Tel le Phoenix, la société civile tunisienne semble renaître de ses cendres. Certains la croyaient morte et enterrée définitivement, mais trois signes nouveaux annoncent, sans vacarmes ni bruits, son come-back.
Tout d’abord, une petite manifestation, réunissant quelques centaines de manifestants, particulièrement des jeunes, mais surtout une proportion importante de femmes, qui ont battu le pavé, du Jardin du Passage jusque devant le ministère de l’Intérieur, dans une ambiance de kermesse, n’eût été les quelques slogans et pancartes qui expriment des positions politiques.
Mais dans ce genre de manifestations, ce qui est crié est moins important que le contexte dans lequel elle a été organisée. En effet, une longue liste d’associations, réunies dans une sorte « de toile », dite « pour la défense des droits de l’Homme et des libertés », a été récemment créée. Le mot “toile“ renvoie à la nature « facebookike » de cette nouvelle forme d’associations, qui sont d’ailleurs souvent plus virtuelles que réelles.
Dans ce genre d’actions politiques, le nombre de participants est moins important que la gestion médiatique elle-même. Et l’on peut dire même que l’absence des figures traditionnelles, qui étaient depuis 14 ans de toutes les manifestations et qui avaient saturé les écrans des télévisions et les micros des radios, a contribué à donner un aspect « société civile ».
Les centaines de personnes, presque toutes munies de téléphone portable, filmaient tout l’événement en direct. Prouesse de la technologie mais aussi de l’esprit du temps, ces centaines de personnes sont immédiatement suivies, et soutenues par des milliers d’internautes. Ce qui a eu pour conséquence de transformer la manifestation en un événement médiatique. Et ce, malgré le black-out médiatique imposé, et même ce que ce boycottage des médias officiels et semi-officiels a ajouté à la valeur politique de cet événement.
Dans ce genre d’actions politiques, le nombre de participants est moins important que la gestion médiatique elle-même. Et l’on peut dire même que l’absence des figures traditionnelles, qui étaient depuis 14 ans de toutes les manifestations et qui avaient saturé les écrans des télévisions et les micros des radios, a contribué à donner un aspect « société civile ». Même si des islamistes camouflés dans des habits modernes y ont participé, sans mettre en avant leur propre slogan. Tout se passe comme si ces derniers, désavoués par une grande partie de l’opinion, tentent de se dissoudre dans la société civile. Ce qui n’a pas empêché certains laïcs de boycotter cette marche.
L’histoire ne se répète jamais sauf sous forme d’une comédie. Le vrai sens à donner à ce « réveil » est plus civil que politique. Le « dégage » scandé est plus un rituel et ne traduit aucune réalité politique existante, car il n’y a que la voie des urnes qui paye.
L’importance de cette « marche » sur le MI se trouve dans le fait qu’elle arrive à quelques semaines du scrutin présidentiel, et inaugure une nouvelle étape de ce que les opposants à KS considèrent comme crucial. On passe à la rue après le combat juridique pour le droit de se présenter. L’on remarquera, cependant, l’absence quasi-totale des destouriens, justifiée par le sectarisme des organisateurs. Ce qui est vrai, car un des slogans scandés vilipende ces derniers ainsi que les « khwanjiya ».
Sur les réseaux sociaux, les partisans de la manifestation laissent croire qu’on est devant un scénario analogue à celui du 14 Janvier 2011, et certains y ont cru, et s’attendaient à voir l’avion présidentiel s’envoler vers une contrée lointaine. Or l’histoire ne se répète jamais sauf sous forme d’une comédie. Le vrai sens à donner à ce « réveil » est plus civil que politique. Le « dégage » scandé est plus un rituel et ne traduit aucune réalité politique existante, car il n’y a que la voie des urnes qui paye.
L’UGTT, cette absence qui inquiète
L’absence très remarquée des syndicalistes et surtout de certaines figures médiatisées peut s’expliquer par le fait que la centrale syndicale n’est pas affiliée à cette « toile ». Mais la vraie raison est tout autre. L’organisation de Hached est désormais empêtrée elle-même dans une grave crise de légitimité. En atteste le débat houleux qui a mis à nu les profondes divergences syndicales et politiques qui divisent les syndicalistes, et qui remettent en cause la légitimité même de la direction actuelle, extrêmement contestée, lors de la réunion de son conseil national.
La menace de « grève générale dans le public et le privé » et la décision prise à la hâte de la faire, sans fixer de date, traduit, plus le désarroi de la direction actuelle qui a opéré une fuite en avant, pour tenter de s’accrocher à son poste, qu’une véritable décision prise consciemment pour faire face à la crise sociale que vit le pays.
En fait, l’UGTT, à force de s’immiscer dans les affaires politiques depuis 2011, a fini par perdre son poids politique réel qu’elle a toujours eu depuis sa création. Ce qui explique son absence de la scène socio-politique, alors que plus que jamais cette dernière n’en a eu besoin. La société civile sans UGTT est une coquille vide et cela l’histoire l’a suffisamment démontré. En effet, la centrale syndicale est à la recherche d’un nouveau rôle, qu’elle peine à trouver. Sachant qu’elle vit elle aussi la crise générale que vivent les formations politiques et sociales, qui sont toutes à la recherche de nouveaux modèles. Mais la crise de l’UGTT est plus ressentie à cause de son rôle dans la lutte de libération nationale et dans la construction de l’Etat et de la société modernes.
L’UGTT, à force de s’immiscer dans les affaires politiques depuis 2011, a fini par perdre son poids politique réel qu’elle a toujours eu depuis sa création. Ce qui explique son absence de la scène socio-politique, alors que plus que jamais cette dernière n’en a eu besoin.
Mais si le dernier conseil national a servi à quelque chose, c’est bien au début d’une prise de conscience qui ne tardera pas à faire bouger, et l’UGTT et la société civile. Cette prise de conscience est aussi à ajouter au réveil de la société civile.
Nous appelons société civile l’acceptation que lui ont donnée Hegel et Tocqueville. Voici un extrait de la définition que ce dernier lui a donné : « Si la société civile se trouve dans une activité sans entrave, on peut la concevoir comme un progrès continu et intérieur de la population et de l’industrie. Par l’universalisation de la solidarité des hommes, pour leurs besoins, et par les techniques qui permettent de les satisfaire, l’accumulation des richesses augmente d’une part, car cette double universalité produit les plus grands gains; mais, d’autre part, le morcellement et la limitation, du travail particulier et par la suite la dépendance et la détresse de la classe attachée à ce travail augmente aussi ».
Pour Hegel et Tocqueville, la société civile est une extension de l’Etat mais qui agit comme un contrepouvoir, contrairement à la vision de Marx qui considère que les syndicats doivent travailler à détruire l’Etat pour le remplacer par l’Etat du prolétariat. La vision de la gauche tunisienne est plus proche de la théorie de Marx que de celle de Hegel et Tocqueville.
Le Tribunal administratif, comme exemple
Le troisième élément qui confirme le réveil de la société civile tunisienne sont les jugements émis par le Tribunal administratif en faveur de candidats éliminés de la course à la présidentielle par des décisions de l’ISIE.
Le Tribunal administratif est un organe du système judiciaire de l’Etat. Sauf qu’il comprend des juges. Or, tous les juges appartiennent soit au syndicat, soit à l’association, car les juges constituent une corporation et les deux organisations ont défendu leurs intérêts le long de plusieurs décennies.
On sait la position de ces organisations sur la situation de la justice et on sait aussi que les lois en vigueur donnent aux juges le pouvoir d’appliquer la loi, même quand l’exécutif s’en éloigne. C’est ce qui est arrivé et les verdicts annoncés et publiés par le TA, sont un joyau juridique en termes de jurisprudence.
Le Tribunal administratif ouvre le chemin à d’autres organes de l’Etat, notamment les tribunaux, pour faire régner la loi. Nous croyons qu’il est dû au réveil, même lent, de la société civile. Surtout que les partis politiques, tous les partis, n’ont pas pu remplir leurs rôles et peser sérieusement par la mobilisation de la rue pour faire pression. Cela est dû à la nature de ces partis qui tournent autour d’un chef et non d’une direction collective. Même les islamistes n’échappent pas à cette règle.
Or, la société civile existe bien avant, depuis la formation des corporations professionnelles et avant même la colonisation, dans les souks et par métiers. C’étaient des corps intermédiaires très efficaces comme les syndicats et les ONG dans les sociétés modernes.
Il y a une faute grave que commettent souvent les analystes autour de la question de la société civile, qui consiste à la restreindre aux associations, surtout celles financées par l’étranger à travers les ONG internationales. Or, la société civile existe bien avant, depuis la formation des corporations professionnelles et avant même la colonisation, dans les souks et par métiers. C’étaient des corps intermédiaires très efficaces comme les syndicats et les ONG dans les sociétés modernes. Elles faisaient partie de l’Etat et leurs responsables nommés par les beys. Elles jouaient un rôle dans les négociations et les compromis entre leurs adhérents et l’autorité politique. C’est uniquement au 20ème siècle, avec l’apparition du syndicat fondé par Mohammed Ali El Hammi, que la société civile moderne a pris le relais et devenue un partenaire incontournable.
D’ailleurs, ensuite l’UGTT a toujours fait partie de l’Etat et même du Parti destourien qui l’a fondée à travers Farhat Hached, et a ensuite participé à la fondation de l’Etat moderne et au développement du pays.
L’influence de la gauche radicale a participé à son éloignement de son rôle initial. D’où la nécessité de corriger cette vision, comme condition à tout sauvetage de cette organisation historique.
D’autres signes de la renaissance de la société civile viendront confirmer notre approche et surtout après le 6 octobre prochain. N’oublions pas le rôle de l’UGTT, l’Ordre des avocats, l’UTICA, … dans la chute du gouvernement islamiste et qui leur a valu le prix Nobel de la Paix.