Le taux d’intérêt directeur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) est l’outil par excellence à sa disposition pour mener à bien ses missions économiques fondamentales. Il dépasse le simple rôle d’un indicateur de politique monétaire, car il sert à deux objectifs cruciaux : garantir la stabilité des prix et maintenir un niveau d’emploi soutenu.
Dans le contexte tunisien, marqué par une inflation relativement modérée, une croissance faible, et un taux de chômage élevé, la BCT est confrontée à un véritable dilemme dans l’ajustement de sa politique monétaire.
Cependant, limiter la mission de la BCT à une simple lutte contre l’inflation peut être réducteur. Une vision trop orthodoxe, où l’inflation est l’ennemi principal, risque de négliger d’autres dynamiques économiques toutes aussi importantes. Comme par exemple la déflation de la demande globale, qui peut entraîner des conséquences catastrophiques.
En se concentrant uniquement sur la maîtrise des prix, sans accorder assez d’attention à l’emploi et à la croissance, la BCT risque d’alimenter la stagnation/stagflation et d’aggraver le chômage. Ce dernier, qui constitue déjà un problème structurel en Tunisie, pourrait devenir un mal endémique si les mesures économiques ne prennent pas en compte les besoins globaux du pays.
En se concentrant uniquement sur la maîtrise des prix, sans accorder assez d’attention à l’emploi et à la croissance, la BCT risque d’alimenter la stagnation/stagflation et d’aggraver le chômage.
Le dilemme du « taux zéro » : comment aller plus loin?
Dans les économies contemporaines, le taux d’intérêt constitue une arme à double tranchant.
En période de ralentissement économique, les banques centrales abaissent ce taux pour stimuler l’activité. Or, lorsque le taux directeur approche de « zéro », comme cela pourrait être nécessaire dans le contexte tunisien pour relancer la demande, la Banque centrale se retrouve face à une limite technique : elle ne peut pas descendre en dessous de zéro, sous peine de pénaliser le système bancaire.
À ce stade, la politique conventionnelle devient inefficace et la BCT doit alors envisager des mesures non conventionnelles pour ressusciter l’économie.
C’est ici qu’intervient l’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing ou QE), une politique monétaire non conventionnelle déjà employée par les banques centrales de grandes économies comme la Réserve fédérale américaine, la Banque d’Angleterre et plus récemment la Banque centrale européenne (BCE).
Concrètement, cela signifie que la BCT devrait acheter massivement des obligations d’État, des obligations privées, voire des actions, pour injecter de la liquidité dans le système financier tunisien.
Ce type de politique a pour but de stimuler l’économie en augmentant la valorisation des actifs financiers et immobiliers, en encourageant l’investissement et en soutenant la consommation.
Un cercle vertueux
Dans le contexte tunisien, cette approche pourrait donner un nouveau souffle à des secteurs clés tels que l’immobilier, les entreprises cotées, et même les PME, en augmentant leur accès aux financements à bas coût.
En retour, une telle dynamique pourrait créer un cercle vertueux, où l’augmentation des prix des actifs serait perçue comme un signe de reprise, incitant les ménages à consommer davantage et les entreprises à investir.
Un engagement sans faille de la BCT est nécessaire
Toutefois, la mise en œuvre d’une telle politique ne peut réussir que si elle est accompagnée d’une volonté inébranlable de la part de la Banque centrale de Tunisie. L’assouplissement quantitatif ne peut pas être une simple mesure technique appliquée à reculons, sous la pression des événements ou des marchés. Si la BCT adopte ces mesures sans conviction, le message envoyé aux investisseurs et aux consommateurs sera brouillé et l’effet escompté sera faible, voire nul.
Si la BCT adopte ces mesures sans conviction, le message envoyé aux investisseurs et aux consommateurs sera brouillé et l’effet escompté sera faible, voire nul.
Un signal clair aux opérateurs
L’histoire récente, que ce soit au niveau européen ou international, montre clairement que la crédibilité d’une banque centrale est un facteur déterminant dans la réussite de ses politiques monétaires.
La BCE, par exemple, a longtemps tergiversé avant d’adopter des politiques de QE, ce qui a sérieusement affaibli son efficacité. Pour éviter de reproduire cette erreur en Tunisie, la BCT doit envoyer un signal clair au marché : elle est prête à prendre toutes les mesures nécessaires pour ramener l’économie sur la voie de la croissance; même si cela implique de briser certains tabous monétaires.
L’irresponsabilité constructive : une solution pour la relance
Pour reprendre les mots de l’économiste américain Paul Krugman, la Banque centrale doit savoir se montrer « irresponsable ». Il ne s’agit pas d’abandonner tout sens de responsabilité; mais de comprendre que, dans certaines circonstances économiques, les mesures prudentes et conventionnelles ne suffisent plus. Dans le cas de la Tunisie, où les défis sont aussi bien économiques que sociaux, la BCT doit être prête à utiliser toutes les armes à sa disposition pour soutenir l’investissement, relancer la consommation, et réduire le chômage.
Cela implique de fixer des objectifs chiffrés et ambitieux, à l’image de ce que font les autres grandes banques centrales dans le monde.
En Tunisie, un tel engagement pourrait se matérialiser par des objectifs clairs en matière de croissance du PIB, de réduction du chômage et de stimulation de l’investissement privé.
Aux États-Unis, la Réserve Fédérale a promis de maintenir ses programmes de rachats d’actifs jusqu’à ce que le chômage atteigne un certain seuil. Tandis que la Banque du Japon s’est engagée à poursuivre sa politique jusqu’à ce que l’inflation atteigne 2 %.
En Tunisie, un tel engagement pourrait se matérialiser par des objectifs clairs en matière de croissance du PIB, de réduction du chômage et de stimulation de l’investissement privé.
Une volonté politique et économique pour accompagner la BCT
Toutefois, une politique monétaire expansive, aussi efficace soit-elle, ne pourra pas à elle seule sortir la Tunisie de la crise. Il est impératif que cette action soit accompagnée de réformes structurelles profondes.
De plus, des mesures de soutien aux ménages à faible revenu seront essentielles pour encourager la consommation, moteur de la reprise.
La relance de l’économie tunisienne passe également par une amélioration du climat des affaires, une révision des systèmes fiscaux pour attirer les investissements étrangers et un soutien aux secteurs productifs à haute valeur ajoutée.
De plus, des mesures de soutien aux ménages à faible revenu seront essentielles pour encourager la consommation, moteur de la reprise.
En définitive, la Banque centrale de Tunisie devra se montrer audacieuse, voire « irresponsable » au sens de Paul Krugman, dans ses choix de politique monétaire pour répondre aux défis économiques colossaux auxquels le pays fait face.
En adoptant une approche résolument proactive, avec des instruments non conventionnels et un engagement fort en faveur de la croissance, elle pourra renforcer la confiance des investisseurs et des consommateurs, et ainsi relancer l’économie tunisienne sur des bases solides.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)