.
Le roman, qui défie les conventions littéraires, se distingue par une narration labyrinthique et l’absence d’un cadre spatio-temporel précis. Les lieux et les époques restent flous, conférant au récit une atmosphère énigmatique qui captive le lecteur tout en le déstabilisant. Ce choix narratif audacieux marque également une rupture avec la tendance de nombreux écrivains tunisiens qui ont souvent abordé la révolution de 2011. Bouzguenda, au contraire, préfère explorer des thèmes plus intemporels, loin de l’ancrage historique. Cependant, ce qui intrigue et divise peut-être le plus, ce sont les annotations de l’auteure tout au long du texte. Destinées à orienter la lecture, elles sont perçues par certains comme une intrusion paternaliste, limitant ainsi la liberté d’interprétation du lecteur.
Bouzguenda, véritable maître de la narration, réveille ce qui a été laissé pour compte et redonne vie aux détails effacés par le temps. Son roman s’impose comme une œuvre littéraire marquée par une profonde critique sociale et une réflexion sur les réalités contemporaines tunisiennes. À travers Yassmine, la protagoniste, Bouzguenda incarne le lecteur, celui qui, face à l’oubli, se voit investi de la mission de redonner souffle aux récits et aux figures du passé.
Ce premier roman, récompensé et déjà acclamé, promet un avenir littéraire brillant pour Rayhan Bouzguenda. L’Oublié dans l’Histoire n’est pas seulement un récit ; c’est une invitation à revisiter notre mémoire collective, à redécouvrir les figures oubliées de notre histoire, et à comprendre que l’oubli peut être aussi dévastateur que la disparition elle-même.