A écouter les uns et les autres après les dernières interventions du Chef du Gouvernement et de son ministre de l’Economie et des Finances, il y aurait une surprise presque générale sur l’ampleur des dégâts qu’a subi l’économie tunisienne depuis la révolution et, plus encore, depuis l’arrivée des gouvernements de la Troika. Un étonnement qui frise l’entendement puisque le vieux proverbe bien de chez nous sur « la bonne vieille dame criant à la récolte record au milieu des eaux qui l’engloutissaient » a été, à maintes fois, rabâché. Des chiffres immédiatement montrés du doigt sur l’impossible équation de Abdelwahab Maatar sur l’emploi, d’Elyes Fakhfakh sur les taux de croissance chimériques de ses deux lois de finances, ceux des ministres et leurs bizarreries calculatoires de la croissance, qui mériteraient d’être enseignées pour montrer ce qu’il faut justement éviter de dire au risque d’être pris, etc. La dérisoire volonté d’égaler entre les spectacles-contorsions et l’approche scientifique recherchée à travers la présence d’un stylo traînant tout au bout d’une main, pourtant orpheline de pensées intéressantes, du Directeur de l’Institut des études stratégiques et ces jugements, toujours de valeur, de la quasi-totalité des hauts responsables de la Troika, Chef de Gouvernements, Ministres et Non Ministres confondus, sur la réussite de ces gouvernements successifs comme si un verbe, un mot, une phrase bien construite pouvaient ôter tout sens au chiffre, à l’économie, au marché, aux comptes de la Nation, à la… désolation générale. Talleyrand disait:« La parole a été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée… ». Cela va comme un gant à notre situation, à ceci près que Talleyrand aurait, par pudeur semble-t-il, remplacé travestir par déguiser.
Le choc des chiffres de l’économie non concordants
Ces propos n’auraient peut-être pas occupés cet espace, n’eussent été les commentaires déplacés sur « le pas si mauvais que ça » état de l’économie à l’issue de deux ans de Troika et n’eut été également un commentaire choquant, celui-là, du nouveau ministre des Finances, Hakim Ben Hammouda, qui dans une interview déclarait que son équipe a passé, à son arrivée au Ministère, du temps « pour reconstruire les chiffres puisque les situations présentées ne concordaient pas et qu’il avait fallu mettre tout le monde ensemble pour obtenir une vue générale de la situation ». Inacceptable, grotesque et indigne d’un Etat. Parce que, effectivement, si tout ce beau monde se trompait tant sur les chiffres de l’économie, c’est que les situations qui leur étaient fournies n’étaient pas bonnes.
Malheureusement, les chiffres, eux, sont têtus et ont toujours été bons dans nos têtes et dans celles de ceux qui connaissent le pays, ses limites et son potentiel. Le déficit de croissance sur trois ans est bien là, comme sont bien là les déficits des balances formant la balance courante. Et ce sont des maux qu’aucun mot, fut-il imprégné de miel, ne peut changer. Ce ne sera qu’avec le retour au travail du Tunisien, qui s’est construit trois ans durant une culture, une véritable passion même pour l’assistance, que les choses peuvent changer. Les chantiers présentés par le ministre de l’Economie et des Finances sont nombreux, à commencer par celui de l’emploi et du développement régional, tributaires exclusifs de l’investissement. Le chantier de la réforme fiscale appelée à améliorer les recettes de l’Etat et mettre plus d’équité entre les Tunisiens en soulageant, pour une fois, ceux qui payent. Le traitement de l’épineux dossier des entreprises publiques dont quelques fleurons sont passés de premiers de la classe au rang de cancre de l’école.
Plus on aura intégré ces priorités de l’économie tunisienne, plus on aura des chances de voir le bout du tunnel. Quant aux «pas si mauvais que ça», ils continueront toujours à s’offrir Talleyrand.